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Entretien de Frédéric Taddéï avec l’archéologue Jean-Paul Demoule sur la préhistoire du confinement (RT France)

Posted in actualité, altermondialisme, documentaire, France et colonialisme, pédagogie libération, politique et social, sciences, sciences et technologies, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , on 15 mai 2020 by Résistance 71

 

 

Résistance 71

 

15 mai 2020

 

Excellent entretien de Frédéric Taddeï sur « Interdit d’interdire, culture » (RT France) avec l’archéologue et ancien directeur de l’INRAP (Institut National de la Recherche en Archéologie Préventive), Jean-Paul Demoule que nos lecteurs connaissent bien puisque nous avons publié de larges extraits de ses recherches.

Jean-Paul Demoule, clastrien, a publié un bon nombre d’ouvrages dont:

« On a retrouvé l’histoire de France »,
« Les Gaulois », « Où sont passés les Indo-Européens ? », « Aux origines, l’archéologie » et très récemment « La préhistoire du confinement » (téléchargeable gratuitement en ligne) et un gros ouvrage sur « L’histoire des civilisations »

 

Entretien Taddeï / Demoule (52min) :

 

 

 

Politique de l’histoire: La France amnésique au passé réglementé ou comment retrouver l’histoire de France ~ 3ème partie ~

Posted in actualité, altermondialisme, documentaire, France et colonialisme, guerres imperialistes, militantisme alternatif, pédagogie libération, politique et social, politique française, résistance politique, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , on 17 mars 2017 by Résistance 71

“Après 70 ans d’excavations et de fouilles extensives sur la terre d’Israël, les archéologues ont trouvé que les actions du patriarque sont des histoires de légende ; nous n’avons pas séjourné en Egypte, ni fait un exode, nous n’avons pas conquis la terre. Il n’y a pas non plus de mention de l’empire de David et de Salomon. Ceux qui s’y intéressent savent tout cela depuis des années, mais Israël est un peuple têtu et ne veut pas en entendre parler.”
~ Professeur Ze’ev Herzog
, chef du département d’archéologie et d’études de l’ancien Proche-Orient à l’université de Tel-Aviv, dans un entretien avec le magazine Ha’aretz le 29 octobre 1999~

“Que les historiens ‘hautement acclamés’ respectent les lois d’airain qui conditionnent la ‘liberté de leur atelier’: qu’ils dialoguent moins avec les prélats, les ministres, les ‘hommes d’affaires’ qu’avec les archives, accessibles à tous, dans le ‘silence’ et vérifiables par tous, et leurs stylos ou leurs ordinateurs ; que, libérés de la tutelle de l’argent ‘extérieur’ des missions privées ou publiques, ils réclament des financements universitaires pour générer des recherches dont ils auront l’initiative, la maîtrisxe et les instruments archivistes. Dégagés du soupçon de complaisance ou de dépendance à l’égard des puissants, ils n’en seront que meilleurs experts de la ‘société’ dite “civile’. Quant aux jeunes chercheurs, il est urgent que, soustraits à la norme des desiderata des bailleurs de fonds et ainsi mis en mesure de tenir la tête droite, ils puissent aider l’histoire contemporaine française à retrouver la voie de l’indépendance.”

~ Annie Lacroix-Riz, professeure émérite d’histoire contemporaine, Université de Paris VII, “L’histoire contemporaine sous influence”, 2004 ~

  

La France pays au passé amnésique et réglementé

 

Présentation, extraits et analyse du livre de Jean-Paul Demoule*:

“On a retrouvé l’histoire de France”, Robert Laffont, 2012 et Folio “Histoire”, 2013

 

par Résistance 71

 

Février 2017

 

1ère partie

2ème partie

3ème partie

 

Mis en page par Jo de JBL1960, le PDF:

On a retrouvé l’histoire de france (Jean Paul Demoule)

 

(*) Archéologue, professeur emeritus d’archéologie à l’université de Paris I-Sorbonne. Ancien président de l’Institut Nationale de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP) de sa création en 2002 à 2008.

Les textes historiques et l’archéologie moderne confirment ce que nous disait déjà Pierre Kropotkine à la fin du XIXème siècle, à savoir que le Moyen-Age fut également une “révolution politique” sous la forme de l’émancipation de certains gros bourgs (villes) s’émancipant de la domination des seigneurs et de l’autorité royale, elle-même restreinte à quelques fiefs autours des terres du roi et à quelques alliances au poids plus qu’aléatoire, c’est ainsi que poursuit Demoule:

l’apparition d’une bourgeoisie tirant sa richesse du contrôle de l’artisanat et des échanges va changer la donne. Les bourgeois (leur nom signifie simplement à l’origine “habitants du bourg” ou d’une ville) souhaitent s’émanciper de l’égide des seigneurs locaux, laïques ou ecclésiastiques, qui ont pris de plus en plus d’importance avec l’affaiblissement progressif du pouvoir royal à partir du démantèlement de l’empire de Charlemagne. Artisans et commerçants exigent de participer au pouvoir politique, obtiennent par écrit des libertés et font de leurs villes des communes.” Ce que Kropotkine appela les “communes médiévales du XIème au XIVème siècle”, c’est à dire des fédérations de communes comme celles unies dans la fameuse ligue hanséatique et d’autres qui ont fait la gloire des grandes cités médiévales comme Laon, Reims, Bruges, Francfort, Gênes, Lvov et Novgorod.

Ainsi, ces nouveaux bourgeois ont leur conseil municipal, leur garde civique, leurs lois, à la différence des campagnes environnantes ; ils se jurent aussi mutuellement aide et protection. […] Curieusement, une rupture aussi fondamentale et qui détermine tout le destin futur de nos sociétés, est fort peu mis en relief dans l’histoire officielle de France et de l’Europe.

[…] C’est donc une autre vision du Moyen- Age qu’il faut maintenant avoir, débarrassée de ses mythes, positifs (Clovis) ou négatifs (“on n’est plus au Moyen-Age !”) et de ses amnésies (les Francs germaniques, les communautés juives). Non plus une “longue nuit barbare” entre la brillante Antiquité et la plus brillante encore Renaissance, mais une période d’un millénaire marquée aussi bien par une révolution industrielle et technique que par une évolution des mentalités. Le christianisme s’y met certes en place, mais de manière lente et variée. Elle voit aussi avec l’autonomie progressive des villes communales les premières revendications de libertés politiques depuis la fin des démocraties grecques et de la République romaine, autonomie inscrite dans le sol de ces villes et dans leur dynamisme économique. L’archéologie a joué un rôle fondamental pour ces révisions historiques. Si les textes se font de plus en plus abondants à partir de la Renaissance, l’étude de la culture matérielle à travers l’archéologie reste essentielle et ce jusqu’à nos jours.

La seconde partie du livre de Jean-Paul Demoule est consacrée aux leçons enseignées par l’archéologie et il insiste sur une des fonctions essentielles de l’archéologie: la dénonciation des faussaires du passé et ceux-ci sont légions. Ainsi du “saint suaire” de Turin expertisé comme remontant au XIVème siècle en passant par les facéties affabulatoires de l’archéologue japonais Fujimura et le faux total de la “première preuve archéologique de l’existence du christ” en 2002 avec l’arrestation du faussaire israélien Oded Golan, Demoule nous dit que:

“… L’archéologie biblique où se combinent intérêt financier et intérêt idéologique, est sans aucun doute celle qui concentre le plus grand nombre de faux, on peut encore citer la tablette gravée sur pierre dite de “Joachaz”, qui évoque la réparation du grand temple de Salomon, conformément à un passage de la bible.

De fait, l’histoire officielle de la France, celle que nos élites politiques et intellectuelles veulent mettre en avant a dû s’accommoder de trois grandes défaites successives:

La première est celle des Gaulois face aux Romains. Nos ‘ancêtres les Gaulois’ sont avant tout des vaincus, qui plus est, décrits par leur vainqueur comme des barbares. […] Vercingétorix a été hissé au rang de figure christique, avec ses cheveux blonds mi-longs, à l’instar des représentations modernes de Jésus… Enfin l’idée que les Gaulois ont été ‘civilisés’ par les Romains est finalement une ultime consolation. A quelque chose malheur est bon.

A ce titre, il est effarant de constater que ce qu’on nous répète à longueur de bouquin d’histoire scolaire insipide au sujet de “nos ancêtres les Gaulois”, ne couvre en fait que la toute fin d’une civilisation qui a essaimé en Europe du Danube à l’Irlande pendant plus de 800 ans !.. Le problème de l’establishment est le suivant: reconnaître la splendeur de la civilisation celtique, gauloise, ne peut aller de pair qu’avec la reconnaissance du fait que la société a pu fonctionner pendant tous ces siècles sous une alternance d’égalitarisme et d’aristocratie, jamais chapeautée par une quelconque forme d’État ou de centralisation. Or, il est impératif de maintenir le côté “barbare sympathique” de nos ancêtres avant de continuer la légitmité du fondement de l’État moderne: le droit romain. C’est pourquoi les livres scolaires d’histoire couvrent la Gaule pré-romaine et la conquête de la Gaule par César au pas de charge en une ou deux pages lapidaires, pour enchaîner sur ce qui légitime le marasme sociétal actuel: la société colonisée gallo-romaine, marquée et infusée du droit romain puis du christianisme. C’est sur la combinaison des deux doctrines qu’est fondée l’histoire officielle de la France, occultant à dessein la véritable originalité et efficacité tant politique qu’économique de “nos ancêtres les Gaulois”.

Mais les Gallo-Romains ont à leur tours été vaincus:

L’Empire s’est effondré et ses provinces gauloises avec lui. Vaincus en outre par les barbares germanique, les Francs, ce sur quoi on insiste peu. Au moins la langue gallo-romaine s’est-elle conservée, sous la forme du français, langue qui n’est pas celle des vainqueurs (les Francs) même si elle leur empreunte le nom, un paradoxe. Les barbares ont été néanmoins ‘civilisés’ à leur tours puisque leur chef Clovis s’est converti au christianisme ; reste que cette période des ‘rois fainéants’ n’est pas la plus glorieuse de notre histoire. Alors on la maquille, on ‘francise’ les noms francs: Clovis (Hlodowig), Charlemagne (Karl der Grosse, Charles le Grand), Aix la Chapelle (Aachen)…

Mais les Francs ont été vaincus à leur tour, pas militairement mais culturellement. […] Ainsi, dès le ‘francisé’ Charlemagne, le Moyen-Age commence à devenir fréquentable…

Alors quelles leçons peut-on tirer de l’histoire, quelle est au bout du compte notre histoire, celle de la France sans amnésie ? Jean-Paul Demoule nous dit que répondre à ces questions est une des grandes fonctions de l’archéologie d’une part, mais surtout de l’archéologie préventive, car si la France créait en 1846 l’École Française d’Athènes, l’un des plus vieux instituts archéologiques du monde, ce n’est qu’en 2002 que fut créé l’INRAP officialisant l’archéologie préventive dans le pays.

Au-delà de la mythologie de BD incarnée par Indiana Jones et Lara Croft, l’archéologie est une science qui sert à mieux comprendre notre histoire, à débusquer les mythes et les mensonges, ce qui permet de mieux comprendre le présent et d’anticiper l’avenir. Si l’historien fouille les archives et les textes anciens et modernes, l’archéologue fouille le terrain de la vie quotidienne. Ce n’est pas un hasard si, de l’avis des plus experts, les poubelles sont la source d’une connaissance infinie sur les civilisations passées. Ainsi pour Demoule et la grande majorité des archéologues:

L’archéologie sert avant tout à se comprendre dans le monde, dans le temps et dans son territoire… L’archéologie apporte les preuves matérielles, que le passé dont nous parlent les livres a vraiment existé.

[…] Il y a dix mille ans, la France, comme le reste de l’Europe, était entièrement recouverte de forêts, des chênes, des tilleuls et autres espèces tempérées ou méditerranéennes. Des aurochs, des sangliers, des cerfs, des ours, des loups, des lynx, des chevreuils, parfois des chevaux sauvages vivaient en abondance sous le couvert de cette forêt vierge. Elle n’existe plus, peu à peu éradiquée par l’agriculture, dans un processus qui a débuté dès le Néolithique il y a sept à huit mille ans. Seules en subsistent encore quelques reliques, comme la forêt d’Urho Kekkonen en Finlande ou celle de Bialowieza en Pologne. En France quelques centaines d’hectares en ont été préservés avec la forêt de Massane (Pyrénées Orientales).

[…] Ainsi, comme le prouve l’archéologie, la Gaule n’était pas recouverte de forêts où circulaient des druides et sangliers, mais son espace était ouvert et cultivé et les campagnes jalonnées de villages et de grandes fermes. Les grands abattages s’accentuèrent encore à l’époque romaine et pendant la première moitié du Moyen-Age.

[…] Ainsi, les paysages méditerreanéens de maquis et de garrigues ne sont pas plus sauvages: ils sont le produit de huit mille ans d’agriculture et d’élevage, tout comme les bocages et les prés de la France tempérée.

[…] Les fouilles archéologiques permettent de suivre l’arrivée en Europe au Moyen-Age du rat noir d’Asie et celle de la sinistre peste amenée par ses puces.

[…] Ainsi, lorsque nous cheminons dans un paysage de campagne, nous pouvons le découvrir, avec un peu d’attention, d’un tout autre œil, en complétant éventuellement notre regard par l’information archéologique disponible sur la région. Ce chemin est peut-être parcouru depuis deux ou trois mille ans. Cette limite de champ a peut-être été tracée à l’époque romaine. Cette haie date du Moyen-Age. Le paysage est un musée vivant que nous parcourons, que nous habitons et nous pouvons ainsi comprendre et nous approprier cette terre.

Ceci nous fait toucher du doigt la chose la plus importante d’une nation: sa relation avec la terre, qui avec le temps devient culturelle. Ce qui fit dire à Gustav Landauer en 1911: “La question sociale, la révolution sociale, est une question agraire.” Montrant ainsi l’importance de l’attachement à la terre non pas en tant que propriété générant des revenus, mais en tant que patrimoine collectif d’un groupe de personnes partageant les mêmes valeurs, les mêmes aspirations au bonheur.

La propriété quant à elle s’est généralisée avec la sédentarisation des sociétés humaines durant la “révolution agricole” de Néolithique, il y a environ 7000 ans en Europe et en France. De la même manière s’est généralisée la division de la société et la création de disparités, d’inégalités d’abord politiques (cf Pierre Clastres), puis économiques. Ainsi nous pouvons toujours nous poser la question de savoir pourquoi acceptons-nous l’inégalité et le pouvoir de quelques-uns, alors que nous formons l’immense majorité, surtout depuis le boum démographique allant de pair avec la révolution agricole sédentariste du Néolithique ? Pourquoi l’inégalité nous semble t’elle si naturelle ? Pourquoi acceptons-nous notre domination ? Ce n’est qu’au XVIIème et XVIIIème siècles que deux conceptions de la “nature humaine” se sont affrontées: celle de Jean-Jacques Rousseau (l’égalité est naturelle à l’humain) et celle de l’Anglais Thomas Hobbes (l’inégalité est dans la nature humaine).

Ici, Demoule reprend: “L’archéologie nous permet de poser autrement le débat, car l’inégalité et la violence ont une histoire.

[…] Les sociétés humaines les plus anciennes, celles antérieures à Homa Sapiens (Cro-Magnon), l’homme moderne, offrent très peu d’indices sur de fortes inégalités et sur la violence. Les observations ont été un temps biaisées par des préjugés issus des travaux de Konrad Lorenz, puis, à sa suite par ceux d’un mouvement scientifique américain des années 1970: la ‘sociobiologie’, qui s’était proclamée ‘Nouvelle Synthèse’ et selon lequel la société serait organisée autour de ‘mâles dominants’ s’efforçant de favoriser la prolifération de leurs gènes. Toutefois, lorsque des groupes de singes en liberté ont commencé à être observés non plus seulement par des zoologues ou ethnologue mâles, mais aussi par des femmes ethnologues, on s’est aperçu que les rapports sociaux chez nos cousins primates pouvaient être plus complexes et plus riches.

[…] Comme l’a rappelé l’anthropologue Maurice Godelier, des études génétiques ont montré que les jeunes singes d’un groupe donné ne descendaient pas majoritairement des mâles dominants ; ces derniers ne parvenaient pas à imposer aux femelles la reproduction de leurs gènes supposés tels.”

On ne remarque de même pas plus de traces de disparités sociales et de violence à l’époque paléolithique (hommes de Tautavel et de Néanderthal, mis en scène dans les films “La guerre du feu” et “Ao, le dernier Neanderthal”. Demoule rejoint la paléonthologue Marylène Patou-Mathis, grande spécialiste mondiale de la période néanderthalienne pour dire que l’on a très peu retrouvé de traces de violence sur les squelettes étudiés et que si parfois des fractures étaient décelées, la plupart étaient cicatrisées, ce qui veut dire que la personne avait survévu à sa blessure et que cela ne voulait absolument pas dire que la blessure résultait de violences d’humain à humain. Les hommes de Néanderthal, très fins chasseurs, devaient néanmoins approcher le gros gibier de près pour le tuer et les accidents de chasse tout comme les accidents domestiques devaient être nombreux. De plus, il est prouvé archéologiquement que Néanderthal enterrait ses morts et qu’aucunes différences sociales n’ont été notées dans les sépultures.

Un grand réchauffement climatique il y a environ 12 000 ans a permis l’arrivée et la sédentarisation des premiers agriculteurs en Europe et en France depuis le proche orient. La supplantation prend plusieurs milliers d’années durant lesquelles il n’y a toujours pas de disparité sociale notoire, ni de traces de violence collective. L’établissement plus avant dans cette période du Néolithique verra les chasseurs-cueilleurs de plus en plus repoussés vers le nord et la population sédentarisée par l’agriculture et l’élevage, s’accroître. Il y aura dès ce moment un accroissement des dispartités sociales et un certain début de domination d’une frange de la population sur l’autre. C’est également à cette période que sont archéologiquement répertoriées, les premières grandes violences collectives qu’on peut appeler “guerre”. Demoule ajoute:

Ce sont dans les vallées du Nil, du Tigre et de l’Euphrate, que vont rapidement apparaître au IVème millénaire avant notre ère, les premières sociétés étatiques et urbaines du monde. Par contraste, on assistera en Europe, pendant les 4 millénaires qui vont suivre, à une alternance, selon les régions, de sociétés fortement inégalitaires et de sociétés qui le sont beaucoup moins. Après la révolution de l’agriculture en apparaît donc une autre, tout aussi fondamentale: celle de l’inégalité.

Cette situation pose plusieurs questions: y a t’il un lien nécessaire entre augmentation de la population et inégalité sociale ? Pourquoi le pouvoir (note de R71: comme organe séparé de la société) apparaît-il ? Est-il irréversible ? D’où vient la volonté de dominer ses semblables ? Pourquoi accepter d’être dominé ?

Ici, Demoule note trois faits archéologiques notoires en étudiant cette période:

  • Les progrès techniques
  • Le prestige social
  • L’émergence du pouvoir

Il poursuit:

L’ethnologie nous montre que la puissance d’un notable se fondait sur sa capacité à rassembler des richesses mais aussi à les redistribuer afin de se constituer une ‘clientèle’, elle même capable de lui venir en aide, y compris en cas d’affrontement physique. […] L’émergence des chefferies du Néolithique et des âges du bronze et du fer, comme les efforts collectifs qui les accompagnèrent, reposa sur la capacité de ces dominants à manipuler de manière efficace et subtile la force, l’intérêt matériel et les promesses spirituelles. […] Mais le pouvoir des chefs ne fut pas croissant et linéaire pendant toutes ces périodes.

De tout ceci résulta des alternances entre hautes et basses disparités en Europe. En ce qui concerne plus précisément la France, voici ce que nous dit Demoule:

C’est au IVème siècle avant notre ère, à l’âge du fer, que s’élevèrent des citadelles dans tout le quart nord-est du pays, comme celle du mont Lassois, près de Chatillon-sur-Seine, au pied duquel a été retrouvée la sompteuse tombe de la princesse de Vix. […] A partir du IIIème siècle, l’apparition des villes fortes gauloises, les oppida, fut cette fois irréversible. Ceci fut même accéléré par la conquête romaine qui dota la Gaule d’une économie urbaine sous l’égide de l’empire. Là. Les différences sociales y étaient manifestes.

Avec la division politique puis économique de la société créant les inégalités, vient se greffer une relation au pouvoir à laquelle on ne semble pas pouvoir échapper en un tel contexte: celle d’avec la religion. De fait l’État ne peut exister que de par l’alliance du chef guerrier, du prêtre et du juge, plus tard viendra se greffer à ce triumvirat du contrôle, le financier, le banquier.

Ainsi comme nous le dit Demoule: “Créant les dieux à leur image, les sociétés humaines à partir de l’âge du bronze se représentaient les puissances surnaturelles selon un panthéon hiérarchisé, organisé sous les ordres d’un roi des dieux et selon des divinités plus ou moins puissantes, au sein duquel les querelles de pouvoir n’étaient pas absentes. Une rupture radicale intervint au cours du dernier millénaire avant notre ère avec l’émergence des monothéismes. Cette notion entièrement nouvelle d’un dieu mâle unique accompagna la naissance des premiers empires et l’ambition d’une conquête universelle du monde. Cette idée apparut avec l’empire perse et le zoroastrisme, pus chez ses voisins. Le judaïsme, en étroit contact avec les Perses, la développa et le christianisme, l’un de ses prolongements, l’offrit à l’empire romain, qui l’imposa à tous ses sujets. Pourtant l’archéologie nous montre que les résistances furent fortes. Jusqu’au VIIème siècle au moins, les pratiques païennes persistèrent dans les campagnes, notamment par le dépôt d’objets dans les tombes.; et les dieux gaulois dont les noms avaient été romanisés par l’occupant, furent christianisés et transformés en saints locaux, avec leurs sources et leurs guérisons miraculeuses, tandis que les églises recouvraient les anciens sanctuaires. […] La coïncidence entre une vision impériale du monde et des promesses de bonheur futur en échange d’une obéissance présente ne peut guère être due au hasard.

Puis Demoule analyse le lien entre les religions officielles et le pouvoir politique:

Toutes les religions officielles furent étroitement liées au pouvoir politique, qu’elles justifiaient et qui les soutenait. L’église catholique représentait une force économique considérable sous le Moyen-Age et l’ancien régime, à travers les terres qu’elle possédait et par la dîme, impôt en nature ou en argent, du dixième environ des revenus, alors principalement agricoles, prélevés avant tous les autres impôts. On sait que le clergé formait le premier ordre de l’ancien régime, avant celui des nobles et du tiers d’état, qui regroupait tous les autres. Cette toute puissance de l’église, en contradiction avec l’enseignement théorique des évangiles, posa parfois problème. […]

Demoule termine son chapitre sur le pouvoir en se référant à l’anthropologue politique français Pierre Clastres (1932-1977) qui dévoua sa carrière anthropologique à l’étude du pouvoir et de l’État dans les sociétés humaines, anthropologue que nous avons nous-mêmes très souvent cité tant il est évident qu’il a mis le doigt sur une des clefs les plus importantes de l’évolution sociale humaine. Voici ce que Demoule nous dit:

Un autre ethnologue français, Pierre Clastres, a émis, pour les sociétés humaines en général, l’hypothèse que la tendance normale dans un groupe est la résistance collective aux excès du pouvoir. Dans une société encore peu complexe, les notables doivent s’attacher leurs obligés en redistribuant en permanence les richesses qu’ils réussissent à grand-peine à accumuler. Dans une société guerrière où le prestige est lié aux prouesses au combat, les grands guerriers doivent remettre sans cesse leur titre en jeu, jusqu’au jour où ils finissent par être éliminés. L’émergence de sociétés inégalitaires ne serait donc pas la norme, mais l’exception et le résultat d’un dysfonctionnement de ces mécanismes de contrôle. Finalement, l’inégalité ne serait pas naturelle…

Le livre de Jean-Paul Demoule se termine sur une question qui nous est essentielle: Qu’est-ce qu’être français(e) ?

Une nation est une âme, un principe spirtituel… C’est une grande solidarité. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible: le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune.” (Ernest Renan)

Demoule rebondit et affirme: “Qu’est-ce qu’une nation ? Elle n’est pas biologique mais ‘spirituelle’, c’est une communauté de citoyens librement consentie, en cela elle est un ‘plébiscite de tous les jours’. […] Il lui faut deux choses: le désir présent de ‘vivre ensemble’ et la possession d’un passé commun, d’un héritage collectif. Cette seconde part est justement le propos de ce livre. J’ai rappelé que l’archéologie pouvait être détournée, mise au service de mauvaises causes, avec des conséquences sanglantes. […] Comme nous l’avons vu, le premier ‘Français’ fut un émigré d’Afrique de la famille des Homo habilis et Homo erectus qui traversèrent la Méditerranée ou la contournèrent il y a environ un million et demi d’années. Une autre vague d’émigration certaine fut celle qui amena en France Homo sapiens, toujours depuis l’Afrique, à travers le proche-orient puis l’Europe orientale et centrale, il y a environ 40 000 ans. Cette nouvelle espèce, on le sait depuis peu (2010), se croisa avec les descendants locaux d’erectus, les hommes de Neanderthal. Puis une nouvelle vague d’émigration amena toujours du proche-orient, l’agriculture et l’élevage néolithiques jusqu’en France, il y a 7 à 8000 ans, absorbant les chasseurs-cueilleurs locaux. Et cela n’a jamais cessé, ne serait-ce que parce que la France est géographiquement, l’ultime péninsule de l’Eurasie et que les vagues et mouvements successifs d’émigration viennent buter sur ses côtes. […] A chacune des époques, depuis un million et demi d’années, ont vécu sur notre territoire actuel un certain nombres de communautés humaines, réunions d’individus qui souhaitaient vivre ensemble ou qui, si ce n’était plus le cas, se sont dispersés puis réunis et réorganisés autrement. C’est pourquoi, à côté du mythe de la ‘pureté’ ethnique et nationale, il faut aussi pulvériser le mythe de ‘l’origine’. Il n’y a pas d’origine de la France, pas de jour où la France aurait commencé. Certains invoquent le fameux baptême de Clovis, que je me suis efforcé, après d’autres, de démystifier.

[…] Ce n’est pas notre ascendance biologique qui nous constitue en communauté de citoyens. C’est, pour reprendre Ernest Renan, ce ‘plébiscite de tous les jours’ qui fait que nous acceptons d’être ensemble et aussi bien que nous pouvons le refuser.

Les archéologues ne sont pas seulement là pour fouiller le sol. Ils ont la belle et forte responsabilité d’expliquer à tous les résultats de leurs recherches et de chercher un sens et des clefs aux trajectoires des sociétés passées, à la façon dont elles ont pu vivre et s’organiser. Ils ont aussi la charge de dénoncer les manipulations de l’histoire. […] Cette communauté de ‘citoyens français’, en tant que nation, n’a cependant que deux siècles d’existence. Elle date de la révolution française et du romantisme, un espace-temps presque infime en regard des civilisations et des sociétés qui se sont succédées sur notre territoire depuis 1 500 000 ans, c’est à dire quelques 60 000 générations. […] Certes nous sommes français, mais nous sommes aussi européens. Ces 1500 millénaires de notre histoire ne sont pas séparables de notre continent tout entier. […] C’est le libre choix collectif qui fait qu’une communauté se fait ou se dissout, comme nous en avons vu de nombreuses s’effondrer au fil de l’histoire, surtout lorsque le pacte social était rompu et que le profit du travail collectif était trop inégalement réparti.

Nous n’avons pas besoin de mythes, nous avons besoin de savoir pourquoi nous vivons ensemble ; nous avons besoin de comprendre l’histoire du sol sur lequel nous vivons et, quels que soient les lieux où ont vécu naguère nos propres ancêtres biologiques, de connaître les impasses qui ont conduit à la catastrophe certaines des sociétés passées.

Le livre s’achève sur 20 pages d’appendices et de bibliographie.

Nous encourageons nos lecteurs à se procurer et à lire entièrement ce livre essentiel et facile à comprendre, écrit par un des plus grands archéologues français de l’ère moderne, afin de recadrer cette histoire de France enfin retrouvée.

Politique de l’histoire: La France amnésique au passé réglementé ou comment retrouver l’histoire de France ~ 2ème partie: l’affaire Clovis ~

Posted in actualité, altermondialisme, colonialisme, documentaire, France et colonialisme, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, militantisme alternatif, pédagogie libération, politique et social, politique française, résistance politique with tags , , , , , , , , , , , , on 10 mars 2017 by Résistance 71

“L’État est une société d’assurance mutuelle entre le propriétaire terrien, le général militaire, le juge, le prêtre et plus tard, le capitaliste, afin de soutenir l’autorité de l’un l’autre sur le peuple et pour exploiter la pauvreté des masses tout en s’enrichissant eux-mêmes.
Telle fut l’origine de l’État, telle fut son histoire et telle est son essence actuelle.”

~ Pierre Kropotkine ~

“Les Romains eux, ont liquidé les Celtes morceau par morceau, en leur inculquant de force une cultrure étatique entièrement contraire à la leur… Ce génocide culturel [ethnocide] des Celtes marque encore notre présent en ce qu’il est l’élan refoulé de notre passé. Le massacre de la civilisation celtique en Europe est comparable en bien des points au massacre des Indiens des Amériques quinze siècles plus tard.”

~ Alain Guillerm, CNRS, 1986 ~

 

 La France pays au passé amnésique et réglementé

 

Présentation, extraits et analyse du livre de Jean-Paul Demoule*:

“On a retrouvé l’histoire de France”, Robert Laffont, 2012 et Folio “Histoire”, 2013

 

par Résistance 71

 

Février 2017

 

1ère partie

2ème partie

3ème partie

Mis en page par Jo de JBL1960, le PDF:

On a retrouvé l’histoire de france (Jean Paul Demoule)

(*) Archéologue, professeur emeritus d’archéologie à l’université de Paris I-Sorbonne. Ancien président de l’Institut Nationale de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP) de sa création en 2002 à 2008.

 

Alors, les Romains sont-ils nos civilisateurs ?

Demoule donne des exemples de citations de livres d’histoire scolaire de la IIIème république, citons-en un pour donner le ton:

En somme, nos ancêtres gaulois étaient des sauvages aussi peu avancés que le sont à l’heure actuelle, beaucoup de nègres en Afrique. […] Aujourd’hui, quand les soldats français ou anglais se battent contre des nègres africains, ils finissent toujours par les vaincre, car ils ont sur eux l’avantage d’avoir de meilleures armes. De même les soldats romains qui envahirent la Gaule devaient finir par battre les Gaulois, car ils étaient beraucoup mieux armés.” (Gustave Hervé et Gaston Clemendot, “Histoire de France, cours élémentaire et moyen”, 1904)

Impressionnant non ? Demoule poursuit en citant un extrait de l’arrêté ministériel du 15 août 2008 sur les programmes d’histoire au primaire et au secondaire et explique:

“Moralité: les petits Français n’entendrons jamais parler des Gaulois au collège, ni après d’ailleurs. L’histoire officielle commence bien avec la Gaule romanisée…

Pourquoi donc ? A notre sens, la réponse est une hydre à plusieurs têtes dont deux principales seraient celles-ci:

  • Parce qu’il vaut mieux ne pas trop insister sur le fait que les Celtes (dont font partie les Gaulois) et leur culture se sont étendus en Europe du Danube à l’Irlande entre environ l’an 800 et la conquête romaine du 1er siècle avant notre ère. Ces sociétés ont eu un mode de vie longtemps sans centralisation et n’ont connu des institutions étatiques ou assimilées que sur la fin de leur indépendance.
  • Parce qu’aujourd’hui nos sociétés dont la France, sont toujours fondées en leurs institutions étatiques sur le droit romain, que celui-ci fut la base, avec le droit canon chrétien, du système légal en Europe et dans ses colonies à partir du XVème siècle jusqu’à aujourd’hui.

Ce qui fait dire à Demoule:

Les traces romaines sont aussi lisibles dans notre culture, qui utilise le droit romain, bien différent de la common law (droit coutumier) dans les pays anglo-saxons et qui est une des raisons de nos fréquentes difficultés de compréhension mutuelle. Notre tradition étatique, certes revivifiée par la monarchie absolue, possède en partie des racines romaines, que le christianisme, religion obligée de tout l’empire romain vers le IVème siècle de notre ère et à la structure fortement centralisée, n’a fait que renforcer. L’État est ressenti par nous comme une nécessité pour le meilleur et pour le pire, alors que dans la tradition anglo-saxonne, il n’est jamais complètement légitime.

[…] “La colonisation européenne du monde s’est accompagnée de sa christianisation, au moins pour l’Afrique, les Amériques, l’Océanie et une partie de l’Asie du Sud-Est: pour nous, la domination politique et économique est inséparable de la domination idéologique et religieuse. Et l’Islam n’a pas agi autrement. Tel n’était pourtant pas le mode de fonctionnement de l’impérialisme romain. Certes les collèges de druides, en tant que forme possible de résistance, furent rapidement interdits ; mais la défaite d’un peuple ne signifiait pas du tout qu’il devait renoncer à ses croyances et que ses dieux n’existaient pas. César pensait par exemple, que les dieux étaient partout les mêmes, mais que les différents peuples les adoraient sous différents noms. […] En définitive, les Romains ne réclamaient vraiment qu’une chose en matière de religion : qu’un culte soit rendu à l’empereur divinisé.

Puis les Romains changèrent et finirent par adopter avec l’empereur Constantin, le christianisme comme religion officielle.

De toutes les religions orientales, le monothéisme chrétien, avec son dieu (mâle) unique, s’en vint coïncider plus particulièrement avec l’idéologie impériale officielle, l’empereur était lui-même un dieu… La convergence entre les deux idéologies, l’impériale et la monothéiste était flagrante et l’habile empereur Constantin, qui d’après la légende se convertit lors de la bataille dite ‘du pont Milvius’ qui l’opposait à un de ses rivaux, le comprit fort bien. Il fit du christianisme sa religion, l’autorisa officiellement en 313 dans l’empire et établit alors une forme de théocratie. Moins de 70 ans plus tard, l’empereur Théodose, le dernier à régner sur tout l’empire, l’imposa comme religion unique à l’exclusion de toutes les autres, dès lors violemment persécutées. Car l’originalité si l’on peut dire, des 3 monothéismes modernes par rapport aux polythéismes antérieurs, c’est qu’ils entendent chacun détenir la seule vérité à imposer à tous par la violence au besoin, dans une vision précisément impériale, sinon totalitaire.

[…] Etrange coïncidence que cette forte affinité entre l’idée impériale, avec son pouvoir absolu et les religions monothéistes promettant, sous l’égide d’un dieu unique, le bonheur futur en échange de l’obéissance présente !…On est bien loin de l’imagerie traditionnelle des chrétiens isolés et minoritaires, mourant dans le martyre pour leur foi. Comme l’a écrit en 1902 le théologien excommunié et professeur au Collège de France Albert Loisy: ‘Le christ a annoncé le royaume, mais c’est l’église qui est venue.’ Autrement dit, l’annonce d’un monde meilleur imminent, omniprésent dans les évangiles, a rapidement fait place à un système de pouvoir institutionnel d’une grande efficacité, fondé sur la promesse d’un bonheur limité à l’au-delà et d’une bien lointaine résurrection. Ainsi la conquête romaine de la Gaule, ou plutôt des Gaules, fut un moment décisif de notre histoire… Elle nous a laissé des héritages fondamentaux, depuis notre langue jusqu’à notre calendrier, depuis le christianisme à la viticulture.

[…] L’archéologie préventive de ces dernières années en a complètement bouleversé la vision. Ce ne sont pas des Gaulois hauts en couleur mais barbares, vivant dans des huttes au milieu des forêts qui auraient été ‘civilisés’ par leurs vainqueurs ; ce sont des sociétés prospères, à l’économie et aux techniques inventives et dynamiques, possédant villes et battant monnaie, qui furent intégrées avec succès dans un empire naissant, qu’elles fécondèrent d’autant. Nous allons voir de même, grâce à l’archéologie, que le début du Moyen-Age n’a pas vu non plus la mise à bas de la brillante civilisation antique par des hordes barbares assoiffées de sang…

A partir du chapitre 5, Jean-Paul Demoule adresse la période du moyen-âge, spécifiquement ce moment considéré par l’histoire “orthodoxe” de l’état français comme “fondateur” de ce qui est appelé “l’identité nationale”: la conversion au christianisme et le baptême de Clovis, roi des Francs, petit-fils du roi Mérovée, point de départ de la dynastie des Mérovingiens et des “rois fainéants.

Résumons l’affaire Clovis: On nous dit que durant la bataille de Zülpich (Tolbiac) en Allemagne menée contre les Alamans, Clovis invoque le dieu de Clotilde, princesse burgonde qui deviendra sa femme. Demoule poursuit:

Clotilde et son dieu civilisèrent ainsi le fier chef franc, souverain de l’une de ces peuplades barbares, qui, au temps des invasions du même nom, mirent à bas l’empire romain. Il venait, à la bataille de Soissons (celle du fameux vase), de prendre le contrôle d’une des dernières régions restées romaines et de libérer ainsi la Gaule du joug romain. Mais tandis que ses semblables ravageaient le reste de l’Empire et terrorisaient les habitants, Clovis par cette conversion au christianisme devenait le fondateur d’une France monarchique et chrétienne, qui succédait à une Gaule romaine païenne.” Ceci mis à part quand même le “don de Constantin” et l’imposition par le dernier empereur Théodose du christianisme comme religion officielle de l’Empire, persécutant les autres.

Ceci est la trame officielle du mythe fondateur de la France.

Que nous en dit la recherche historique:

Pourtant rien dans ce grand récit fondateur qui ne soit faux, inexact, incertain ou, au mieux, indécidable. La date même de 496 est discutée par les historiens. 498 étant la plus probable. […] Reims n’est pas certain comme lieu du sacre et n’est nulle part mentionné dans les chroniques anciennes, mais déduit de ce que Rémi y était évêque. […] La fameuse bataille n’a pas forcément eu lieu à Tolbiac, car il y en eut plusieurs contre les Alamans et Grégoire de Tours en mentionne au moins deux bien distinctes. La fameuse colombe [qui apporta la sainte ampoule d’huile à sacrement des rois, ampoule qui fut détruite à la révolution] merveilleuse n’apparaît pas avant le récit d’Hincmar au IXème siècle, les écrouelles ne seront pas guéries avant Robert le Pieux au XIème siècle, l’identification de l’ampoule du baptême et celle du sacre des rois ne date que du XIIème siècle et de Louis VI dit Le Gros, les fleurs de Lys ne deviennent un emblème royal qu’avec Louis VIII au XIIIème siècle…

Mais la plus grosse disparité historique porte sur la signification même de l’évènement Clovis puisque nous dit Demoule:

Le contresens le plus grave est sur sa signification historique. En 496 (ou 498), la Gaule était officiellement chrétienne depuis un siècle déjà. Comme nous l’avons vu, le christianisme, modeste hérésie juive en ses débuts, se répandit en effet rapidement, malgré quelques persécutions, dans une bonne partie des élites urbaines de l’Empire romain, avant d’être imposé par l’empereur Théodose en 380 comme seule religion. C’est que cette idée d’un dieu unique correspondait tout à fait à celle d’un empire possiblement universel. Le plus ancien monothéisme connu est celui de la religion d’Aton en Egypte au XIVème siècle avant notre ère, au moment où cet empire atteignait sa plus grande extension ; et il fut suivi du zoroastrisme de l’empire perse, le plus grand empire de l’antiquité, dont on admet l’influence sur le judaïsme, pendant la captivité des élites juives à Babylone. […] Le culte des saints et des reliques sont autant de pratiques païennes qui rendaient le christianisme plus aisé à assimiler, tandis que l’on christianisait les divinités et les lieux de culte traditionnels. […] Ainsi la conversion de Clovis n’avait rien d’une rencontre mystique, voire d’un geste d’amour envers Clotilde: c’était un geste éminemment politique, sinon opportuniste, d’un chef de guerre (par ailleurs polygame) soucieux d’assimilation au sein d’un empire très prestigieux… […] Le prince Vladimir souverain de la Russie de Kiev, ne ferait pas autrement par sa conversion en l’an 988, tout comme à la même époque, en 966, le roi de Pologne Mieszko 1er.

Si on peut relever tant d’imperfections et d’erreurs dans le narratif, dévoilées pas à pas par l’archéologie préventive, qu’en est-il donc de la chute de l’empire romain ? Peut-on se fier au narratif des invasions barbares mettant à bas un empire déclinant ? Voici ce que nous en dit Demoule:

En fait, c’est toute notre conception de la ‘chute’ de l’empire romain qui a été remise en cause ces dernières années par les fouilles archéologiques et la relecture des textes historiques. Les peuples dits ‘barbares’ n’ont pas déferlé soudainement sur un empire riche et paisible, le mettant à bas d’un coup. Ces peuples étrangers étaient en fait fascinés par l’empire et désiraient s’y intégrer. L’Empire, pragmatique, conclut donc des traités avec eux, leur conférant des territoires, avec le titre de ‘fédérés’ (du latin “fœdus, “traité”). Ainsi les Wisigoths furent installés en Aquitaine par un traité de 418 (leur roi Athaulf épousa la fille de l’empereur Théodose , Galla Placidia, dont on peut visiter le mausolée à Ravenne), les Burgondes dans la région de Genève en 453 et les Francs Saliens juste avant dans le nord de la France et la Belgique. L’armée romaine contenait de forts contingents de barbares fédérés y compris des Huns ; et la fameuse bataille de Champs catalauniques en 451, considérée comme le choc emblématique de la civilisation romaine contre les forces du Mal, les Huns d’Attila, le ‘fléau de dieu’ (en fait un prince romanisé et très cultivé), opposait en réalité deux coalitions de peuples pour la plupart germaniques… L’archéologie montre bien que les invasions barbares n’ont rien eu d’un “choc des civilisations”. […] Clovis lui-même portait le titre de ‘consul romain’, qui lui avait été conféré par l’empereur de Byzance, toujours souverain théorique de tout l’empire, et Charlemagne, encore trois siècles plus tard, se ferait représenter en empereur romain. Même l’empire autrichien se réclamerait à son tour de cet héritage par son nom de ‘saint empire romain germanique’, jusqu’au début du XIXème siècle.

[…] C’est donc par anachronisme que nous nous représentons les peuples barbares comme autant de nations homogènes, au sens moderne du terme, qui auraient déferlé sur l’empire. Il s’agissait en fait de rassemblements temporaires de populations sous des commandements militaires provisoires, qui ne se transformèrent en dynasties héréditaires que tardivement et qui cherchaient à s’assimiler ; si bien qu’il n’y eut jamais de ‘chute’ de l’empire romain, mais une lente transformation sous des modes et à des rythmes différents selon les régions.

[…] Ainsi les Wisigoths, sans doute le peuple le plus prestigieux du temps, venus des bords de la Mer Noire via les Balkans et installés en 418 en Aquitaine par traité, pratiquaient ils l’arianisme, une hérésie qui réfutait la divinité du christ. La capitale de leur royaume était à Toulouse et leur impressionnant palais du Vème siècle a été découvert et fouillé à la fin des années 1980. Pourtant la municipalité l’a fait détruire, sans égard pour l’un des épisodes les plus marquants de l’histoire de la ville.

[…] Mais force est de constater que ces évènements n’ont laissé que fort peu de traces matérielles de destructions massives. L’empire romain lui-même ne s’était construit que dans la violence, contre des populations conquises et le plus souvent entre factions rivalisant pour le pouvoir et l’histoire de l’Europe serait faite ensuite de guerres permanentes, jusqu’à au moins la fin du XXème siècle.

Ainsi la vision catastrophiste et misérabiliste des premiers siècles du Moyen-Age repose ainsi sur des non-dits honteux de notre histoire officielle. Premier non-dit: les Francs sont des Germains ! Cette évidence était douloureuse à clamer lorsque se sont mis en place les manuels scolaires de la IIIème république, ceux de l’école pour la première fois dispensée à tous les enfants de France, alors même que le pays venait d’être vaincu par les Allemands et amputé de l’Alsace-Lorraine. Pire encore ils ont laissé leur nom à notre pays (Frankreich en allemand veut dire “empire des Francs”).

[…] Deux remèdes contradictoires ont été essayés contre cette intenable ascendance germanique. D’une part on a jeté l’opprobe sur la période: c’était celle des “rois fainéants”, qui se traînaient de place en place allongés dans leur lourd char à bœufs et ne cessaient de règler dans la cruauté et l’ignominie leurs sanglantes querelles dynastiques. D’autre par ceux qui étaient rachetables ont été “francisés”: Charlemagne, appelé Karl der Grosse en Allemagne puisque son empire s’étendait sur les deux pays actuels, porte un nom bien français, tout comme sa capitale Aix la Chapelle, dont aucun manuel scolaire ne relève le fait que cette ville n’est autre que Aachen, ville allemande, à la consonnance elle bien germanique.

[…] Le second non-dit est que ces ancêtres francs dont le nom nous désigne ont finalement été vaincus, ce qui n’est pas très glorieux. Non pas vaincus militairement comme les Gaulois, mais vaincus culturellement.

[…] Difficile donc, pour nous autres Français dont le nationalisme agace parfois, de nous revendiquer de deux peuples ancestraux, Gaulois et Francs, tous deux vaincus ! Cela explique en partie le mal qu’ont souvent nos responsables politiques à assumer la préservation de notre patrimoine archéologique et le dédain stupéfiant qu’il leur arrive de manifester pour nos archives du sol.

Il est intéressant de noter que le Moyen-Age possède une aura de négativité dans la représentation historique de notre histoire, alors oui ce fut le temps des croisades, vu par beaucoup comme le début de l’ère coloniale chrétienne, ce fut également le temps de l’inquisition, de la chasse aux sorcières et aux hérétiques du dogme catholique. Cette période est vue comme inquiétante, obscure, obscurantiste, peuplée dans l’imaginaire populaire de dragons et d’épée magique, de mages et de sombres et humides forteresses. Mais, continue Demoule: “Ce Moyen-Age officiel représente une vision bien appauvrie de l’histoire réelle, ne serait-ce que parce que le vrai Moyen-Age a duré un millénaire du Vème au XVème siècles et que bien des évènements et des sociétés s’y sont succédés. Les emblématiques châteaux forts par exemple, n’apparaissent que dans ses tous derniers siècles et ne sont que l’une des formes de résidence de l’aristocratie. Loin d’être une période de régression, une ‘longue nuit barbare’, comme l’ont qualifié certains historiens, c’est au contraire une période d’inventions techniques et d’aménagements du territoire, qui modèlent encore notre paysage et notre cadre de vie. C’est aussi une période de renouveau politique car, sans compter de régulières jacqueries dans les campagnes, la bourgeoisie des villes à partir du XIIème siècle, revendique son autonomie vis à vis des pouvoirs laïques comme religieux et ouvre la voie à de nouvelles conceptions de la société.

Ainsi, avec cette anlayse archéologico-historique, Demoule rejoint-il l’analyse de Pierre Kropotkine de la fin du XIXème siècle, lorsque le scientifique anarchiste, père de la sociobiologie, analysait les cités médiévales indépendantes et fédérées comme autant de preuves du succès de l’organisation décentralisées des villes, des communes en une confédération volontaire de l’intérêt général, certes très imparfaite. Ce fut loin d’être parfait bien entendu et les cités périrent de leur arrogance envers les peuples des campagnes, mais le potentiel structurel d’une société confédérée et décentralisée est démontré par l’histoire.

Tout au long du Moyen-Age, le contrôle des ressources naturelles ne fit que se renforcer tandis que les techniques se perfectionnaient, au point que l’on peut parler à la suite de l’historien Jean Gimpel d’une première révolution industrielle qui précéda et prépara celle du XIXème siècle. C’est le Moyen-Age en effet qui inventa la haut fourneau et la fabrication de la fonte de fer, commença à exploiter le charbon et non plus seulement le charbon de bois, multiplia les moulins le long des cours d’eau… Aussi, la forêt que l’on imagine partout présente au Moyen-Age, voire oppressante, à l’image de celle de Sherwood dans Robin des Bois ou celles des contes pour enfants, était en fait très restreinte, comme elle l’était à l’époque gauloise et romaine, et le paysage y était très ouvert. La seconde moitié du Moyen-Age s’efforça d’ailleurs de reconstituer en partie les espaces forestiers dont le recul inquiètait déjà Charlemagne.

[…] La christianisation fut pourtant très progressive… la religion [pourtant répandu dans l’empire romain depuis le Ier siècle] était surtout urbaine, les campagnes mérovingiennes continuèrent visiblement à pratiquer les rites païens anciens. […] La nouvelle religion dut d’ailleurs s’adapter, le culte des saints, ces êtres semi-divins, qui prodiguent leurs miracles, fut une manière de prolonger le polythéisme antique et ses rituels familiers, tout comme le culte des reliques. Les fêtes et les lieux sacrés traditionnels furent investis par le christianisme, qui assimila ainsi les pratiques anciennes comme l’avaient fait les Romains avec les cultes celtiques.

[…] Ainsi la christianisation fut d’autant moins générale que d’autres communautés religieuses, voire ethniques, existaient aussi sur le territoire français actuel. […] Par migrations, mais aussi par conversions (comme dans l’empire khazar du Caucase au VIIIème siècle), le judaïsme s’est répandu dans tout l’empire romain et au-delà, parallèlement au christianisme. L’histoire de ces communautés juives est un des grands blancs de notre histoire nationale et n’apparaît dans pratiquement aucun manuel scolaire et fort peu dans les grands livres d’histoire. […]

A suivre…

Politique de l’histoire: La France amnésique au passé réglementé ou comment retrouver l’histoire de France ~ 1ère partie ~

Posted in actualité, documentaire, France et colonialisme, militantisme alternatif, politique et social, politique française, résistance politique with tags , , , , , , , , , on 6 mars 2017 by Résistance 71

“Le 7 mai 2010, une nouvelle extraordinaire est tombée. Une équipe internationale de chercheurs, menée par Svante Pääbo de l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutionniste (Leipzig, Allemagne) et Richard Green professeur à l’université de Californie, a mis en évidence l’existence de croisements entre des Néanderthaliens et des premiers Hommes anatomiquement modernes…”

“La question qui se pose à nous est: comment accepter une humanité plurielle ?[…] Contrairement aux peuples traditionnels, nous n’aspirons qu’à dominer les êtres et les choses qui nous entourent. Nous ne sommes plus en symbiose avec la nature, nous sommes comme l’a écrit Vercors, ‘des animaux dénaturés’.”

~ Marylène Patou-Mathis ~

 “La relation politique de pouvoir précède et fonde la relation économique d’exploitation. Avant d’être économique, l’aliénation est politique, le pouvoir est avant le travail. L’économique est une dérive du politique, l’émergence de l’État détermine l’apparition des classes.”

~ Pierre Clastres ~

 

A lire aussi: « Barbares et civilisation » de Jean-Paul Demoule

 

Mis en page par Jo de JBL1960, le PDF:

On a retrouvé l’histoire de france (Jean Paul Demoule)

 

La France pays au passé amnésique et réglementé

Présentation, extraits et analyse du livre de Jean-Paul Demoule*:

“On a retrouvé l’histoire de France”, Robert Laffont, 2012 et Folio “Histoire”, 2013

 

par Résistance 71

 

Février 2017

 

1ère partie

2ème partie

3ème partie

 

(*) Archéologue, professeur emeritus d’archéologie à l’université de Paris I-Sorbonne. Ancien président de l’Institut Nationale de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP) de sa création en 2002 à 2008.

“Ne pas connaître l’histoire c’est comme être né hier” disait à juste titre le grand historien américain Howard Zinn, que nous avons abondamment publié et aussi traduit. Le monde dans lequel nous vivons, dans lequel nous sommes forcés de vivre pourrions nous plus judicieusement dire, s’avère être de plus en plus le monde de l’illusion et du mensonge ; illusion et mensonge perpétrés afin de satisfaire aux dogmes de la pensée oligarchique dominante.

A cet effet, la science a été souvent détournée. Les sciences humaines, dont l’enseignement disparaît petit à petit de nos programmes éducatifs occidentaux, n’échappant pas à la règle, bien au contraire.

Ainsi, suivant le même chemin qui veuille que connaître le passé nous permet de mieux connaître et d’analyser le présent afin de mieux anticiper le futur ; contrôler le narratif du passé permet de justifier des actions présentes et futures, actions basées sur des décisions politiques et économiques qui influent sur tout à chacun.

Dans notre société en déliquescence totale et à l’heure où le danger identitaire et communautaire ressurgit, poussé par des contraintes socio-économiques grandissantes, à quel passé peut-on se fier pour mieux comprendre ce qui nous arrive et y apporter les solutions adéquates ? Celui des livres d’histoire ? Celui le la doxa républicaine ? Ou doit-on chercher hors des sentiers (ra)battus ce que nous dit la recherche de terrain.

L’archéologue et ancien directeur de l’INRAP, Jean-Paul Demoule, dans la lignée des grands anthropologues politiques français Pierre Clastres, Jacques Lizot, Robert Jaulin, de la paléonthologue Marylène Patou-Mathis, de l’historienne Annie Lacroix-Riz et des anthropologues et historiens anglo-saxons Marshall Sahlins, James C. Scott, David Graeber, Howard Zinn, nous emmène avec cet ouvrage nécessaire “On a retrouvé l’histoire de France”, sur les traces de nos origines, au-delà de la sélection, de l’amnésie et de la réglementation d’état auxquelles elles sont soumises.

Nous vous proposons ici un bref survol de ce qui est abordé dans les 353 pages de l’édition Folio au gré de quelques citations et analyses. Nous encourageons bien entendu tous nos lecteurs à lire cet ouvrage facile d’accès, utilisant un langage commun compréhensible de tous et nous éclairant les dernières découvertes sur l’histoire de France grâce aux analyses archéologiques de terrain mettant à bas mythes et affabulations colportés par des générations de livres d’histoire biaisés ou carrément falsifiés.

En conclusion de son livre, Demoule nous dit ceci: “Les archéologues ne sont donc pas seulement là pour fouiller le sol… Ils ont aussi la charge de dénoncer les manipulations de l’histoire.”, puis: “Nous n’avons pas besoin de mythes, nous avons besoin de savoir pourquoi nous vivons ensemble, nous avons besoin de comprendre l’histoire du sol sur lequel nous vivons et quelques soient les lieux où ont vécu naguère nos propres ancêtres biologiques, de connaître les impasses qui ont conduit à la catastrophe certaine des sociétés passées.

C’est ce qu’il nous invite à découvrir au fil du narratif dévoilé par l’archéologie préventive moderne dont il fut l’un des grands initiateurs en France.

Le livre est divisé en deux parties comprenant au total 11 chapitres. La première partie intitulée “Au Gaulois inconnu”, nous emmène de la préhistoire (paléolithique) au moyen-âge et termine sur les fouilles du XXème siècle. La seconde partie intitulée “Les leçons de l’archéologie” nous emmène sur les traces des faussaires du passé et se termine en répondant à la question “Qu’est-ce qu’être français(e) ?

Au-delà des dogmes établis et argumentée par des années d’étude et d’expérience de terrain sur les sites archéologiques de France, la recherche et l’analyse de Jean-Paul Demoule nous aide à fondamentalement réviser notre histoire de France et à mettre à bas certains mythes tenaces que tout nationalisme émergent dans des temps difficiles tend à remettre au goût du jour. Alors, si vous êtes toujours convaincu que le baptême de Clovis a été le moment fondateur de l’identité française, attendez-vous à un choc… et lisez la suite.

Dans son avant-propos Demoule nous dit ceci:

On exalte la grandeur du passé et de ses monuments, de Louis XIV à Napoléon, du Mont-Saint-Michel à la tour Eiffel, mais l’enseignement de l’histoire est supprimé dans les classes de terminales scientifiques, soit pour la moitié des candidats au bac en général. Ni les collégiens ni les lycéens ne reçoivent de cours sur la période de l’histoire qui s’étend des premiers hommes jusqu’à l’arrivée des Romains en Gaule !

[…] Entre doctrines d’État inapplicables, programmes scolaires sélectifs, mémoire collective défaillante et lieux communs culturels, ce que les Françaises et les Français pensent savoir de leur propre passé est donc bien incertain. Le propos de ce livre est, à la faveur des fouilles archéologiques les plus récentes menées en France, fouilles préventives pour la plupart, de remettre en cause une grande part des clichés que nous véhiculons malgré nous.

Il resitue également à juste titre ce qu’est l’archéologie: “… une science qui se pratique après de nombreuses années d’études universitaires. Beaucoup d’autres disciplines collaborent avec elle. […] au delà de ces sciences de la nature, le dialogue avec d’autres sciences humaines comme l’ethnologie, l’histoire, la géographie, la sociologie voire même la philosophie, permet de comprendre la trajectoire passée des sociétés et de réfléchir à leur avenir…

Dans le domaine de la préhistoire, Demoule nous met en garde contre bien des mythes sur nos lointains ancêtres et nous confirme que l’archéologie récente a permis d’établir que “Ces ‘premiers Français’ sont des immigrants. Ils sont venus en lentes étapes, d’Afrique où leur espèce a émergé progressivement il y a environ 1,6 millions d’années. […] L’Homo erectus, au fil du temps, évolua lentement en Europe vers une nouvelle forme: l’homme de Néanderthal, qui émergea vers 300 000 ans avant notre ère. Le premier specimen fut découvert en 1856, au moment où l’existence d’Homo erectus allait être reconnue, dans la vallée de Neander, une petite vallée (Thal) près de Düsseldorf. […] Un coup de tonnerre génétique retentit en mai 2010. Les Européens et les Asiatiques actuels avaient environ 4% de leurs gènes directement issus de l’homme de Néanderthal. Les deux espèces (Néanderthal et Cro-Magnon) avaient donc frayé l’une avec l’autre, des couples s’étaient rencontrés et aimés. Et nous étions déjà des métis !

De la préhistoire, Demoule tire quelques leçons du premier million et demi d’années d’histoire de France: “… Il n’y a pas de sociétés plus ‘évoluées’ que d’autres, mais des sociétés plus ou moins adaptées à leur environnment, des sociétés dont les techniques sont plus complexes que d’autres. […] On mangeait plus sainement il y a 20 000 ans qu’aujourd’hui ! Autre leçon: il n’y a pas de sociétés humaines autochtones et ‘pures’. Dès les temps les plus anciens, les groupes humains ont voyagé et se sont mêlés. L’une des plus fascinantes découvertes de ces dernières années n’est-elle pas que des femmes et des hommes de Neanderthal se sont unis à des hommes et des femmes de la nouvelle espèce dite Homo sapiens, venue d’Afrique et que de ces rencontres amoureuses nous sommes directement issus ?

La période narrée ensuite est cette période perçue comme très importante dans l’évolution de la société humaine, la période du néolithique qui s’étend de – 6000 à – 2200 avant notre ère.

Dans cette partie du livre, Demoule commence par expliquer, pour mieux comprendre les tenants et aboutissants, la politique éducative française en citant un petit opuscule produit par l’Éducation Nationale de 96 pages, qui fut distribué gratuitement dans les écoles primaires à la rentrée scolaire 2008. Cet opuscule avait pour vocation d’être un guide pratique pour les parents: “Votre enfant à l’école, CP-CM2”. Le livret détaille les programmes répartis en 6 sections, la dernière étant “la culture humaniste”. Cette matière regroupe l’histoire, la géographie, l’instruction civique et l’histoire des arts. Ceci représente déjà en soi, un sérieux recul pédagogique puisque l’histoire et la géographie n’y sont plus vues comme des matières à part entière, mais comme des parties d’un grand fourre-tout pour sciences humaines en école primaire. Bref. Voici ce que le sommaire en histoire nationale énumère:

  • La préhistoire: premières traces de vie humaine, maîtrise du fer et début de l’agriculture, l’apparition de l’art. L’homme de Tautavel, il y a près de 500 000 ans. Les grottes de Lascaux il y a 17 000 ans.
  • L’antiquité: Les Gaulois, la romanisation de la Gaule et la christianisation du monde gallo-romain. Jules César et Vercingétorix: 52 avant notre ère. Alésia.

Ici Demoule remarque plusieurs choses qui n’ont pas semblé choquer ni importuner les caciques de l’Éducation Nationale: dans un premier temps, la période de l’homme de Tautavel qui a vécu avant Néanderthal entre – 400 000 et – 350 000 ans, ce qui d’après le programme de l’EN représente une toute petite erreur de juste 150 000 ans, une paille. L’origine de l’histoire officielle de notre pays commence d’emblée avec 150 000 ans d’erreur. Demoule note également qu’après cela, l’ordre des évènements est inversé dans le programme scolaire. En réalité, il y a d’abord eu l’apparition de l’art vers – 35000 ans, puis les débuts de l’agriculture il y a quelques 7800 ans et enfin la maîtrise du fer il y a quelques 2800 ans, en France. Sachant que la maîtrise du fer est l’œuvre des Celtes (Gaulois dans cette partie de l’Europe) et que donc elle fait partie de l’antiquité et non plus de la préhistoire. Dans cette chronologie, officielle, rappelons-le, il ne se passe apparemment rien entre les débuts de l’agriculture et la maîtrise du fer, c’est à dire pendant plus de 5000 ans ! Une autre paille n’est-il pas ?…

Demoule résume la situation ainsi: “Entre les premières traces de la vie humaine sur lesquelles on ne reviendra pas (NdR: puisqu’étudié en primaire) et les “grandes civilisations” étatiques et urbaines de l’Egypte et de la Mésopotamie, il ne s’est rien passé ! Ces “grandes civilisations” ont surgi de nulle part il y a 5000 ans. Comment et pourquoi s’est produite l’invention de l’agriculture, cette révolution majeure de l’histoire humaine, celle dont découle, plus que toute autre, notre présent ? Pourquoi et comment sont apparues ensuite les premières sociétés inégalitaires, sans lesquelles les “grandes civilisations” n’auraient pu naître ? Enfin, la Gaule avant sa romanisation, est-elle aussi laissée à l’école primaire. On n’y reviendra donc pas non plus, se contentant donc d’étudier Rome et son empire, dont fait implicitement partie la Gaule romanisée… Ces silences assourdissants ne sont pas innocents. Ils ne résultent certes pas d’un noir complot, mais trahissent inconsciemment de la part des auteurs des programmes, qu’ils soient pédagogues, admnistrateurs ou hommes politiques, au mieux une inculture, au pire des a priori idéologiques accablants.

Après une période glaciaire de 100 000 ans, le climat se réchauffa il y a 12 000 ans ce qui donna des conditions environnementales bien plus clémentes. C’est à ce moment que se produisirent les premières expériences de domestication animale et le développement d’une agriculture sédentaires.

Ainsi “c’est vers – 6500 ans que ces communautés d’agriculteurs prirent pied d’abord dans la péninsule balkanique et allaient ensuite, en à peine 2 millénaires, se répandre dans toute l’Europe jusqu’à l’Atlantique. Ce mouvement progressif se fit selon deux voies. D’une part le long des côtes de la Méditerranée, atteignant ainsi le sud de la France vers -5800 ans ; d’autre part en remontant le bassin du Danube, ils franchirent le Rhin vers -5300 ans. Notre territoire fut en quelque sorte pris en tenaille entre ces deux courants migratoires, issus d’une même origine et qui se retrouvèrent à nouveau, deux millénaires plus tard, dans la partie centrale de la France.

Ces agriculteurs eurent une démographie galopante et le peuplement des zones se déroula de plus en plus vite.

A partir de -4500 ans les principales régions fertiles du continent européen se développent et les humains se regroupent en villages ne dépassant pas 100 à 200 personnes. Concernant l’organisation sociale, Demoule explique: “L’organisation socale demeurait simple. Les tombes ne montrent aucune forte différence sociale.

Selon les endroits, des sociétés commencent à développer certaines inégalités sociales, ainsi c’est à Varna en Bulgarie qu’ont été retrouvés les tous premiers objets en or, datés de -6500 ans avant notre ère.

“C’est pourquoi on parle à partir de cette époque, et par opposition aux sociétés villageoises faiblememt inégalitaires des premiers temps du Néolithique, de “sociétés à chefferie”. Mais comment et pourquoi les chefs sont-ils apparus ? Est-ce vraiment de l’ordre inévitable des choses ? Au fond, fallait-il des chefs ? On ne peut se contenter d’affirmer que des chefs étaient indispensables pour organiser une population de plus en plus nombreuse, car il y a eu de temps à autre, au fil de l’histoire, des sociétés démocratiques qui n’avaient pas de chefs permanents et en tout cas pas de chefs dont la richesse soit sans commune mesure avec celle de leurs sujets.

Demoule continue de poser les bonnes questions:

“Deux questions se posent: il y a 6500 ans comme maintenant, pourquoi certains individus éprouvent-ils une telle soif de pouvoir ? Une telle “volonté de puissance ‘ pour reprendre le terme du philosophe Friedrich Nietzsche ? Mais aussi symétriquement, pourquoi la société accepte t’elle de subir de telles inégalités ? Pourquoi cette “servitude volontaire’, comme l’a désignée il y a déjà 5 siècles, l’ami de Montaigne, Etienne de la Boétie ?

Les historiens et les ethnologues nous sont d’un certain secours. Ils nous montrent que, la plupart du temps, les rois ou les chefs importants légitiment leur pouvoir en invoquant la volonté de puissances surnaturelles. Les rois de France étaient proclâmés de ‘droit divin’ ; ils étaient, lors de leurs sacres, oints d’une huile sainte apportée du ciel par une colombe… Les empereurs du Japon descendent en droite ligne d’Amarerasu, la déesse du soleil, grand-mère du premier empereur dont l’emblème figure sur le drapeau nippon. La plupart des souverains de royaumes musulmans sont issus du prophète. Le président des Etats-Unis jure sur la bible le jour de son investiture, ce qui signifie que son pouvoir est placé sous la garantie du dieu des chrétiens (voire des juifs et des musulmans). Les pharaons descendaient du dieu solaire Horus. […] En résumé, tout pouvoir politique fort semble partout inséparable d’une relation avec des puissances surnaturelles.

Ainsi, de l’émergence politico-religieuse du pouvoir au Néolithique, Demoule nous dit:

“Ce nouvel ordre social inégalitaire, où la société des dieux est construite à l’image de celle des Hommes et sert à la justifier, repose sur la violence, puisqu’il affirme que certains valent mieux et méritent plus que d’autres.”

Commence alors une nouvelle révolution, technologique celle-là puisque débute l’ère de la métallurgie, celle du cuivre. Née dans les Balkans, elle diffuse vers l’occident et atteint la France vers -3500. Ce métal était essentiellement utilisé à des fin décoratrices et de coloration car c’est un métal mou dont on ne peut faire ni des outils ni des armes. C’est par l’ajout au cuivre d’un autre métal, l’étain que naîtra le bronze, plus résistant et qui verra vers -2200 ses débuts en France. Ce sera ensuite au Proche-Orient que naîtra le fer, à la fois plus résistant que le bronze et aussi bien plus répandu dans la nature. Avec l’âge du bronze, puis celui de fer, naîtra et se renforcera l’épée, grande révolution technologique militaire qui renforcera les disparités. Demoule enchaîne:

“[…] En Europe où l’espace abondait, les villes et les états mettront près de 4000 ans supplémentaires à apparaître [en comparaison avec l’Egypte et la Mésopotamie], en commençant avec la Grèce et l’Italie, précisément d’étroites péninsules où les terres fertiles manquaient.

“[…] C’est également au cours de l’âge du bronze que durent être élaborées les mythologies guerrières que l’on retrouve d’un bout à l’autre de notre continent lorsque nous disposons de textes (les premiers !) qui nous montrent des similitudes entre les dieux et les héros romains, celtes et germains ainsi que ceux d’autres peuples. […] Ainsi les linguistes ont rassemblé dès le début du XIXème siècle dans une famille linguistique unique, dite “indo-européenne”, comme il y a une famille de langues finno-ougriennes (finlandais, hongrois, langues sibériennes), une famille des langues sémitiques (arabe, hébreu, araméen) etc. Mais il n’y a à ce jour aucun consensus parmi les archéologues pour fixer le berceau géographique originel d’un hypothétique peuple indo-européen originel, ni pour retrouver ses déplacements ultérieurs dans l’espace.” Ainsi semble vouloir aussi s’effriter donc, le mythe de notre origine dite “indo-européenne”… Place donc à nos “ancêtres les Gaulois” et à d’autres manipulations de l’histoire.

Dans un premier temps, nos livres d’histoire sont particulièrement silencieux sur la période de l’Europe celtique qui s’est étendue de vers l’an 800 avant notre ère jusqu’à la conquête romaine. De plus, le seul écrit dont nous disposons en référence à la conquête de la Gaule par les Romains est le livre de Jules César “La guerre des Gaules”, que César compila l’hiver qui suivit la défaire gauloise d’Alésia. Nous disons “compila”, parce que le livre est essentiellement une synthèse des rapports que César envoyait au sénat de Rome pour rendre compte de ses campagnes et continuer d’être soutenu et validé par l’état romain dans ses conquêtes. “La guerre des Gaules” peut et doit donc être vu comme un ouvrage de propagande glorifiant son auteur. Comme nous le dit Demoule: “César doit expliquer pourquoi il s’est lancé en six ans de conquête de l’ensemble de la Gaule, ce que personne ne lui demandait, mais qui lui a permis d’amasser des forces militaires considérables. Il doit donc présenter ses adversaires comme des barbares dangereux afin de ne pas diminuer ses propres mérites militaires.” Ceci constitue la première déformation historique ; la seconde, près de 2000 ans plus tard, au XIXème siècle dans la foulée de la révolution française et la construction de l’identité nationale.

“Avant, il n’y avait pas de nations, mais seulement les sujets souverains de droit divin, qui agrandissaient leurs royaumes au gré des guerres ou des mariages, ou les voyaient aussi se rétrécir. Désormais, les nations sont des nations des “communautés de citoyens”, animées par un même destin depuis des temps immémoriaux. […] La France donc, à partir de la révolution, s’enracine dans la “Gaule” et nos ancêtres sont les “Gaulois”. Comme ils sont finalement vaincus, tout comme la France le sera par la Prusse en 1870, les historiens français appliqueront inconsciemment le modèle du récit chrétien: Vercingétorix, qui se livre aux Romains, est un peu comme le Christ, qui se sacrifie pour nos pêchés, tué d’ailleurs par ces mêmes Romains quelques quatre-vingts ans plus tard. Le héros gaulois dans l’iconographie du XIXème siècle, en a souvent la même coiffure blonde. Le modèle chrétien permert d’admettre et de penser la construction d’un mythe national sur un évènement peu glorieux: une défaite.

Et pourtant, la Gaule n’a jamais existé. César le dit lui-même dès la première (et célèbre) phrase de son livre: ‘toute la Gaule est divisée en trois parties, dont l’une est habitée par les Belges, l’autre par les Aquitains, la troisième par ceux qui, dans leur langue, se nomment Celtes et dans la nôtre Gaulois. Ils diffèrent entre eux par le langage, les institutions et les lois.’ Autrement dit, la ‘Gaule’ n’est qu’un espace géographique, lui même habité par des peuples très différents les uns des autres dont certains sont appelés “Gaulois” par les Romains. […] Au cours de la guerre des Gaules, certains de ces peuples lutteront contre les Romains, d’autres à leurs côtés, parfois au prix de renversements d’alliances, un peu comme les chefs de guerre de notre époque en Afghanistan ou ailleurs. D’où la notion “d’indiscipline’ faite aux Gaulois par le XIXène siècle: anachronisme total puisqu’il n’y avait pas de nation gauloise.

Ainsi, depuis cette période de conquête, l’occident est passé sous un mode de gestion légal dicté par le “droit romain”, toujours la base du droit de nos républiques de plus en plus bananières. Les Gaulois et la civilisation celtique, qui fleurissait du Danube à l’Irlande depuis 800 ans avant notre ère, et qui furent à l’origine de l’âge du fer, se devaient d’être passée sous silence, afin de ne pas faire d’ombre à l’héritage romain jugé si fructueux. Il était donc très utile de faire passer nos Gaulois pour des barbares, soudards et indisciplinés ne demandant qu’à être “civilisés” par la grande culture romaine. Demoule poursuit:

“Cette vision misérabiliste des Gaulois est en totale contradiction avec ce que nous montre l’archéologie de ces dernières années, archéologie qui nous fait ainsi relire autrement les textes des historiens grecs et romains. En effet, les sociétés à chefferies de l’âge du bronze et du fer, que nous avons décrites au chapitre précédent, ont évolué dans les derniers siècles avant notre ère. Elles ont continué à suivre cette trajectoire historique faite d’oscillations entre les périodes plus fortement hiérachisée, aux tombes plus riches et des périodes aux différences sociales bien moins marquées. […] Pourtant cette opulence et cette puissance s’effondrent au bout de trois ou quatre générations: crise politique d’un système trop oppressif, disparition des réseaux commerciaux, difficultés économiques ? sans doute tout cela à la fois. Succède alors au Vème siècle avant notre ère, une société beaucoup plus égalitaire et plus simple, où hameaux et fermes parsèment les campagnes, tandis que la popuation continue de croître.

Puis viendra le temps des oppida à partir du IIème siècle avant notre ère, grande villes fortifiées, certaines capitales de véritables états organisés. L’archéologie a aussi démonté un mythe tenace, celui de ces braves Gaulois vivant dans des villages de rondins au fin fond de denses forêts, chassant le sanglier et festoyant quand ils ne se battaient pas entre eux ; mais en fait:

“Les campagnes sur lesquelles régnèrent dans les trois derniers siècles avant notre ère, les premières villes gauloises, n’avaient rien de de ces humbles villages de huttes rondes, perdus au milieu des forêts, auxquels les manuels scolaires nous ont habitué depuis si longtemps. Les campagnes gauloises étaient en fait jalonnées de grandes fermes prospères, réunissant de grandes maisons de maître, des bâtiments agricoles et artisanaux, ainsi que des habitations plus modestes. Elles étaient souvent entourées de palissades voire de fossés et étaient pourvue d’entrées monumentales. Plusieurs centaines de ces fermes ont été fouillées en France grâce à l’archéologie préventive. […] L’une de ces fermes les plus vastes mises au jour en France est celle de Paule, en Bretagne, dont on peut suivre l’évolution sur six siècles. Au IIème siècle avant notre ère, elle s’étendait sur 10 ha et l’habitation principale était une véritable forteresse.

[…] Blés, épeautres, orges et millets forment l’alimentation végétale privilégiée, consommée sous forme de bouillies et de galettes… La chasse ne joue plus aucun rôle alimentaire et n’est plus qu’un passe-temps aristocratique. N’en déplaise à Obélix, les Gaulois ne mangent pas de sanglier, même si cet animal jouait un rôle important dans la représentation mythologique. En revanche, le porc domestique représente environ les deux tiers des animaux consommés, à côté du bœuf et du mouton et les salaisons gauloises sont d’ailleurs réputées jusqu’en Italie.

[…] Pour autant peut-on parler d’un héritage gaulois par delà la conquête romaine ?.. […] La majorité de la population de la Gaule romaine était de souche gauloise et si la langue française elle-même provient du latin, ce latin là a été marqué par le substrat des langues celtiques de la Gaule, dont certains mots si familiers, intégrés au latin gallo-romain, sont parvenus jusqu’à nous.

A suivre…

L’histoire entre marchandise et révisionnisme malsain: le cas de Jeanne d’Arc, l’oubliée de plus de quatre siècles !…

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Le passé comme marchandise

 

Jean-Paul Demoule*

 

Mai 2016

 

Source:

http://www.jeanpauldemoule.com/le-passe-comme-marchandise/

 

C’est entre consternation et hilarité que celles et ceux qui s’intéressent à l’histoire de France, à ses usages et à ses manipulations, ont regardé l’arrivée solennelle le dimanche 20 mars 2016, au parc d’attraction vendéen, le bien nommé Puy du Fou, d’une bague qui aurait appartenu à Jeanne d’Arc. Acquis pour la somme de 377.000 euros et sorti illégalement du territoire britannique, ce modeste anneau fit une entrée en fanfare dans le lieu, escorté de chevaliers kitchs en armures de plastique, de figurants costumés en poilus de la guerre de 14-18 (durant laquelle les Anglais étaient pourtant nos alliés !), et de vrais Saint-Cyriens rendant solennellement les honneurs sabre au clair – un dernier point qui pose problème quant à la neutralité, religieuse, politique et commerciale, de notre armée républicaine. Certes, le chef d’état-major des armées françaises est depuis 2014 Pierre Le Jolis de Villiers de Saintignon, frère du vicomte Philippe, le maître du Puy du Fou ; mais les deux frères passent pour être en froid.

Pour ceux qui auraient manqué l’événement, il en existe de nombreuses vidéos sur internet, au premier degré (les plus drôles, si l’on peut dire) ou au second. Et parmi les articles, on lira avec profit celui, dévastateur, de François Reynaert dans le Nouvel Observateur du 21 mars (« Entre Disney et Maurras, comment Philippe de Villiers travestit Jeanne d’Arc »), ainsi que, dans un genre voisin, celui d’Ariane Chemin (« La vague bague de Jeanne d’Arc, relique épique du Puy du Fou »), dans Le Monde du même jour.

Armagnacs et Bourguignons, qui est Français ?

Comme ils l’ont tous deux rappelé, et avec plusieurs historiens médiévistes, faire de Jeanne d’Arc le symbole de la résistance nationale à l’envahisseur est un total anachronisme. Il n’y a pas en ces débuts de 15ème siècle de « France » au sens moderne, les États-nations comme communautés de citoyens et non plus royaumes de souverains de droit divin n’émergeant que quatre siècles plus tard, avec la Révolution française et le romantisme. Il s’agissait bien plutôt de querelles dynastiques entre « seigneurs de la guerre ». D’un côté les Anglais de Henri V de Lancaster, cousin lointain des rois de France, et allié aux Bourguignons, dont les ducs sont aussi cousins des rois de France ; de l’autre les Orléans, bientôt rebaptisés Armagnacs, la famille du roi de France. Mais comme le roi Charles VI est fou, sa femme Isabeau de Bavière est régente et conclut en 1420 le « honteux-traité-de-Troyes » (comme on l’apprend à l’école) : Henri V épouse Catherine de Valois, la plus jeune des filles de Charles VI, réunissant les deux couronnes – au détriment il est vrai du dauphin et futur Charles VII, héritier légitime si l’on privilégie la descendance masculine. Les amateurs d’uchronie peuvent rêver de ce qu’aurait pu être pour la suite de l’histoire de l’Europe un aussi puissant royaume !

On connaît la suite, le parti Armagnac du jeune Charles VII se ressaisit, galvanisé par l’apparition d’une jeune Lorraine, guérisseuse et voyante, à l’écoute de voix célestes. Après des succès militaires, Jeanne est faite prisonnière, vendue aux Anglo-Bourguignons sans que Charles VII tente de la racheter, jugée à Rouen par des ecclésiastiques français et des docteurs de la Sorbonne, condamnée et brulée vive comme sorcière en mai 1431. Mais finalement Charles VII fait la paix avec les Bourguignons, repousse les Anglais, met fin à la Guerre de Cent ans en 1453, puis fait réhabiliter Jeanne en 1456. Une paix (provisoirement) définitive ne sera signée cependant qu’en 1475 au traité de Picquigny, par lequel Louis XI achète 500.000 écus d’or la paix à Edouard IV – qui de son côté n’avait pas vraiment les moyens de faire la guerre. Les deux armées fraternisent à Picquigny dans la joie et la bonne humeur.

Et Jeanne ? On l’oublie à peu près pendant quatre siècles, d’autant que le rôle de la famille royale n’avait pas été particulièrement glorieux. C’est Jules Michelet, au moment de la construction du roman national, qui va en faire l’incarnation du « peuple », apparu entre temps. L’école républicaine, construite sur la défaite de 1870, exalte à son tour l’héroïne sacrifiée, tout comme Vercingétorix, le Grand Ferré ou le jeune Joseph Barat – Guy Mocquet avant l’heure. Mais les tensions montent entre la République et l’Église, qui aboutiront à la loi de séparation de 1905. Celle-ci, qui aurait dû pourtant avoir beaucoup à se reprocher au sujet de Jeanne d’Arc, va s’en emparer, dans une alliance avec la droite monarchiste. Un procès en canonisation est entamé par l’évêque d’Orléans, Monseigneur Dupanloup, sénateur et académicien, puis par son successeur, Monseigneur Couillé.

Miraculeux mais tardifs miracles

Mais le dogme est strict : pour devenir sainte, Jeanne devait d’abord accomplir des miracles. Aussi, elle qui n’en n’avait jamais fait jusque-là, se met à en accomplir, pour autant qu’on l’implore : elle guérit à Fruges en 1891 Sœur Jean-Marie Sagnier, de la Congrégation de la Sainte-Famille, d’ulcères dans les jambes ; puis en 1893 à Faverolles, Sœur Julie Gauthier de Saint-Norbert, de la Congrégation de la Divine-Providence d’Evreux, d’un ulcère au sein gauche ; et enfin, à Orléans même en 1900, Sœur Thérèse de Saint-Augustin, des Sœurs de l’Ordre de Saint-Benoît, d’un ulcère à l’estomac. Jeanne peut donc être béatifiée en 1909. Trois miracles supplémentaires (deux suffisent) ouvrirent le chemin de la canonisation : Marie-Antoinette Mirandelle guérit d’une tumeur au talon, Thérèse Bellin d’une affection tuberculeuse, et Jean Dumoitier réchappe à un incendie.

En 1914, la guerre éclate et, grâce à l’incurie du haut commandement français, les armées allemandes sont aux portes de Paris. On prie dans les églises, et Jeanne d’Arc est invoquée. L’ultime sursaut de la première bataille de la Marne bloque les armées adverses pour quatre années : c’est un « miracle », que certains attribuent à Jeanne. De fait, l’imposant « mémorial des batailles de la Marne », conçu comme une église et construit à Dormans à partir de 1920 sous l’égide de la duchesse de la Rochefoucauld, du cardinal de Reims et de l’évêque de Châlons, magnifie dans son vitrail central Jeanne d’Arc et Saint Michel présentant un poilu au Christ. La canonisation s’accélère. Le nouveau pape, Benoit XV, fait une prière en 1919 : « Nous appelons les grâces du ciel sur tout bon Français, dans la douce espérance que Jeanne d’Arc devienne réellement le trait d’union entre la patrie et la religion, entre la France et l’Église, entre la terre et le ciel ».

Notre seconde patronne

Le long processus aboutit à Rome en mai 1920. On canonise d’abord le prêtre italien Francesco Possenti, en religion Gabriel dell’ Addolorata, mort de la tuberculose en 1862 et parfois considéré comme le patron des armes à feu ; et la religieuse française Marguerite-Marie Alacoque, morte en 1690, célèbre pour ses visions et ses flagellations. Puis, trois jours plus tard, Jeanne d’Arc, devant de nombreux spectateurs, dont une soixantaine de descendants présumés de sa famille, ainsi que son altesse royale le prince Emmanuel d’Orléans, duc de Vendôme, neveu de Sissi et descendant affirmé de Charles VII et, au nom de la France et en tant qu’ambassadeur extraordinaire, l’académicien, historien, et ancien ministre Gabriel Hanotaux – le gouvernement boycottait depuis 1904 le processus de canonisation, mais les Français (mâles) viennent d’élire en 1919 la « chambre bleu horizon », la plus à droite du 20ème siècle jusqu’à celle de juin 1968.

Benoit XV déclare solennellement : « En l’honneur de la sainte et indivisible Trinité, pour l’exaltation de la foi catholique et pour l’accroissement de la religion chrétienne, par l’autorité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, des bienheureux apôtres Pierre et Paul et la Nôtre; après une mûre délibération et ayant souvent imploré le secours divin, de l’avis de nos Vénérables Frères les cardinaux de la Sainte Église Romaine, les patriarches, archevêques et évêques présents dans la ville, Nous décrétons et définissons sainte et Nous inscrivons au catalogue des saints la bienheureuse Jeanne d’Arc, statuant que sa mémoire devra être célébrée tous les ans le 30 mai dans l’Église universelle ». Il précise: « Tous ceux qui ont tenté d’expliquer Jeanne sans Dieu se sont perdus dans un labyrinthe aux dédales inextricables […].[Cette consécration] n’arrive pas sans un secret dessein du ciel à une époque où les gouvernements ne veulent plus reconnaître le règne du Christ […].Que les rois donc et les juges de la terre comprennent que Celui qui a sauvé par la main d’une femme une puissante nation d’un péril extrême, est le même qui dirige souverainement le cours des affaires de ce monde, et que ce n’est pas toujours en vain qu’on refuse de se soumettre à sa volonté souveraine ». 

Son successeur, Pie XI, proclamera en 1922 Jeanne d’Arc « seconde patronne de la France » (après l’autre vierge, Marie)

            Une sainte très rentable

Dans les années 1930 et sous Vichy, et plus encore par temps de défaite, Jeanne d’Arc reste le porte drapeau des diverses extrêmes droites françaises et des courants les plus conservateurs. Et c’est donc sans surprise que l’on arrive au Front National et à Philippe de Villiers.

La nouveauté de la kitchissime affaire de la bague, néanmoins, à part qu’elle remet au goût du jour le culte médiéval des reliques, est que c’est aussi une bonne affaire – commerciale. Dans notre « société du spectacle », la bague n’a pas été déposée au Panthéon ou aux Invalides ou à la rigueur au Louvre, mais dans un parc d’attractions marchand, par ailleurs lieu de diffusion d’un solide révisionnisme historique quant à la Révolution française. Quant à l’authenticité de la bague, à part qu’elle date sans doute du Moyen Âge (mais le métal ne se date pas), tous les historiens sont sceptiques, tant sur son origine que sur sa transmission supposée, de collectionneur en collectionneur. D’autant que les archives d’époque parlent de deux anneaux différents, et que les responsables du parc d’attractions ont d’abord affirmé détenir le premier, puis finalement prétendu qu’il s’agissait du second. Seul media à avoir plaidé l’authenticité, hors de nombreux sites d’extrême droite, le Figaro Magazine y a vu « une cérémonie grandiose ». Et le seul journaliste a s’être engagé est Franck Ferrand, qui promeut à longueur de temps une vision réactionnaire du roman national, que ce soit au Figaro, mais aussi sur France 3, chaine du service public – il est vrai que la « culture » est désormais incarnée par la présentatrice Claire Chazal sur France 5, autre chaine du service public.

Devant la montée de l’extrême droite en France (et ailleurs), cette affaire de la bague n’est pas si drôle que cela.

[…]

=*=

(*) Jean-Paul Demoule est professeur émérite de protohistoire à la Sorbonne, membre de l’Institut Universitaire de France, de l’Institut National de Recherche en Archéologie Préventive (INRAP) et a collaboré au CNRS. Spécialiste de l’âge de fer, de l’histoire de l’archéologie, il est considéré comme le père de l’archéologie préventive en France. Le professeur Demoule est l’auteur ou co-auteur de 17 ouvrages publiés depuis la fin des années 1990.

 

Petit retour historique sur les « barbares » et la « civilisation »…

Posted in actualité, crise mondiale, guerres hégémoniques, guerres imperialistes, N.O.M, pédagogie libération, politique et social, politique française, résistance politique with tags , , , , , , , , , on 3 décembre 2016 by Résistance 71

« Barbares » et « civilisations »

 

Jean-Paul Demoule*

 

22 janvier 2016

 

url de l’article original:

http://www.jeanpauldemoule.com/barbares-et-civilisations/

 

(*) Jean-Paul Demoule est professeur émérite de protohistoire à la Sorbonne, membre de l’Institut Universitaire de France, ancien directeur de l’Institut National de Recherche en Archéologie Préventive (INRAP) et a collaboré au CNRS. Spécialiste de l’âge de fer, de l’histoire de l’archéologie, il est considéré comme le père de l’archéologie préventive en France. Le professeur Demoule est l’auteur ou co-auteur de 17 ouvrages publiés depuis la fin des années 1990, notamment de l’excellent « On a retrouvé l’histoire de France », paru en 2012.

En ces temps pessimistes, l’Histoire ne cesse d’être requise dans les médias et dans les discours politiques. On se souvient comment la « Fin de l’histoire » avait été annoncée à grand fracas au moment de la Chute du Mur de Berlin par l’idéologue conservateur américain Francis Fukuyama, usant du détournement d’un concept à l’origine hégélien : après la disparition du communisme d’État, le libéralisme économique et la démocratie (dans sa version occidentale) étaient voués à régner indéfiniment sur le monde. Mais la première guerre d’Iraq intervint juste après, et un autre idéologue, américain lui aussi, Samuel Huntington, annonça au contraire en 1996 un « Choc des civilisations » (« The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order »), théorie à laquelle la seconde guerre d’Iraq et l’invasion de l’Afghanistan après le 11 septembre 2001 auraient donné a posteriori un sens, mais pas forcément celui qui était prévu. Le développement depuis lors de mouvements islamistes terroristes et l’actuelle crise des réfugiés venus d’Afrique et du Proche-Orient ont rendu plus paroxystiques encore ces références historiques et leurs manipulations, opposant « civilisation » (sous-entendue occidentale) et « barbares » – et si « barbares » il y a, les plus mécaniquement connus d’entre eux sont bien sûr ceux des « Invasions barbares » qui mirent fin au monde antique.

Les barbares sont dans nos murs

Ainsi la présidente du Front national français déclarait-elle dans une réunion publique à Arcachon le 14 septembre 2015 : « Sans nulle action de la part du peuple français, l’invasion migratoire que nous subissons n’aura rien à envier à celle du IVe siècle et aura peut-être les mêmes conséquences ». Elle précisait cette référence historique (peut-être après consultation de son service de communication) dès le lendemain matin sur la radio France Inter : « J’ai dit – je n’ai pas d’ailleurs comparé [sic] – que nous pourrions assister dans les années qui viennent à l’équivalent des invasions vécues au IVe siècle, c’est-à-dire ces gigantesques mouvements migratoires, qui n’étaient pas en réalité des invasions au départ, mais qui étaient des installations. Voilà. Et je pense que gouverner c’est prévoir ».

Sa nièce, la députée Marion Maréchal-Le Pen, avait invoqué une actuelle « guerre de civilisation » dans un entretien au journal Présent (du 15 janvier 2015) ; et affirmé le 5 juillet dernier, dans une réunion publique au Pontet (Vaucluse), dont le nouveau maire appartient à son parti : « La Provence est une terre d’identité et de résistance. Résistance des princes provençaux face à l’invasion sarrasine, résistance face à la terreur révolutionnaire, face à la réforme protestante, face à l’occupant allemand, face au funeste projet de l’Union européenne en 2005. ». Elle devait d’ailleurs s’en excuser peu après auprès des autorités protestantes, arguant de ses propres origines partiellement protestantes.

Ces comparaisons avec les barbares d’antan n’étaient pas nouvelles. On la trouvait déjà quelques mois auparavant – comme je l’ai évoqué dans un texte précédent – dans la bouche de l’essayiste et nouvel académicien Alain Finkielkraut : entre ces fameuses « invasions barbares » du Haut Moyen Âge et les immigrations des dernières décennies, l’identité française serait restée intacte et inchangée. Les « quarante rois » ou les « quinze siècles » qui auraient « fait la France » maintes fois invoqués par nos dirigeants, du général de Gaulle à Nicolas Sarkozy, seraient un fait historique.

Qu’est-ce que la France ?

On le sait, l’histoire réelle est toute autre. À la fois parce que la « France » du Haut Moyen Âge n’existait pas en tant que telle, que le royaume franc de Clovis avait peu à voir avec les frontières françaises actuelles (la Bretagne et tout le quart sud-est en moins ; la Belgique et l’Allemagne du sud-ouest en plus), et qu’il faut attendre la fin du Moyen Âge pour que les frontières de « la France » commencent à ressembler un peu aux actuelles, encore qu’il y manquait, entre autres, toute la partie orientale – Lorraine, Alsace, Savoie, comté de Nice, Corse. Une large partie de cet actuel territoire n’est en outre que le résultat de conquêtes sur des populations parlant des langues bien différentes du « français », et donc d’une « identité » et d’une culture différentes – Occitanie, Catalogne, Pays basque, Bretagne, Alsace et Moselle, Flandres, Corse.

Symétriquement, des migrants n’ont cessé d’arriver de l’extérieur et de se mélanger dans ledit territoire depuis les fameuses « invasions barbares » du 4ème siècle : Bretons, Arabes et Vikings au cours du premier millénaire, Anglais à partir du 14ème siècle, tout comme Tziganes ou Roms, Juifs réfugiés d’Espagne puis Morisques aux 15ème et 16ème siècles, sans compter toutes les cours qui accompagnèrent les reines de France étrangères (d’Italie, d’Espagne, d’Autriche, de Pologne …) et surtout les mercenaires qui aux 17ème et 18ème siècles composaient au moins un quart des armées royales. Puis vinrent aux 19ème et 20ème siècles les travailleurs de l’industrie, italiens, belges, espagnols, portugais, polonais ; tout comme les réfugiés politiques fuyant les persécutions, au 19ème siècle d’abord, puis au 20ème siècle : Arméniens rescapés du génocide de Turquie, Russes Blancs, Juifs d’Europe orientale fuyant les pogroms, Républicains espagnols, allemands, italiens – la frontière entre réfugiés « politiques » et « économiques » restant bien souvent ténue.

À cela se sont ajoutés les mouvements dans l’autre sens : les protestants réfugiés en Angleterre et en Allemagne après la révocation de l’Édit de Nantes, et tous les colons partis de métropole vers l’Amérique du Nord et l’Inde dans le premier empire colonial français, en attendant évidemment le second empire colonial, commencé avec la conquête de l’Algérie de 1830 et parachevé par la Troisième République.

On le voit, il faut beaucoup ignorer l’histoire, ou beaucoup tenter de la manipuler, pour prétendre que les immigrations nord-africaines du dernier demi-siècle, « politiques » ou économiques », représenteraient un événement sans précédent, prélude à un « grand remplacement » dans une « France » inchangée depuis quinze siècles. Ces comparaisons hasardeuses sont d’autant plus surprenantes que, par exemple, le dernier recueil d’Alain Finkielkraut invoquait par son titre, emprunté à Charles Péguy, « La seule exactitude ». Et que précisément il s’y oppose, au nom de l’ « exactitude » historique et du « réel », aux comparaisons entre l’actuelle montée des mouvements d’extrême droite partout en Europe et le même phénomène pendant les années trente ; et, plus insupportable encore pour lui, la comparaison entre le rôle de boucs émissaires que jouaient les Juifs dans la phraséologie (avant passage à l’acte) des mouvements fascistes européens d’avant-guerre, et le rôle de boucs émissaires que jouent les immigrés dans la phraséologie actuelle des héritiers de ces mouvements.

C’est ce même souci d’ « exactitude » historique qui aura permis au nouvel académicien de faire, comme le veut la coutume sous la Coupole, l’éloge de son prédécesseur, Félicien Marceau, pseudonyme de Louis Carette, condamné en Belgique pour collaboration avec le nazisme et écrits antisémites, et dont l’élection en 1975 provoqua la démission de l’académie du poète résistant Pierre Emmanuel.

Quant aux comparaisons, on trouvera sans peine, par exemple, des invectives adressées dès la fin du 19ème siècle à l’encontre des travailleurs immigrés italiens (il y eut des massacres, comme à Aigues-Mortes en 1893), parfaitement superposables à celles qui fleurissent quotidiennement sur les immigrés d’Afrique du nord.

Lumpenproletariat

Les assassins manipulés qui ont commis les crimes de masse du 13 novembre 2015 à Paris sont-ils pour autant des « barbares », au sens historique du terme ? Et leurs crimes seraient-ils sans équivalent dans l’histoire ? Faut-il rappeler que les pires massacres et viols commis en Europe depuis la fin de la dernière guerre mondiale, relevant tant du crime contre l’humanité que du crime de guerre, et du crime tout court, l’ont été par des « chrétiens » « blancs », serbes et dans une moindre mesure croates, contre d’autres « chrétiens », mais surtout contre des « musulmans » ? – les guillemets n’ayant ici pour fonction que de disjoindre tradition culturelle et pratique religieuse.

À ce moment là, tout comme aujourd’hui, les victimes n’avaient et n’ont pas le même poids, ni ne reçoivent les mêmes témoignages de solidarité selon le pays où elles sont assassinées. Et, dans la Yougoslavie des années 1990 comme dans la France de 2015, les religions monothéistes sont aussi l’habillage idéologique visible des luttes de pouvoir et des luttes sociales. Les criminels de 2015 semblent bien relever d’une étrange alliance, sous couvert d’une déviation religieuse aberrante – mais toute religion n’est-elle pas d’abord, pour reprendre Freud, une névrose, encore que l’on ait ici plutôt affaire à des comportements psychotiques – alliance pathologique, donc, entre les luttes de pouvoir au Moyen-Orient et le ressentiment social de populations défavorisées, ex-colonisées, de l’Europe occidentale.

Une alliance monstrueuse où ce qui ressemble beaucoup à une insurrection sociale embryonnaire est passée, en dix ans, de l’incendie massif de voitures dans les quartiers pauvres, comme on l’a vu en 2005, à l’assassinat à bout portant de jeunes gens du même âge, appartenant aux classes sociales intermédiaires. Une insurrection sociale qui se trompe de cible, à la fois manipulée et réactionnaire, loin de toute revendication politique organisée et cohérente, bref typique à toutes époques des mouvements de ce que l’on peut continuer à appeler avec pertinence le « Lumpenproletariat ».

S’y ajoute sans doute l’effet de déréalité que confère la « société du spectacle », où les écrans – informations du monde ou jeux vidéos – ont remplacé la participation directe au monde réel, qu’aucune frontière nette ne sépare plus du monde virtuel, pas plus que le mal ne l’est du bien. Et s’y ajoute enfin, de la part de ceux qui manipulent les assassins, un sens certain de la communication moderne, sinon postmoderne, parfaitement contradictoire avec leur prétendu retour au sources d’un Islam médiéval fantasmé.

Les « invasions barbares » ont-elles existé ?

Mais revenons à l’histoire, à nos barbares historiques et à la « civilisation ». Ce dernier terme, qui émerge à l’époque les Lumières, est utilisé sous un sens laudatif dans toutes les classifications évolutionnistes, qui distinguent, comme Lewis Morgan repris par Friedrich Engels, les trois stades successifs de la « sauvagerie » (les chasseurs-cueilleurs du paléolithique), de la « barbarie » (les agriculteurs néolithiques et les sociétés à chefferie) et enfin de la « civilisation » (successivement antique, médiévale et moderne). Au 19ème siècle, la préférence allemande pour le mot « Kultur » influencera en retour la langue française, qui hésitera dorénavant entre « culture » et « civilisation » pour désigner aussi bien des sociétés précises que LA civilisation tout court (c’est à dire plus ou moins la nôtre). D’où les fluctuations, comme pour le titre du célèbre ouvrage de Freud de 1930, Das Unbehagen in der Kultur, traduit tantôt par « Malaise dans la culture » – tantôt par « … dans la civilisation ».

Si bien qu’il y a désormais une constante confusion, plus ou moins implicite, entre LA civilisation, comprise comme le plus haut degré d’achèvement de l’histoire humaine, et LES civilisations, dans le sens large d’un type de société. On se souvient des déclarations remarquées du ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, affirmant quelques semaines avant l’élection présidentielle de 2012 que « toutes les civilisations ne se valent pas ». Il fut soutenu, dans la polémique, par le président de la République qui n’y vit que « du bon sens ». Dans les medias occidentaux des débuts de l’année 2016, le « choc des civilisations » est devenu un terme d’emploi banal.

Mais l’ambigüité existe aussi chez les historiens. Bryan Ward-Perkins, un historien anglais, intitula son livre de 2005 The Fall of Rome and the End of Civilization, néanmoins traduit en 2014 en français sous le titre moins péremptoire de : La chute de Rome : Fin d’une civilisation. De même, le livre très médiatisé (et abondamment primé aux Etats-Unis) d’Eric Cline proclamait 1177B.C. : The Year civilization collapsed – ce qui fut traduit l’année suivante en 2015 par : 1177avant J.-C., le jour où la civilisation s’est effondrée. D’un point de vue historique, certes les archéologues ne trouvent plus après cette date de palais, de fresques, de masques en or ou de tablettes inscrites et parlent, déçus, d’Âges Sombres (Dark Ages). Mais, comme après l’effondrement de la civilisation de l’Indus ou des Mayas, ce sont toujours les mêmes communautés villageoises qui subsistent sur place, simplement sans la couche dirigeante qui vivait de leur exploitation. C’est pourquoi un autre livre très populaire, celui de Jared Diamond, Effondrements, comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie (2005), fut contesté dès l’année suivant sa parution lors d’un colloque d’archéologues : Questionning Collapse. Human Resilience, Ecological Vulnerability, and the Aftermath of Empire (publié en 2010 sous la direction de Patricia McAnany et Norman Yoffee).

De fait les « barbares » n’ont pas toujours été regardés de la même façon. Tacite avait fait des Germains de « bons sauvages », qu’il opposait aux mœurs dissolues de sa Rome antique. Le Moyen Âge a été sévère à leur égard et créa la légende de ces « fléaux de Dieu » ; mais cette époque fut à son tour « barbarisée » à l’âge classique, qui traita son art de « gothique », c’est-à-dire « digne des Goths », cependant que la noblesse d’Ancien Régime se réclamait d’une ascendance franque, et donc barbare. La Révolution, avec l’abbé Siéyès lui rendit la politesse en invitant ces « sauvages sortis des bois et des étangs de l’ancienne Germanie » à retourner là d’où ils venaient – ce que beaucoup firent, avant de revenir dans les fourgons de la Restauration. Le romantisme allemand au contraire, prenant Tacite au mot, réhabilita les barbares dont le sang neuf et viril aurait eu raison de la décadence romaine. Eric Michaud vient de montrer, dans un livre passionnant, « Les invasions barbares – une généalogie de l’histoire de l’art », comment l’histoire de l’art se construisit au 19ème siècle sur une telle réhabilitation.

Mais vient la Troisième République, née d’une défaite contre l’Allemagne, dont la victoire permit l’unification presque complète. Dans la construction du roman national français que va diffuser la toute nouvelle école publique, les barbares redeviennent barbares, et vont le rester durablement. Les pages des manuels scolaires illustrent en images éloquentes les hordes sauvages déferlant sur notre pays. Il faut aussi se tirer d’un douloureux paradoxe : les Francs, qui ont donné son nom à la France, à sa langue et à sa monnaie, sont des Germains. On tâche de gommer cette germanité des débuts de l’histoire officielle, tantôt en barbarisant les « rois fainéants » mérovingiens, tantôt en francisant ce qui pouvait être sauvé : Karl des Grosse devient Charlemagne, et Aachen Aix la Chapelle. Et l’on voit dans l’art roman une résurrection de l’art celtique, après une regrettable parenthèse barbare.

L’archéologie et les barbares

On en était là depuis un siècle quand, avec le développement de l’archéologie préventive durant les trois dernières décennies, le tableau changea radicalement – grâce aussi à une relecture critique des sources historiques qu’illustrent les travaux de Bruno Dumézil en France, de Walter Pohl en Autriche ou encore de Florint Curta aux Etats-Unis. L’archéologie ne témoigne en effet d’aucun cataclysme généralisé, dans lequel aurait péri, sous les coups des barbares, tout le monde civilisé. Si le style des objets se transforme, comme il se transformait dans le passé, les campagnes, leurs fermes et leurs grands domaines continuent d’être occupés. Les villes tout autant, même si elles diminuent parfois en taille, construisent ou renforcent leurs fortifications, indices de temps moins calmes que sous l’empire, et si les archéologues y rencontrent d’épaisses couches de terres organiques, les fameuses « terres noires », laissées par des zones non construites, ou construites en matériaux légers, ou encore vouées au rejet de détritus.

Les « barbares », on le sait, ne voulaient nullement détruire l’Empire, mais au contraire s’y intégrer, même s’il y eut parfois des mouvements violents, qu’il faut néanmoins relativiser. Les rois barbares se faisaient représenter en empereurs romains, Charlemagne compris, et tous les barbares se convertirent au christianisme, dans ses différentes variantes d’alors. La grande bataille des Champs Catalauniques où furent repoussées en 451 les armées d’Attila, officiellement emblématique du combat des forces du Bien contre le Fléau de Dieu, opposait en réalité deux coalitions de peuples germaniques, au gré de ralliements de circonstances. Un peu comme une autre bataille emblématique, celle du Champ des Merles à Kosovo Polje en 1389, qui vit les troupes du Sultan Bajazet prendre, face à l’armée serbe du prince Lazare, le contrôle des Balkans pour cinq siècles : elle opposait également deux coalitions, l’armée ottomane incluant des princes vassaux chrétiens, serbes et bulgares.

Et si l’on invoque les « racines chrétiennes de l’Europe », c’est précisément dans l’Europe barbare que ces racines s’enracinent.

Pourtant, la référence aux « invasions barbares » est omniprésente ces temps-ci. La dernière livraison du « Figaro Histoire » le confirme. Cette revue bimestrielle fondée en 2012 est dirigée par le journaliste Michel de Jaeghere, venu de la presse de l’extrême droite policée, successivement Valeurs Actuelles puis Spectacle du Monde, dont il a été directeur. On lui doit plusieurs livres, dont Le Livre blanc de l’armée française en Algérie (2002 : livre collectif destiné à réhabiliter le rôle civilisateur de notre armée pendant la guerre d’Algérie) ; Enquête sur la christianophobie (2005) ; La Repentance : Histoire d’une manipulation (2007). Et il vient justement de faire paraître aux Belles Lettres : Les derniers jours – La fin de l’empire romain d’Occident. C’est sur la base de ce livre que ce numéro du Figaro Histoire se consacre au thème : « Quand les Barbares envahissaient l’Empire romain », avec des sous-titres explicites en couverture : « Les barbares sont dans les murs » et « comment meurt une civilisation ». Toutes ces transparentes allusions à la présente situation géopolitique ne sont évidemment qu’au prix de singulières déformations de l’histoire. On pourra lire, en symétrique, le numéro spécial des Cahiers de Science et Vie qui, toujours sur les « invasions barbares », propose cette fois un dossier objectif et accessible. C’est possible.

Et sur les migrations dans l’histoire, des origines à nos jours, le colloque de l’Inrap qui leur a été consacré en novembre 2015 en collaboration avec la Cité de l’Immigration peut être suivi sur internet.

Les « races » dans l’histoire

Une ultime remarque historiographique, cette fois à propos des « races », puisqu’une polémique sur la « race blanche » a occupé, faute de mieux, pendant quelques semaines l’actualité médiatique, à la suite des déclarations de la députée européenne Nadine Morano, ancienne secrétaire d’État chargée de la Famille et de la Solidarité. Rappelant que la nation française était « de race blanche », elle se fondait non sans raison sur une déclaration du général de Gaulle, icône nationale. Ce dernier aurait confié à Alain Peyrefitte, qui fut ministre de l’Information et académicien : « Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne » – ce qui prouve incidemment que la locution désabusée « quand même », qui rythme de nos jours presque toute déclaration publique ou privée, n’est pas si récente.

Maints journalistes se sont contorsionnés, afin de sauver la mémoire du grand homme, en expliquant, soit que Peyrefitte aurait brodé, soit que le général aurait voulu dire autre chose. Il avait écrit pourtant bien avant, dans ses Mémoires d’espoir, à propos de l’Europe : « Pour moi j’ai, de tous temps, mais aujourd’hui plus que jamais, ressenti ce qu’ont en commun les nations qui la peuplent. Toutes étant de même race blanche, de même origine chrétienne, de même manière de vivre, liées entre elles depuis toujours par d’innombrables relations de pensée, d’art, de science, de politique, de commerce, il est conforme à leur nature qu’elles en viennent à former un tout, ayant au milieu du monde son caractère et son organisation ».

La « race » au sens moderne ne date que de la fin du 18ème siècle, quand les savants naturalistes comme Linné ou Blumenbach entreprennent de classer plantes, animaux, minéraux – et humains. L’anthropologie physique à prétention scientifique ne date, elle, que du milieu du 19ème siècle. Paul Broca, le grand médecin progressiste à qui l’on doit notre « zone de Broca », partie de notre cerveau qui nous permet de parler, la définissait comme « l’étude scientifique des races humaines », races par nature inégale. Leur définition reposait sur la mesure des crânes. Or, plus on mesurait de crânes (et jusqu’à 5.000 mesures sur un même crâne), plus les frontières entre groupes humains s’effaçaient – évidemment. Si bien qu’à la fin du 19ème siècle, l’un des principaux disciples de Broca, Paul Topinard, pouvait affirmer : « La race n’existe pas dans l’espèce humaine, […] elle est un produit de notre imagination et non une réalité brute, palpable ». Dès lors, la notion de « race » sortit progressivement du champ scientifique, même si elle survécut en France, avec l’école d’Henri-Victor Vallois, plus longtemps qu’ailleurs.

Mais en tant que terme idéologique, appuyé sur la fausse évidence du sens commun, elle continua, on le voit, une carrière prospère. Le président même de l’Académie des Sciences, Emmanuel Leclainche, pouvait ironiser en 1937 : « Il est entendu que pour les savants, il n’y a plus de races humaines. Mais, malheureusement ou heureusement, il n’est point que des savants sur terre. La masse des ignorants persiste à croire qu’il existe tout de même des Blancs, des Noirs et des Jaunes et qu’on les reconnaît sans trop de peine ». Les choses n’ont pas évolué depuis, malgré les manuels scolaires ou les expositions pédagogiques, comme celle du Musée de l’Homme, il y a quelques années : « Tous parents, tous différents ». L’ironie, si l’on peut dire, de l’histoire est que cette invocation de la « race blanche » a pour fonction actuelle de distinguer « Français de souche » et populations issues d’Afrique du Nord et du Proche-Orient, lesquelles sont pourtant, de par les classifications raciales, de … « race blanche ».

Mais on aurait tort de ne voir là que des résidus idéologiques. Le racisme « scientifique », s’il a abandonné la craniométrie, continue d’utiliser le QI, et surtout la génétique. Le livre de 1994 The Bell Curve: Intelligence and Class Structure in American Life du psychologue Richard Herrstein et du politologue Charles Murray a été un best seller aux Etats-Unis. Il expliquait que les Afro-Américains ayant « scientifiquement » un QI inférieur à celui des « blancs », il était inutile de gaspiller de l’argent dans des programmes sociaux d’éducation. Best seller aussi A Troublesome Inheritance du journaliste américain Nicholas Wade, paru en 2014, qui prétend sans aucune preuve tangible que les différences génétiques entre les populations du globe expliquent aussi leurs comportements, agressifs ou pacifiques ou généreux, etc – tout comme on « détecte » régulièrement le gène du crime ou de l’homosexualité. Le Wall Street Journal, entre autres, en fit une recension enthousiasme, que ne suffit pas à doucher une lettre collective de protestation, signée par près de 150 généticiens de renom.

Avec l’actuel prestige de la génétique et ses succès effectifs en médecine, dans les enquêtes policières ou encore dans la mise en évidence de migrations préhistoriques, on n’est pas prêt d’en finir avec le racisme biologique.

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