Archive pour 21 mai 2021 150 ans semaine sanglante

150 ans : En hommage aux 30 000 Communards assassinés par l’état français dans la semaine du 21 au 28 mai 1871 : « Révolte et révolution » (Albert Camus, 1951)

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Ceci est le texte intégral retranscrit par nos soins de la 6ème et dernière partie du chapitre “La révolte historique” de “L’homme révolté” (1951) d’Albert Camus, qui est composé de trois grands chapitres : “La révolte métaphysique”, “La révolte historique” et “Révolte et art”. Nous pensons que cet écrit possède plus que jamais sans doute, une résonance d’une grande actualité, comme tout l’ouvrage du reste que nous tenons pour une des plus grandes réflexions sur la condition humaine jamais écrite. De fait, la contribution de l’occident à la conscience universelle humaine tient en trois ouvrages à notre sens clefs et uniques dans leur portée philosophico-socio-politique, dans l’ordre chronologique :

“”Les possédés”, Fiodor Dostoïevski, 1871, “Ainsi parlait Zarathoustra”, Friedrich Nietzsche, 1883 et “L’homme révolté” d’Albert Camus, 1951.

“La révolte est, dans l’homme, le refus d’être traité en chose et d’être réduit à la simple histoire. Elle est l’affirmation d’une nature commune à tous les hommes, qui échappe au monde, la puissance.” (Albert Camus)

AC1

Révolte et révolution

Albert Camus

Transcription Résistance 71 pour le cent-cinquantenaire de la Commune de Paris 1871-2021 et de la semaine sanglante du 21 au 28 mai 1871

22 Mai 2021

NdR71 : Nous publions et dédions ce texte lumineux de Camus, à la mémoire des communards tombés durant la semaine sanglante de la Commune de Paris du 21 au 28 mai 1871 et à toutes celles et ceux qui furent déportés, “empontonnés” suite à l’évènement, ainsi qu’à tous ceux qui font vivre éternellement l’esprit communard au fil du temps, comme les Gilets Jaunes, derniers communards en date. L’ère n’est plus à la révolte et la révolution mais à la révolte et à l’évolution nous faisant emprunter le chemin vers notre humanité enfin réalisée, celui de la Société des Sociétés… Pensez également que Camus écrivait cela il y a 70 ans cette année… L’heure de la mise en pratique a sonné. La crise fabriquée SRAS-CoV-2 / COVID-19 est une preuve supplémentaire, s’il en fallait encore une, démontrant que tout ce que sait faire l’État, c’est terroriser les peuples pour mieux les réprimer et les contrôler, ce à plus forte raison dans sa version capitalisto-républicaine.

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La révolution des principes tue Dieu dans la personne de son représentant. La révolution du XXème siècle tue ce qui reste de Dieu dans les principes eux-mêmes, et consacre le nihilisme historique. Quelles que soient ensuite les voies empruntées par ce nihilisme, dès l’instant où il veut créer dans le siècle, hors de toute règle morale, il bâtit le temple de César. Choisir l’histoire, et elle seule, c’est choisir le nihilisme contre les enseignements de la révolte elle-même. Ceux qui se ruent dans l’histoire au nom de l’irrationnel, criant qu’elle n’a aucun sens, rencontrent la servitude et la terreur et débouchent dans l’univers concentrationnaire. Ceux qui s’y lancent en prêchant sa rationalité absolue rencontrent servitude et terreur et débouchent dans l’univers concentrationnaire. La fascisme veut instaurer l’avènement du surhomme nietzschéen. Il découvre aussitôt que Dieu, s’il existe, est peut-être ceci ou cela, mais d’abord le maître de la mort. Si l’homme veut se faire Dieu, il s’arroge le droit de vie ou de mort sur les autres. Fabricant de cadavres, et de sous-hommes, il est sous-homme lui-même et non pas Dieu, mais serviteur ignoble de la mort. La résolution rationnelle veut, de son côté, réaliser l’homme total de Marx. La logique de l’histoire, à partir du moment où elle est acceptée totalement, la même, peu à peu, contre sa passion la plus haute, à mutiler l’homme de plus en plus et à se transformer elle-même en crime objectif. Il n’est pas juste d’identifier les fins du fascisme et du communisme russe. Le premier figure l’exaltation du bourreau par le bourreau, lui-même. Le second, plus dramatique, l’exaltation du bourreau par les victimes. Le premier n’a jamais rêvé de libérer tout l’homme, mais seulement d’en libérer quelques uns en subjuguant les autres. Le second, dans son principe le plus profond, vise à libérer tous les hommes en les asservissant tous, provisoirement. Il faut lui reconnaître la grandeur de l’intention. Mais il est juste, au contraire, d’identifier leurs moyens avec le cynisme politique qu’ils ont puisé tous deux à la même source : le nihilisme moral. Tout s’est passé comme si les descendants de Stirner et de Nietzsche utilisaient les descendantes de Kaliayev et de Proudhon. Les nihilistes aujourd’hui sont sur les trônes. Les pensées qui prétendent mener notre monde au nom de la révolution sont devenues en réalité des idéologies de consentement, non de révolte. Voilà pourquoi notre temps est celui des techniques privées et publiques d’anéantissement.

La révolution obéissant au nihilisme, s’est retournée en effet contre ses origines révoltées. L’homme qui haïssait la mort et le dieu de la mort, qui désespérait de la survivance personnelle, a voulu se délivrer dans l’immortalité de l’espèce. Mais tant que le groupe ne domine pas le monde, tant que l’espèce n’y règne pas, il faut encore mourir. Le temps presse alors, la persuasion demande le loisir, l’amitié une construction sans fin : la terreur reste dans le plus court chemin de l’immortalité. Mais ces extrêmes perversions crient en même temps, la nostalgie de la valeur révoltée primitive. La révolution contemporaine qui prétend nier toute valeur est déjà, en elle-même, un jugement de valeur. L’homme par elle, veut régner. Mais pourquoi régner si rien n’a de sens ? Pourquoi l’immortalité si la face de la vie est affreuse ? Il n’y a pas de pensée absolument nihiliste sinon, peut-être, dans le suicide, pas plus qu’il n’y a de matérialisme absolu. La destruction de l’homme affirme encore l’homme. La terreur et les camps de concentration sont les moyens extrêmes que l’homme utilise pour échapper à la solitude. La soif d’unité doit se réaliser, même dans la fosse commune. S’ils tuent des hommes, c’est qu’ils refusent la condition mortelle et veulent l’immortalité pour tous. Is se tuent alors d’une certaine manière. Mais ils prouvent en même temps qu’ils ne peuvent se passer de l’homme, ils assouvissent une affreuse faim de fraternité. “La créature doit avoir une joie, et quand elle n’a pas de joie, il lui faut une créature.” Ceux qui refusent la souffrance d’être et de mourir veulent alors dominer. “La solitude c’est le pouvoir”, dit Sade. Le pouvoir aujourd’hui, pour des milliers de solitaires, parce qu’il signifie la souffrance de l’autre, avoue le besoin de l’autre. La terreur est l’hommage que des haineux solitaires finissent par rendre à la fraternité des hommes.

Mais le nihilisme, s’il n’est pas, essaie d’être et cela suffit à déserter le monde. Cette fureur a donné à notre temps son visage repoussant. La terre de l’humanisme est devenue cette Europe, terre inhumaine. Mais ce temps est le nôtre, et comment le renier ? Si notre histoire est notre enfer, nous ne saurions en détourner la face. Cette horreur ne peut être éludée, mais assumée pour être dépassée, par ceux-là même qui l’ont vécue dans la lucidité, non par ceux qui, l’ayant provoquée, se croient en droit de prononcer le jugement. Une telle plante n’a pu jaillir en effet que sur un épais terreau d’iniquités accumulées. Dans l’extrémité d’une lutte à mort où la folie du siècle mêle indistinctement les hommes, l’ennemi reste le frère ennemi. Même dénoncé dans ses erreurs, il ne peut être ni méprisé, ni haï : le malheur est aujourd’hui la patrie commune, le seul royaume terrestre qui ait répondu à la promesse.

La nostalgie du repos et de la paix doit elle-même être repoussée ; elle coïncide avec l’acceptation de l’iniquité. Ceux qui pleurent après les sociétés heureuses qu’ils rencontrent dans l’histoire avouent ce qu’ils désirent : non pas l’allègement de la misère, mais son silence. Que ce temps soit loué au contraire où la misère crie et retarde le sommeil des rassasiés Maistre parlait déjà du “sermon terrible que la révolution prêchait aux rois.” Elle le prêche aujourd’hui, et de façon plus urgente encore, aux élite déshonorées de ce temps. Il faut attendre ce sermon. Dans toute parole et dans tout acte, fut-il criminel, gît la promesse d’une valeur qu’il nous faut chercher et mettre au jour. L’avenir ne peut se prévoir et il se peut que la renaissance soit impossible. Quoique la dialectique historique soit fausse et criminelle, le monde, après tout, peut se réaliser dans le crime, suivant une idée fausse. Simplement, cette sorte de résignation est refusée ici : il faut parier pour la renaissance.

Il ne nous reste plus d’ailleurs qu’à renaître ou à mourir. Si nous sommes à ce moment où la révolte parvient à sa contradiction la plus extrême en se niant elle-même, elle est alors contrainte de périr avec le monde qu’elle a suscité ou de retrouver une fidélité et un nouvel élan. Avant d’aller plus loin, il faut au moins mettre en clair cette contradiction. Elle n’est pas bien définie lorsqu’on dit, comme nos existentialistes par exemple (soumis eux aussi, pour le moment, à l’historisme et à ses contradictions), qu’il y a progrès de la révolte à la révolution et que le révolté n’est rien s’il n’est pas révolutionnaire. La contradiction est, en réalité, plus serrée. Le révolutionnaire est en même temps révolté ou alors il n’est plus révolutionnaire, mais policier et fonctionnaire qui se tourne contre la révolte. Mais s’il est révolté, il finit par se dresser contre la révolution. Si bien qu’il n’y a pas de progrès d’une attitude à l’autre, mais simultanéité et contradictions sans cesse croissante. Tout révolutionnaire finit en oppresseur ou en hérétique. Dans l’univers purement historique qu’elles ont choisi, révolte et révolution débouchent dans le même dilemme : ou la police ou la folie.

A ce niveau, la seule histoire n’offre donc aucune fécondité. Elle n’est pas source de valeur, mais encore de nihilisme. Peut-on créer du moins la valeur contre l’histoire sur le seul plan de la réflexion éternelle ? Cela revient à ratifier l’injustice historique et la misère des hommes. La calomnie de ce monde ramène au nihilisme que Nietzsche a défini. La pensée qui se forme avec la seule histoire, comme celle qui se tourne contre toute histoire, enlèvent à l’homme le moyen ou la raison de vivre. La première le pousse à l’extrême déchéance du “pourquoi vivre”, la seconde au “comment vivre”. L’histoire nécessaire, non suffisante, n’est donc qu’une cause occasionnelle. Elle n’est pas absence de valeur, ni la valeur elle-même, ni même le matériau de la valeur. Elle est l’occasion, parmi d’autres, où l’homme peut éprouver l’existence encore confuse d’une valeur qui lui sert à juger l’histoire. La révolte elle-même nous en fait la promesse.

La révolution absolue supposait en effet l’absolue plasticité de la nature humaine, sa réduction possible à l’état de force historique. Mais la révolte est, dans l’homme, le refus d’être traité en chose et d’être réduit à la simple histoire. Elle est l’affirmation d’une nature commune à tous les hommes, qui échappe au monde, la puissance. L’histoire, certainement, est l’une des limites de l’homme, en ce sens le révolutionnaire a raison. Mais l’homme, dans sa révolte, pose à son tour une limite à l’histoire. A cette limite naît la promesse d’une valeur. C’est la naissance de cette valeur que la révolution césarienne combat aujourd’hui implacablement, parce qu’elle figure sa vraie défaite et l’obligation pour elle de renoncer à ses principes. En 1950, et provisoirement, le sort du monde ne se joue pas, comme il paraît, dans la lutte entre la production bourgeoise et la production révolutionnaire ; leurs fins seront les mêmes. Elle se joue entre les forces de la révolte et celles de la révolution césarienne. La révolution triomphante dit faire la preuve, par ses polices, ses procès et ses excommunications, qu’il n’y a pas de nature humaine. La révolte humiliée par ses contradictions, ses souffrances, ses défaites renouvelées et sa fierté inlassable, doit donner son contenu de douleur et d’espoir à cette nature.

“Je me révolte, donc nous sommes” disait l’esclave. La révolte métaphysique ajoutait alors le “nous sommes seuls”, dont nous vivons encore aujourd’hui. Mais si nous sommes seuls sous le ciel vide, si donc il faut mourir à jamais, comment pouvons-nous être réellement ? La révolte métaphysique tentait alors de faire de l’être avec du paraître. Après quoi les pensées purement historiques sont venues dire qu’être, c’était faire. Nous n’étions pas, mais devions être par tous les moyens. Notre révolution est une tentative pour conquérir un être neuf, par le faire, hors de toute règle morale. C’est pourquoi elle se condamne à ne vivre que pour l’histoire, et dans la terreur. L’homme n’est rien selon elle, s’il n’obtient pas dans l’histoire, de gré ou de force, le consentement unanime. A ce point précis, la limite est dépassée, la révolte est trahie, d’abord et logiquement assassinée ensuite, car elle n’a jamais affirmé dans son mouvement le plus pur que l’existence d’une limite, justement, et l’être divisé que nous sommes : elle n’est pas à l’origine la négation totale de tout être. Au contraire, elle dit en même temps oui et non. Elle est le refus d’une part de l’existence au nom d’une autre part qu’elle exalte. Plus cette exaltation est profonde, plus implacable est le refus. ensuite, lorsque sans le vertige et la fureur, la révolte passe au tout ou rien, à la négation de tout être et de toute nature humaine, elle se renie à cet endroit. La négation totale justifie seule le projet d’une totalité à conquérir. Mais l’affirmation d’une limite, d’une dignité et d’une beauté communes aux hommes, n’entraîne que la nécessité d’étendre cette valeur à tous et à tout et de marcher vers l’unité sans renier les origines. En ce sens, la révolte est l’unité, la revendication de la révolution historique : la totalité. La première part du non appuyé sur un oui, la seconde part de la négation absolue et se condamne à toutes les servitudes pour fabriquer un oui rejeté à l’extrémité des temps L’une est créatrice, l’autre nihiliste. La première est vouée à créer pour être de plus en plus, la seconde forcée de produire pour nier de mieux en mieux. La révolution historique s’oblige à faire toujours dans l’espoir, sans cesse déçu, d’être un jour. Même le consentement unanime ne suffira pas à créer l’être. “Obéissez!” disait Frédéric le Grand à ses sujets. Mais en mourant : “je suis las de régner sur des esclaves.” Pour échapper à cet absurde destin, la révolution est et sera condamnée à renoncer à ses propres principes, au nihilisme et à la valeur purement historique, pour retrouver la source créatrice de la révolte. La révolution pour être créatrice ne peut se passer d’une règle, morale ou métaphysique, qui équilibre le délire historique. Elle n’a sans doute qu’un mépris justifié pour la morale formelle et mystificatrice qu’elle trouve dans la société bourgeoise. Mais sa folie a été d’étendre ce mépris à toute revendication morale. A ses origines mêmes et dans ses élans les plus profonds, se trouve une règle qui n’est pas formelle et qui pourtant, peut lui servir de guide. La révolte, en effet, lui dit et lui dira de plus en plus haut qu’il faut essayer de faire, non pour commencer d’être un jour, aux yeux d’un monde réduit au consentement, mais en fonction de cet être obscur qui se découvre déjà dans le mouvement d’insurrection. Cette règle n’est ni formelle ni soumis à l’histoire, c’est ce que nous pourrons préciser en la découvrant à l’état pur, dans la création artistique. Notons seulement, auparavant, qu’au “je me révolte donc nous sommes”, au “Nous sommes seuls”, de la révolte métaphysique, la révolte au prise avec l’histoire ajoute qu’au lieu de tuer et mourir pour produire l’être que nous ne sommes pas, nous avons à vivre et faire vivre pour créer ce que nous sommes.

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“Deviens ce que tu es.” (Friedrich Nietzsche)

Albert Camus sur Résistance 71

CHEVAL FOU
Dans l’esprit de Cheval Fou…

21 mai 1871, il y a 150 ans débutait la semaine sanglante qui écrasait la Commune : 30 000 communards furent sommairement exécutés par la république… « L’hécatombe » de Louise Michel

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La Commune de Paris 1871-2021

La semaine sanglante: 21-28 mai 1871

Résistance 71

Mai 2021

Extraits de la 4ème partie de “La Commune, histoire et souvenirs” de Louise Michel (1898) : L’hécatombe

Note de R71: Il est impossible de parler de l’expérience (r)évolutionnaire de la Commune de Paris en 1871, sans parler de la sauvage répression qui s’en suivit. Sans rappeler aussi, que le carnage qui eut lieu ne fut pas perpétré par un dictateur autocrate sanguinaire, mais par le bras armé d’une toute jeune république dite “modérée”, montrant par là même que les concepts de “démocratie” et de “dictature” ne sont en fait que des degrés différents de la même organisation sociale, celle de l’État oppresseur qui, depuis la révolution bourgeoise de 1789 et la 1ère révolution industrielle de 1810, n’est plus qu’un outil répressif du capital en voie de croissance métamorphique jusqu’à sa déchéance finale.

Si les chiffres sont toujours discutés (on parle de plus de 30 000 morts voire de 100 000), ce qui n’est pas sujet à discussion est la sauvagerie avec laquelle la bourgeoisie se vengea de l’affront causé par ce petit peuple à sa suprématie politique et marchande, sous le commandement du très royaliste Adolphe Thiers, patron d’un gouvernement républicain ayant fui à Versailles et qualifié depuis lors de l’infâme vocable de gouvernement “versaillais”. Si la répression fut des plus sanglantes, elle fut néanmoins absolument incapable d’éradiquer cet esprit communard vivant en chacun de nous. Laissons la place à une de ses incarnations les plus flamboyantes : Louise Michel, qui participa, survécut, demanda sa mise à mort lors de son procès, pour finalement être déportée en Nouvelle-Calédonie, et qui demeura un flambeau anarchiste le reste de sa vie. Elle raconte.

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vive_la_commune!
21 mai 2021 , plus que jamais… VIVE LA COMMUNE !

L’hécatombe 

(extraits tirés du livre “La Commune, histoire et souvenirs”)

Louise Michel

1898

1. La lutte dans Paris, l’égorgement

[…] L’égorgement commençait en silence. Assi, allant du côté de la Muette, vit dans la rue Beethoven des hommes qui, couchés à terre, semblaient dormir. La nuit étant claire, il reconnaît des fédérés et s’approche pour les réveiller, son cheval glisse dans une mare de sang. Les dormeurs étaient des morts, tout un poste égorgé.

“L’officiel” de Versailles n’avait-il pas donné la marche pour la tuerie, on s’en souvient :

“Pas de prisonniers ! Si dans le tas, il se trouve un honnête homme réellement entraîné de force, vous le verrez bien dans ce monde là. Un honnête homme se distingue par son auréole ; accordez aux braves soldats la liberté de venger leurs camarades en faisant sur le théâtre et dans la rage même de l’action ce que le lendemain ils ne voudraient pas faire de sang-froid.”

Tout était là. On persuada aux soldats qu’ils avaient à venger leurs camarades : à ceux qui arrivaient, délivrés de la captivité de la Prusse, on disait que la Commune s’entendait avec les Prussiens, et les crédules s’abreuvèrent de sang dans leur rage.

Afin que comme au 18 mars, l’armée ne levât pas la crosse en l’air, on gorgea les soldats d’alcool mêlé, suivant l’ancienne recette, avec de la poudre et surtout entonné de mensonges ; à l’histoire trop vieille du mobile scié entre deux planches, on avait joint je ne sais quel autre conte aussi invraisemblable

Paris, cette ville maudite qui rêvait le bonheur de tous, où les bandits du comité central et de la Commune, les monstres du Comité de Salut Public et de la sûreté n’aspiraient qu’à donner leur vie pour le salut de tous, ne pouvaient pas être compris par l’égoïsme bourgeois plus féroce encore que l’égoïsme féodal ; la race bourgeoise ne fut grande qu’un demi-siècle à peine, après 89. Delescluze, Dijon furent les derniers grands bourgeois semblables aux conventionnels.

[…] Drapeau rouge en tête, les femmes étaient passées, elles avaient leur barricade place Blanche : il y avait là Elisabeth Dmihef, Madame Lemel, Malvina Poulain, Blanche Lefebvre, Excoffons, André Léo était à celles des Batignolles. Plus de 10 000 femmes aux jours de mai, éparses ou ensemble, combattirent pour la liberté. J’étais à la barricade qui barrait l’entrée de la chaussée Clignancourt, devant le delta…

[…] Tout quartier pris par Versailles était changé en abattoir. La rage du sang était si grande que les Versaillais tuèrent de leurs propres agents allant à leur rencontre.

[…] Le sang coulait à flot dans tous les arrondissements pris par Versailles. Par places, les soldats lassés de carnage s’arrêtaient comme des fauves repus.

Sans les représailles, la tuerie eûtété plus large encore. Seule le décret sur les otages empêcha Gallifet, Vinoy et les autres, d’opérer l’égorgement complet des habitants de Paris.

Un commencement d’exécution de ce décret fit retirer aux pelotons d’exécution des prisonniers qu’à coups de crosse de fusil on poussait au mur, où par tas restaient les morts et les mourants.

Nous avons rencontré en Calédonie quelques-uns de ces réchappés de la mort.

Rochefort raconte ainsi ce qui lui fut dit par un compagnon de route, ou plutôt de cage, dans les antipodes ; il racontait ceci :

On venait d’exécuter une quinzaine de prisonniers, son tour était venu, il avait été collé au mur, un mouchoir sur les yeux, car ces supplicieurs y mettaient parfois les formes. Il attendait les douze balles qui devaient lui revenir et commençait à trouver le temps long. Tout à coup, un sergent vint lui retirer le bandeau fatal, tout en criant aux hommes du peloton d’exécution : Demi-tour à gauche.

Qu’y a t’il ? demande le patient.

Il y a répondit d’un ton plein de regret le lieutenant chargé de commander le feu, que la Commune vient de décréter qu’elle aussi fusillerait les prisonniers si nous continuions à fusiller les vôtres et que le gouvernement interdit maintenant les exécutions sommaires.

C’est ainsi que trente fédérés furent en même temps que celui-là rendus à la vie, mais non à la liberté, car on les envoya sur les pontons d’où mon camarade de geôle partit en même temps que moi pour la Nouvelle-Calédonie.

Les exécutions sommaires reprirent après le triomphe de Versailles, les soldats eurent comme des bouchers, les bras rouges de sang : le gouvernement n’avait plus rien à craindre.

On verra combien, du côté de la Commune, le nombre des exécutions fut infime devant les 35 000 officiellement avoués, qui sont plutôt 100 000 de plus.

[…] La vengeance des déshérités ! Elle est plus grande que la terre elle-même.

Les légendes les plus folles coururent sur les “pétroleuses” ; il n’y a pas eu de pétroleuses ; les femmes se battirent comme des lionnes, mais je ne vis que moi criant le feu ! le feu devant ces monstres !

Non pas des combattantes mais de malheureuses mères de famille, qui dans les quartiers envahis se croyaient protégées par quelques ustensiles, faisant voir qu’elles allaient chercher de la nourriture pour leurs petits (une boîte au lait par exemple), elles étaient regardées comme “incendiaires”, porteuses de pétrole et collées au mur ! Ils les attendirent longtemps leurs petits !…

Quelques enfants, sur les bras des mères, étaient fusillés avec elles, les trottoirs étaient bordés de cadavres.

[…] La plupart, cherchant à donner des gages à Versailles, indiquaient dans les quartiers envahis les partisans de la Commune, faisant fusiller ceux à qui ils en voulaient.

Les coups sourds des canons, le crépitement des balles, les plaintes du tocsin, le dôme de fumée traversé de langues de flammes disaient que l’agonie de Paris n’était pas terminée et que Paris ne se rendrait pas.

Tous les incendies d’alors ne furent pas le fait de la Commune, certains propriétaires ou commerçants, afin d’être richement indemnisés de bâtisses ou de marchandises dont ils ne savaient que faire, y mirent le feu.

D’autres incendies furent allumés par les bombes incendiaires de Versailles.

Celui du ministère des finances fut, à l’aide de faux, attribué à Ferré, qui ne l’eût pas nié s’il l’eût fait : il gênait la défense.

[…] La chasse aux fédérés étaient largement engagée, on égorgeait dans les ambulances ; un médecin, le Dr Faneau, qui ne voulut pas livrer ses blessés, fut lui-même passé par les armes… Quelle scène !

[…] Les mitrailleuses moulent dans les casernes. On tue comme à la chasse, c’est une boucherie humaine ; ceux qui, mal tués, restent debout ou courent contre les murs, sont abattus à loisir.

Alors on se souvient des otages, des prêtres ; 34 agents de Versailles et de l’empire sont fusillés. Il y a dans l’autre poids de la balance, des milliers de cadavres. Le temps est passé où la Commune disait : Il n’y a pas de drapeau pour les veuves et les orphelins, la Commune vient d’envoyer du pain à 74 femmes de ceux qui nous fusillent.

Les portes du Père-Lachaise, où se sont réfugiés des fédérés pour les derniers combats, sont battues en brèche par les canons.

La Commune n’a plus de munition, elle ira jusqu’à la dernière cartouche.

La poignée de braves du Père-Lachaise se bat à travers les tombes contre une armée, dans les fosses, dans les caveaux au sabre. à la baïonnette, à coups de crosses de fusil ; les plus nombreux, les mieux armés, l’armée qui garda sa force pour Paris assomme, égorge les plus braves.

Au grand mur blanc qui donne sur la rue du Repos, ceux qui restent de cette poignée héroïque sont fusillés à l’instant. Ils tombent en criant : Vive la Commune !

Là comme partout, des décharges successives achèvent ceux que les premières ont épargnés ; quelques-uns achèvent de mourir sous les tas de cadavres ou sous la terre.

Une autre pognée, ceux des dernières heures, ceints de l’écharpe rouge, s’en vont vers la barricade de la rue Fontaine-au-Roi ; d’autres membres de la Commune et du comité central viennent se joindre à ceux-là et dans cette nuit de mort majorité et minorité se tendent la main.

Sur la barricade flotte un immense drapeau rouge. Il y a là les deux Ferré, Théophile et Hippolyte, J.B Clément, Cambon, un garibaldien, Varlin, Vermorel, Champy.

La barricade de la rue St Maur vient de mourir, celle de la rue Fontaine-au-Roi s’entête, crachant la mitraille à la face sanglante de Versailles.

On sent la bande furieuse des loups qui s’approchent, il n’y a plus à la Commune qu’une parcelle de Paris, de la rue du faubourg du Temple au boulevard de Belle-ville.

Rue Ramponneau, un seul combattant à une barricade arrêta un instant Versailles.

Les seuls encore debout, en ce moment où se tait le canon du Père-Lachaise, sont ceux de la rue Fontaine-au-Roi.

Ils n’ont plus pour longtemps de mitraille, celle de Versailles tonne sur eux.

Au moment où vont partir leurs derniers coups, une jeune fille venant de la barricade de la rue St-Maur arrive, leur offrant ses services, ils voulaient l’éloigner de cet endroit de mort, elle resta malgré eux.

Quelques instants après, la barricade, jetant en une formidable explosion tout ce qui lui restait de mitraille mourut dans cette décharge énorme, que nous entendîmes de Satory, ceux qui étaient prisonniers ; à l’ambulancière de la dernière barricade et de la dernière heure, Jean-Baptiste Clément dédia longtemps après la chanson des Cerises. Personne ne la revit.

J’aimerai toujours le temps des cerises

C’est de ce temps-là, que je garde au cœur,

Une plaie ouverte.

Et, dame fortune en m’étant offerte,

Ne saurait jamais calmer ma douleur,

J’aimerai toujours le temps des cerises,

Et le souvenir que je garde au cœur.

J.B Clément

La Commune était morte, ensevelissant avec elle des milliers de h´´ros inconnus.

[…]

Ce dimanche-là, du côté de la rue de La Fayette, fut arrêté Varlin : on lui lia les mains et son nom ayant attiré l’attention, il se trouva bientôt entouré par la foule étrange des mauvais jours.

On le mit au milieu d’un piquet de soldats pour le conduire à la Butte, qui était l’abattoir.

La foule grossissait, non pas celle que nous connaissions, houleuse, impressionnable, généreuse, mais la foule des défaites, qui vient acclamer les vainqueurs et insulter les vaincus, la foule du vae victis éternel.

La Commune était à terre, cette foule, elle aidait aux égorgements.

On allait d’abord fusiller Varlin près d’un mur, au pied des Buttes, mais une vois s’´´cria : il faut le promener encore, d’autres criaient, “Allons rue des Rosiers”.

Les soldats et l’officier obéirent, Varlin, toujours les mains liées, gravit les Buttes, sous l’insulte, les cris, les coups, il y avait environ deux mille de ces misérables. Il marchait sans faiblir, la tête haute, le fusil d’un soldat partit sans commandement et termina son supplice, les autres suivirent. Les soldats se précipitèrent pour l’achever. Il était mort.

Tout la Paris réactionnaire et badaud, celui qui se cache aux heures terribles, n’ayant plus rien à craindre, vint voir le cadavre de Varlin.

Mac-Mahon, secouant sans cesse les 800 et quelques cadavres qu’avait fait la Commune, légalisait, aux yeux des aveugles, la terreur et la mort.

[…]

2. La curé froide

“Paris sanglant, au clair de lune,
Rêve sur la fosse commune.”
Victor Hugo

Au chenil, les soirs de chasse, après la curée chaude, sur le corps pantelant de la bête égorgée, les valets de meute jettent aux chiens du pain trempé de sang. Ainsi fut offerte, par les bourgeois de Versailles, la curée froide aux égorgeurs.

D’abord, la tuerie en masse avait eu lieu quartier par quartier à l’entrée de l’armée régulière, puis la chasse aux fédérés, dans les maisons, dans les ambulances, partout. On chassait dans les catacombes avec des chiens et des flambeaux ; il en fut de même dans les carrières d’Amérique, mais la peur s’en mêla. Des soldats de Versailles, égarés dans les catacombes, avaient pensé périr.

[…] Les officiers de Versailles, maîtres absolus de la vie des prisonniers, en disposaient à leur gré.

Les mitrailleuses étaient moins employées qu’aux premiers jours ; il y avait maintenant, quand le nombre de ceux qu’on voulait tuer dépassait dix, des abattoirs commodes, les casemates des forts qu’on fermait, une fois les cadavres entassés, le bois de Boulogne, ce qui en même temps procurait une promenade.

Mais tout étant plein de morts, l’odeur de cette immense sépulture attirait sur la ville morte l’essaim horrible des mouches des charniers ; les vainqueurs, craignant la peste, suspendirent les exécutions.

La mort n’y perdait rien  les prisonniers entassés à l’Orangerie, dans les caves, à Versailles, à Satory, sans linge pour les blessés, nourris plus mal que des animaux, furent bientôt décimés par la fièvre et l’épuisement.

Quelques-uns, apercevant leurs femmes et leurs enfants à travers les grilles, devenaient subitement fous.

D’autre part, les enfants, les femmes et les vieux, cherchaient à travers les fosses communes, essayant de reconnaître les leurs dans les charretées de cadavres incessamment versées.

[…] Il y avait dans les premiers temps je ne sais quelle promesse de 500 francs de récompense pour indiquer le refuge d’un membre de la Commune ou du comité central ; cela courait en France et à l’étranger. Tous ceux qui se sentaient capables de vendre un proscrit étaient invités.

La lettre suivante fut adressée de Versailles, dès le 20 mai, aux agents des gouvernements à l’étranger par le gouvernement de Versailles.

Monsieur,

L’œuvre abominable des scélérats qui succombent sous l’héroïque effort de notre armée ne peut être confondue avec aucun acte politique, elle constitue une série de forfaits prévus et punis par les lois de tous les peuples civilisés. 

L’assassinat, le vol, l’incendie, systématiquement ordonnés, préparés avec une infernale habileté, ne doivent permettre à leurs complices d’autre refuge que celui de l’expiation légale.

Aucune nation ne peut couvrir d’immunité et sur le sol de toutes, leur présence serait une honte et un péril. Si donc vous apprenez qu’un individu compromis dans l’attentat de Paris a franchi la frontière de la nation près de laquelle vous êtes accrédité, je vois invite à solliciter des autorités locales son arrestation immédiate et à m’en donner de suite avis pour que je régularise cette situation par une demande d’extradition.” signé: Jules Favre

L’Angleterre pour toute réponse reçut les proscrits de la Commune ; les gouvernements espagnol et belge envoyèrent seuls leur adhésion à Versailles.

[…]

Nous avons dit que le chiffre de 35 000, adopté officiellement pour les victimes de la répression de Versailles, ne peut être pris comme réel. [il est bien supérieur]

[…]

Versailles capitale

Oui, Versailles est la capitale,
Ville corrompue et fatale,
C’est elle qui tient le flambeau,
Satory lui fait sentinelle,
Et les bandits la trouvent belle,
Avec un liceul pour manteau,
Versailles, vieille courtisane,
Sous sa robe que le temps fane,
Tient la république au berceau,
Couverte de lèpre et de crime.
Elle souille ce nom sublime,
En l’abritant sous son drapeau.
Il leur faut de hautes bastilles,
Pleines de soldats et de filles,
Pour se croire puissants et forts,
Tandis que sous leur poids immonde,
La ville où bat le cœur du monde,
Paris, dort du sommeil des morts,
Malgré vous le peuple héroïque,
Fera grande la République ;
On n’arrête pas le progrès,
C’est l’heure où tombent les couronnes,
Comme à la fin des froids automnes,
Tombent les feuilles des forêts.
Louise Michel
Prison de Versailles, octobre 1871.

[…]

Comme s’étaient amoncelés les cadavres, on entassait les condamnations ; après le délire du sang, il y avait le délire des jugements. Versailles crut faire avec la terreur le silence éternel.

Des écrivains furent condamnés à mort pour des articles de journaux : ainsi Maroteau, condamné à mort pour des articles dans “La Montagne”.

La profession de foi de ce journal n’était que l’exact compte rendu des faits.

[…] Maroteau avait écrit dans le premier numéro de “La Montagne” : “J’ai fait le serment de Rousseau et de Marat : mourir s’il le faut, mais dire la vérité.” Cette vérité était qu’il était impossible dans les circonstances horribles créées par Versailles d’écrire comme d’agir autrement.

[…]

La dernière exécution à Satory eut lieu le 22 janvier 1873 : Philippe, membre de la Commune, Benot et Decendre, pour avoir participé à a défense de Paris par l’incendie des Tuileries.

ils tombèrent en criant : Vive la révolution sociale ! vive la Commune !

En septembre [1872] avaient été fusillés pour faits semblables, Lolive, Demvelle, et Deschamps : A bas les lâches ! crièrent-ils en tombant. Vive la république universelle !

Comme elle paraissait belle debout au poteau où l’on mourait pour elle.

Satory pendant ces deux ans but du sang pour que la terre en fût arrosée.

La Commune était morte, mais la révolution vivait. Cette incessante éclosion de tous les progrès, dans lesquels à chaque époque a évolué l’humanité, compose d’âge en âge, une forme nouvelle.

[…]

= = =

Extrait d’un appendice des mémoires de L. Michel, texte écrit par le Groupe de la Commune Révolutionnaire à Londres en juin 1874 :

Texte écrit et diffusé il y a donc 147 ans… Jugez plutôt de son incroyable actualité. Où en sommes-nous aujourd’hui ?… (Résistance 71)

“Dans la grande bataille engagée entre la bourgeoisie et le prolétariat, entre la société actuelle et la Revolution, les deux camps sont bien distincts, il n’y a de confusion possible que pour l’imbécilité ou la trahison.

D’un côté tous les partis bourgeois : légitimistes, orléanistes, bonapartistes, républicains, conservateurs ou radicaux ; de l’autre, le parti de la Commune, le parti de la révolution, l’ancien monde contre le nouveau.

Déjà la vie a quitté plusieurs de ces formes du passé et les variété monarchiques se résolvent, en fin de compte, dans l’immonde bonapartisme. Quant aux partis qui, sous le nom de république conservatrice ou radicale, voudraient immobiliser la société dans l’exploitation continue du peuple par la bourgeoisie, directement, sans intermédiaire royal, radicaux ou conservateurs, ils diffèrent plus par l’étiquette que par le contenu ; plutôt que des idées différentes, ils représentent les étapes que parcourra la bourgeoisie, avant de rencontrer dans la victoire du peuple, sa ruine définitive.

Feignant à croire en la duperie du suffrage universel, ils voudraient faire accepter au peuple ce mode d’escamotage périodique de la révolution ; ils voudraient voir le parti de la révolution, entrant dans l’ordre légal de la société bourgeoise, par là même cesser d’être, et la minorité révolutionnaire abdiquer devant l’opinion moyenne et falsifiée de majorités soumises à toutes les influences de l’ignorance et du privilège.

Les radicaux [libéraux] seront les derniers défenseurs du monde bourgeois mourant ; autour d’eux seront ralliés tous les représentants du passé, pour livrer la lutte dernière contre la Révolution. La fin des radicaux sera la fin de la bourgeoisie.

A peine sortis des massacres de la Commune, rappelons à ceux qui seraient tentés d’oublier que la gauche versaillaise, non moins que la droite, a commandé le massacre de Paris et que l’armée des massacreurs à reçu les félicitations des uns comme celles des autres. Versaillais de droite et Versaillais de gauche doivent être égaux devant la haine du peuple, car contre lui, toujours, radicaux et jésuites sont d’accord.

Il ne peut donc y avoir d’erreur et tout compromis, toute alliance avec les radicaux doivent être réputés trahison.

Plus près de nous, errant entre les deux camps, ou même égarés dans nos rangs, nous trouvons des hommes dont l’amitié, plus funeste que l’inimitié, ajournerait indéfiniment la victoire du peuple s’il suivait leurs conseils, s’il devenait dupe de leurs illusions.

Limitant plus ou moins les moyens de combat à ceux de la lutte économique, ils prêchent à des degrés divers l’abstention de la lutte armée, de la lutte politique.

Érigeant en théorie la désorganisation des forces populaires, ils semblent en face de la bourgeoisie armée, alors qu’il s’agit de concentrer les efforts pour un combat suprême, ne vouloir qu’organiser la défaite et livrer le peuple désarmé aux coups de ses ennemis.

Ne comprenant pas que la révolution est la marche consciente et voulue de l’humanité vers le but que lui assignent son développement historique et sa nature,  ils mettent les images de leur fantaisie au lieu de la réalité des choses et voudraient substituer au mouvement rapide de la révolution, les lenteurs d’une évolution dont ils se font les prophètes.

Amateurs de demi-mesures, fauteurs de compromis, ils perdent les victoires populaires qu’ils n’ont pu empêcher ; ils épargnent sous prétexte de pitié les vaincus ; ils défendent sous prétextes d’équité les institutions, les interdits d’une société contre lesquels le peuple s’était levé. Ils calomnient les révolutions quand ils ne peuvent plus perdre.

Ils se nomment communalistes.

Au lieu de l’effort révolutionnaire du peuple de Paris pour conquérir le pays entier à la république communeuse, ils voient dans la révolution du 18 mars un soulèvement pour des franchises municipales.

Ils renient les actes de cette révolution qu’ils n’ont pas comprise, pour ménager sans doute les nerfs d’une bourgeoisie dont ils savent si bien épargner la vie et les intérêts. Oubliant qu’une société ne périt que quand elle est frappée aussi bien dans ses monuments, ses symboles, que dans ses institutions et ses défenseurs, ils veulent décharger la Commune de la responsabilité de l’exécution des otages, de la responsabilité des incendies. Ils ignorent, ou feignent d’ignorer, que c’est par la volonté du Peuple et de la Commune, unis jusqu’au dernier moment, qu’ont été frappés les otages, les prêtres, les gendarmes, les bourgeois et allumés les incendies.

Pour nous, nous revendiquons notre part de responsabilité dans ces actes justiciers qui ont frappé les ennemis du Peuple, depuis Clément Thomas et Lecointe jusqu’aux dominicains d’Arcueil ; depuis Bonjean jusqu’aux gendarmes de la rue Haxo ; depuis Darboy jusqu’à Chaudey.

Nous revendiquons notre part de responsabilité dans ces incendies qui détruisaient des instruments d’oppression monarchique et bourgeoise ou protégeaient les combattants.

Comment pourrions-nous feindre la pitié pour les oppresseurs séculaires du peuple, pour les complices de ces hommes qui depuis trois ans célèbrent leur triomphe par la fusillade, la transportation, l’écrasement de tous ceux des nôtres qui ont pu échapper au massacre immédiat ?

Nous voyons encore ces assassinats sans fin, d’hommes, de femmes, d’enfants, des égorgements qui faisaient couler à flots le sang du peuple dans les rues, les casernes, les squares, les hôpitaux, les maisons. Nous voyons les blessés ensevelis avec les morts ; nous voyons Versailles, Satory, les pontons, le bagne, la Nouvelle-Calédonie. Nous voyons Paris, la France, courbés sous la terreur, l’écrasement continu, l’assassinat en permanence.

Communeux de France, Proscrits, unissons nos efforts contre l’ennemi commun ; que chacun, dans la mesure de ses forces, fasse son devoir !”

Le Groupe : La Commune révolutionnaire : Aberlen, Berton, Breuillé, Carné, Jean Clément, F. Cournet, Ch. Dacosta, Delles, A. Derouillis, E. Eudes, H. Gausseron, E. Gois, Léonce Luillier, P. Mallet, Marguerittes, Constant-Martin, A. Gouillé, E. Granger, A. Huguenot, E. Jouanin, Ledrux, A. Moreau, H. Mortier, A. Oldrini, Pichon, A. Pirier, Rysto, B. Sachs, Solignac, Ed. Vaillant, Varlet, Viard.

Londres, juin 1874.

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A lire aussi sur la Commune:

Pierre Kropotkine « La Commune de Paris »

Michel Bakounine « La Commune et la notion d’état »

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