« Nostalghia » Andreï Tarkovsky : Le discours de Domenico ou la conscience sur le bûcher…

En 1983, Andreï Tarkovski réalise le premier de ses deux films en dehors de Russie alors soviétique. Il a reçu une autorisation spéciale pour se rendre en Italie et tourner “Nostalghia”, qui raconte l’histoire d’un écrivain russe se rendant en Italie pour suivre et raconter la vie d’un artiste russe exilé au XIXème siècle.
“Nostalghia” est, à notre sens, avec sans doute “Le Miroir” (1974), son film le plus abouti tant sur le fond que la forme de Tarkovski. Un pur joyau du cinéma, qui marque le spectateur jusqu’au plus profond et qui le hante à tout jamais.
Tarkovski ne retournera pas en URSS et mourra d’un cancer en France fin décembre 1986. Il tournera son dernier film “Le sacrifice” en 1985-6 en Suède.
Dans “Nostalghia”, un personnage marginal du nom de Domenico, rencontre le personnage principal et lui donne sa vision de la vie. Dans une des scènes les plus poignantes du film, Domenico fait ce discours juché sur l’échafaud(age) d’une statue de place publique avant de s’immoler par le feu.

La scène à l’écran dure 3min50 composées de deux plans séquences : un long et lent travelling sur une place de ville italienne pour planter décor et audience, enchaîné par un travelling vertical à la grue partant du bas et de l’arrière de la statue pour venir situer et cadrer Domenico perché sur l’échafaudage.
Le message colporté par Domenico demeurera valide tant qu’un changement radical de société ne se soit opéré ; Domenico est le “fou” visionnaire qui doit mourir pour que son message perdure et soit potentiellement entendu. Une de ces petites choses qui perdurent comme il l’annonce… Domenico préfigure le personnage d’Alexandre du dernier film de Tarkovski.
~ Résistance 71 ~


Domenico ou la conscience sur le bûcher


Le chemin que vous prenez se reflète dans vos yeux mouillés de larmes,
Comme les buissons se réfléchissent dans le marécage.
Ne soyez pas difficiles, ne touchez pas, ne menacez pas,
N’offensez pas le silence de la forêt le long de la Volga.
~ Arseni Tarkovski ~

Le discours de Domenico


“Nostalghia”, Andreï Tarkovski


1983

Quel ancêtre parle en moi ? Je ne peux pas vivre simultanément dans ma tête et dans mon corps ; voilà pourquoi je ne peux pas être juste une personne ! Je peux ressentir une quantité innombrable de choses. Il ne reste plus de grands maîtres. Voilà le véritable mal de notre temps. Le chemin du cœur est submergé d’ombre. Nous devons écouter des voix qui semblent inutiles dans des cerveaux remplis d’une tuyauterie d’égout, de murs d’école, de bitume et de paperasserie de sécurité sociale ; le bourdonnement des insectes se doit d’entrer. Nous devons tous nous emplir les yeux et les oreilles de ces choses qui sont le début d’un grand rêve. Quelqu’un doit hurler que nous allons construire les pyramides et ça n’a pas d’importance si nous ne le faisons pas ! Nous devons maintenir ce souhait, ce désir et étirer tous les coins de l’âme, comme un drap sans fin. Si vous voulez que le monde progresse, nous devons nous tenir par la main, nous devons mélanger les soi-disants sains avec les soi-disants malades. Vous les gens sains ! Quel est le sens de votre santé ? Les yeux de l’humanité plongent vers l’abîme dans lequel nous nous précipitons. La liberté est inutile si vous n’avez pas le courage de nous regarder dans les yeux, de manger, de boire et de dormir avec nous ! Ce sont les soi-disants sains qui ont amené le monde au bord de la catastrophe. Homme, écoute ! En toi, l’eau, le feu et puis les cendres.

Où suis-je lorsque je ne suis ni dans la réalité ni dans mon imaginaire ? 

Voici mon nouveau pacte avec le monde :

Il doit faire soleil la nuit et neiger en août. Les grandes choses finissent, les petites perdurent. La société doit de nouveau être unie au lieu d’être fragmentée. Regardez la nature et vous verrez que la vie est simple. Nous devons retourner là où nous étions, au point où vous avez pris le mauvais chemin. Nous devons retourner à la fondation principale de la vie, sans salir l’eau.

Dans quel monde vivons-nous si c’est un fou qui vous dit : Honte à vous ! Et maintenant, musique !…

~ Traduit de l’anglais avec assistance de la version originale italienne, Résistance 71 ~

Octobre 2020

= = =

A lire, Tarkovski en PDF sur R71:

Le _Temps_Scellé_Andrei_Tarkovski

Une Réponse to “« Nostalghia » Andreï Tarkovsky : Le discours de Domenico ou la conscience sur le bûcher…”

  1. […] de l’anglais avec assistance de la version originale italienne, Résistance 71 – Octobre […]

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.