Archive pour janvier, 2020

Gilets Jaunes… à tout jamais !

Posted in actualité, altermondialisme, crise mondiale, démocratie participative, gilets jaunes, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et social, politique française, résistance politique, Social & Retraite, société des sociétés, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , on 31 janvier 2020 by Résistance 71

 

 

 

Gilets Jaunes An II !

 

Il y a maintenant plus de 14 mois de lutte écoulés qui nous montrent on ne peut plus clairement qu’il n’y a pas de solutions au sein du système, qu’il n’y en a en fait jamais eu et qu’il ne saurait y en avoir !

Ceci se doit de devenir une évidence incontournable pour toutes et tous, membres de notre lutte organique pour une société enfin libre.

Ainsi, toute négociation avec l’État et les représentants de l’oligarchie est non seulement futile mais contre-productive. Ignorons-les !

Solidarité – Union – Persévérance – Réflexion – Action

Devenons S.U.P.R.A Gilets Jaunes !

Reprenons le pouvoir par les Assemblées Populaires et dans le même temps:

  • Boycottons les institutions
  • Boycottons l’élection et l’impôt absorbant l’intérêt de la dette odieuse
  • Boycottons les entreprises du CAC40 et des transnationales criminelles
  • Achetons et promouvons les produits locaux
  • Réaménageons nos campagnes et nos communautés agricoles
  • Rassemblons-nous en comités populaires de voisinage, de travail… Créons les Communes libres librement associées
  • Restons incontrôlables et imprévisibles !

Tout le Pouvoir aux Ronds-Points !

Pour une société émancipée et donc libre !

Groupe Gilets Jaunes de _______________

Aussi…

Cinq textes fondamentaux pour nous aider à  y parvenir, ensemble, à  lire, relire et diffuser sans aucune modération:

 


Gaulois penseur… et réfractaire !

Résistance politique : entretien avec la Federation Anarchiste de Rio de Janeiro (FARJ)

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, documentaire, gilets jaunes, militantisme alternatif, pédagogie libération, politique et social, résistance politique, société des sociétés, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , on 31 janvier 2020 by Résistance 71

Entretien très intéressant avec la Fédération Anarchiste de Rio de Janeiro dont le représentant parle franc et sans détour. On n’est pas forcément d’accord avec tout ce qui se dit, mais ils ont le mérite d’être actif et de pousser à la compréhension et la transformation de la réalité sociale.
~ Résistance 71 ~

 

 

Entretien avec la Fédération Anarchiste de Rio de Janeiro (FARJ)

 

Federação Anarquista do Rio de Janeiro

 

La FARJ et la Coordination Anarchiste Brésilienne (CAB)

 

“Nous avons opté pour le modèle spécifique en grande partie inspiré de celui de la FAU. Une organisation axée sur l’engagement militant, que défend des positions claires : la nécessité de s’organiser, l’organisation agissant en tant que minorité active, l’unité théorique et tactique, la production de théorie, la nécessité d’un travail et d’une insertion sociale, l’anarchisme considéré comme un instrument pour la lutte des classes avec pour objectif un projet socialiste libertaire, la distinction entre les niveaux de l’action politique (de l’organisation anarchiste) et sociale (des mouvements populaires) et la défense d’un militantisme suivant une stratégie définie. « 

Réalisé entre décembre 2007 et février 2008

 

– Thierry Libertad : Qu’est-ce que la FARJ et depuis quand existe-t-elle ? 

Fédération Anarchiste de Rio de Janeiro : La FARJ est une organisation anarchiste spécifique, fondée le 30 août 2003. Elle est le résultat d’un processus de lutte et d’organisation à Rio de Janeiro qui remonte à des dizaines d’années. L’objectif, lors de sa création, était de consolider une organisation anarchiste qui tenterait de récupérer le vecteur social perdu par l’anarchisme brésilien, depuis les années 30. Influencés par l’histoire de résistance de l’anarchisme à Rio de Janeiro, nous avons publié, lors de sa création, un « Manifeste de fondation » où s’affirme notre volonté de lutter pour un anarchisme organisé. Nous avons également publié une « Charte de Principes », dans laquelle nous avons défini tout ce qui guident nos actions : liberté, éthique et valeurs, fédéralisme, internationalisme, autogestion, action directe, lutte des classes, combat politique, participation aux luttes sociales, solidarité. 

– T.L. : Qu’entendez-vous par « récupérer le vecteur social » ? 

FARJ : Nous désignons par vecteur social de l’anarchisme sa présence et son influence dans les mouvements populaires et dans la lutte des classes. En réalité l’anarchisme, en tant que proposition pertinente et conséquente, n’a jamais disparu du Brésil, mais a perdu, au cours des années 30, son premier grand vecteur social, représenté, à cette époque, par le syndicalisme révolutionnaire. Les raisons en sont multiples : la relation de dépendance des syndicats envers l’Etat, la répression des autorités et l’offensive bolchevique. Selon Malatesta, les anarchistes devraient être dans tous les espaces où se manifestent les contradictions du capitalisme, agissant de la manière la plus libertaire possible. C’était ce qui guidait les anarchistes quand ils sont entrés dans les syndicats. Mais, beaucoup d’anarchistes, concevant le syndicalisme comme une fin en soi, ont délaissé l’organisation anarchiste spécifique. C’est un des autres facteurs qui explique la perte de ce vecteur. Les anarchistes brésiliens, parmi lesquels José Oiticica, avaient déjà remarqué que ce mouvement fort, qui se développait depuis le début du 20ème siècle, ne se suffirait pas à lui-même, mais qu’il représentait, pour les anarchistes, un champ d’action dans lequel ils devaient intervenir, organisés politiquement et structurés idéologiquement au sein d’une organisation anarchiste spécifique. Quand les problèmes du syndicalisme que nous venons de citer se sont posés, le fait que les anarchistes ne soient pas mieux structurés idéologiquement a contribué à ce qu’ils ne retrouvent pas d’autre vecteur social. 

Conséquence de la perte de ce vecteur, les anarchistes se sont réfugiés dans les ligues anticléricales, les centres culturels, les athénées, les écoles, les collectifs éditoriaux, les associations théâtrales, etc. Ces espaces étaient – et sont toujours – des initiatives intéressantes et vitales, mais acquièrent une signification plus importante quand elles sont liées à un mouvement social réel. Coupées d’une véritable pratique sociale, ces initiatives n’ont pas été capables de favoriser la propagande et l’agitation, comme le prétendaient les compagnons qui y participaient. Nous considérons que, depuis les problèmes avec le syndicalisme, l’anarchisme n’est pas parvenu à retrouver de vecteur social. C’est pourquoi notre objectif est de contribuer, par la lutte, à trouver de nouveaux mouvements sociaux qui pourraient permettre une « réinsertion » de l’anarchisme. 

– T.L. : Qui est à l’origine de la création de la FARJ ? 

FARJ : En 2002, notre idée était d’étudier les différents modèles d’organisation anarchiste et de fonder une fédération ayant pour objectif de coordonner et de favoriser le développement de l’anarchisme à Rio de Janeiro. Nous avons commencé par un cycle d’études, à la Bibliothèque Social Fábio Luz (BSFL), où nous avons discuté des textes classiques de Bakounine, Malatesta, Fabbri ; des documents tels que la Plate-forme Organisationnelle des Communistes libertaires, ainsi que les modèles d’organisations spécifique (telle que la Fédération Anarchiste Uruguyenne – FAU) ou synthésiste (comme la Fédération Anarchiste Francophone – FA). A la fin de ce processus, des divergences ont surgi au sein du groupe. Quelques participants ont alors décidé de partir et de créer une autre organisation. Le groupe qui est resté jusqu’à la fin des débats a fondé la FARJ. 

– T.L. : Quel a été finalement le modèle d’organisation adopté ? 

FARJ : Nous avons opté pour le modèle spécifique – également connu sous le nom de « spécifisme » ou « anarchisme organisé » – en grande partie inspiré de celui de la FAU. Suite aux discussions que nous avons eu, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il était indispensable de travailler avec les mouvements populaires et sociaux. Pour cela, nous devions créer une organisation axée sur l’engagement militant. Une organisation de ce type défend des positions claires : la nécessité de s’organiser, l’organisation agissant en tant que minorité active, l’unité théorique et tactique, la production de théorie, la nécessité d’un travail et d’une insertion sociale, l’anarchisme considéré comme un instrument pour la lutte des classes avec pour objectif un projet socialiste libertaire, la distinction entre les niveaux de l’action politique (de l’organisation anarchiste) et sociale (des mouvements populaires) et la défense d’un militantisme suivant une stratégie définie. Il est évident que cette organisation n’est pas née en travaillant avec tous ces concepts, mais nous avons perfectionné notre travail sur ce point au cours des années. 

– T.L. : Pouvez-vous détailler un peu plus la manière dont fonctionne cette organisation ? 

FARJ : Ce modèle considère que la fonction de l’organisation spécifique anarchiste est de coordonner et de faire converger les forces militantes, en construisant un instrument de lutte solide et efficace, ayant pour objectif final la révolution sociale et le socialisme libertaire. Sans organisation (ou peu), nous estimons que le travail, mal articulé ou même isolé, où chacun fait ce qu’il veut, est inefficace. Le modèle d’organisation que nous défendons cherche à multiplier les résultats et l’efficacité des forces militantes. Selon ce modèle, l’organisation spécifique anarchiste agit comme une minorité active, c’est-à-dire un groupe d’anarchistes, organisés au niveau politique et idéologique, qui concentre son action sur les mouvements sociaux, les syndicats, etc. Dans ce travail, l’organisation – la minorité active – cherche à influencer les mouvements et les luttes dans lesquelles elle est investie, afin que leur mode de fonctionnement soit le plus libertaire possible. Quand elle agit au niveau social, la minorité active ne cherche pas acquérir une situation de privilège, elle n’impose pas sa volonté, elle ne lutte pas pour les mouvements sociaux, mais avec eux. C’est en cela qu’elle se différencie de l’ « avant-garde » marxiste-léniniste. L’idéologie doit être dans le mouvement social et non à l’extérieur. 

Pour nous, l’unité théorique est indispensable. L’organisation ne peut agir sous l’influence de plusieurs ou de quelconques théories, le risque étant de conduire à un manque d’articulation, voire même à des conflits du fait de la pluralité des concepts, et de mener, sans aucun doute, à des pratiques erronées, confuses et, dans tous les cas, peu efficaces. Cette unité doit toujours être obtenue collectivement et de manière horizontale au sein de l’organisation. L’unité théorique va de paire avec l’unité d’action. A travers elle, l’organisation agit pour mettre en pratique les actions correspondant à la stratégie de lutte adoptée. Une fois définis la ligne théorique et idéologique, ainsi qu’un programme stratégique, tous les militants – l’organisation étant considérée comme un tout – ont pour obligation de mener à bien toutes les actions tactiques définies dans le programme stratégique. En résumé, tous doivent « ramer dans la même direction ». 

Ce modèle d’organisation se caractérise par l’insistance qu’il porte à la nécessité du travail et de l’insertion sociale. Le travail social est l’activité que mènent les anarchistes organisés au sein des mouvements sociaux et populaires ; l’insertion sociale est la pénétration des idées et des concepts libertaires au sein de ces mouvements. Si nous luttons pour une société sans exploitation ni domination, il est incohérent de le faire sans l’engagement de celui qui est la première victime de la société capitaliste de classe : le peuple exploité et soumis. Revendiquer cette position ne signifie pas idolâtrer le peuple ou croire qu’il est révolutionnaire par essence, mais juste être en accord avec l’idée que la lutte contre l’exploitation ne peut être menée qu’avec la participation de ceux qui sont le plus exploités. C’est pourquoi nous incitons fortement à l’activité au sein des mouvements populaires, autonomes et combatifs, ou même à leur création. Nous pensons que l’anarchisme, pour se développer, doit être utilisé comme instrument au service de la lutte des classes. 

Une autre caractéristique de ce modèle d’organisation réside dans la distinction qu’il fait entre l’activité sur le plan politique et sur le plan social. Nous ne pensons pas que le mouvement social doive se soumettre à l’organisation politique (comme le revendiquent les autoritaires) ; pour nous, il y a une relation complémentaire et dialectique, indissociable entre les deux. Ainsi, le politique (l’organisation anarchiste) doit intervenir au niveau social (dans les mouvements), mobilisé autour de questions pragmatiques pour l’amélioration des conditions de vie de la classe exploitée. 

Pour que cela se fasse avec cohérence, les stratégies doivent être élaborées au sein de l’organisation anarchiste : c’est ici que s’analyse la conjoncture ; on y traite du contexte mondial, national ou régional ; on y étudie les mouvements et les forces populaires en jeu, leurs influences et leurs potentiels, ainsi que les questions de politique institutionnelle qui ont des conséquences sur les milieux dans lesquels nous nous proposons d’agir. C’est également au sein de l’organisation spécifique que se font les réflexions sur les objectifs à long terme, c’est-à-dire, où nous forgeons nos conceptions de la révolution sociale et du socialisme libertaire. Ensuite, et c’est le plus difficile, on y tente de réfléchir aux moyens d’action qui permettront d’atteindre de tels objectifs, ou tout du moins, faire en sorte qu’ils deviennent plus palpables. La stratégie devra répondre à la question suivante : comment sortir de là où nous sommes pour arriver là où nous voulons ? Les objectifs stratégiques, ou grands objectifs, constituent la ligne « macro » (diagnostique, objectifs à court, moyen et long terme). La ligne « micro », c’est-à-dire, la tactique, quant à elle, détermine les actions que mettront en pratique les militants ou les groupes. Il est évident que la réalisation des objectifs tactiques nous rapproche toujours d’avantage des objectifs stratégiques. Ainsi, le type d’organisation que nous avons choisi exige de la part de ses militants un haut niveau d’engagement. 

T.L. : Qui intègre la FARJ et comment fonctionne-t-elle ? 

FARJ : La FARJ est une organisation qui rassemble, d’un côté, des militants organiques et de l’autre, ce que nous pourrions appeler un « réseau de soutien », composé de personnes qui nous aident de différentes manières. Les militants organiques sommes répartis sur ce que nous appelons des « fronts de travail », ou « fronts d’insertion ». Jusqu’en 2007, nous avons travailler sur deux fronts : un sur les occupations urbaines, l’autre communautaire. A partir de 2008, nous en avons créé un troisième, celui agro-écologique. La politique menée sur ces fronts est déterminée collectivement par l’organisation, mais ils possèdent une certaine autonomie pour la mettre en pratique. De la même manière, l’organisation est informée, dans les grandes lignes, de ce qui est réalisé sur les fronts et en discute collectivement. Notre fonctionnement est basé sur ce processus : nous déterminons, après l’avoir discuté, une politique et l’appliquons sur les « fronts d’insertion », puis nous observons, analysons et discutons ensuite les résultats concrets de son application. 

T.L. : Comment se situe la FARJ dans l’histoire du mouvement libertaire brésilien ? 

FARJ : Notre histoire est très liée au militantisme d’Ideal Peres. Ideal était le fils de Juan Pérez Bouzas, un immigrant espagnol, cordonnier et anarchiste, qui a joué un grand rôle dans le mouvement libertaire à partir de la fin des années 1910. Militant actif de l’Alliance des Ouvriers de la Chaussure et de la Fédération Ouvrière de São Paulo (FOSP), il s’est distingué en participant à nombre incalculable de grèves, de piquets et de manifestations. Dans les années 30, il a milité dans la Ligue Anticléricale. En 1934, son rôle a été décisif dans la Bataille de Sé – quand les anarchistes, sous les rafales de mitrailleuses, repoussèrent les « intégralistes » (fascistes), aux côtés de l’Alliance Nationale de Libération (ANL), une organisation qui luttait contre le fascisme, l’impérialisme et le latifundisme (grande propriété terrienne). Ideal Peres est né en 1925 et à commencé à militer en 1946. Il a participé à la Jeunesse Libertaire Brésilienne, à l’Union de la Jeunesse Libertaire Brésilienne, aux journaux Ação Direta et Archote, à l’Union des Anarchistes de Rio de Janeiro ainsi qu’aux Congrès Anarchistes qui se sont tenus au Brésil. Il a joué un rôle important au sein du Centre d’Etudes Professeur José Oiticica (CEPJO), lieu où se tenaient des cours et des discussions ayant pour « toile de fond » l’anarchisme. Lorsqu’il a été fermé par la dictature en 1969, Ideal a été arrêté et retenu pendant un mois dans l’ancien Département d’Ordre Politique et Social (DOPS). Après son incarcération, Ideal a organisé, au cours des années 70, un groupe d’études qui se réunissait chez lui. L’objectif était d’attirer les jeunes intéressés par l’anarchisme pour, entre autres, les mettre en contact avec les vieux militants et établir des liens avec les autres anarchistes du Brésil. Ce groupe sera à l’origine du Cercle d’Etudes Libertaire (CEL), dont Ideal et Esther Redes, sa compagne, seront les principaux artisans. 

Le CEL a fonctionné à Rio de Janeiro de 1985 à 1995. Autour de lui (ou même en son sein), se sont formés d’autres groupes, tels que le Groupe Anarchiste José Oiticica (GAJO), le Groupe Anarchiste Action Directe (GAAD), le Collectif Anarchiste Etudiant – 9 juillet (CAE-9), le groupe Mutirão, de même que des publications comme Libera…Amore Mio (fondée en 1991 et qui existe encore aujourd’hui), la revue Utopia et le journal Mutirão. De plus, le CEL a été à l’origine d’événements, de campagnes et de dizaines (sinon de centaines) d’exposés et de débats. Actuellement, dans la FARJ, il y a des compagnons qui sont arrivés à l’époque du groupe d’études qui se tenait chez Ideal, et d’autres qui sont arrivés à l’époque du CEL. A la mort d’Ideal Peres, le CEL a décidé de lui rendre hommage en transformant son nom en Cercle d’Etudes Libertaires Ideal Peres (CELIP). Le CELIP a prolongé le travail du CEL, avec la responsabilité de fédérer le militantisme de Rio de Janeiro et de continuer le travail de réflexion théorique. Le CELIP a poursuivi la publication de Libera, lui permettant ainsi d’établir des relations avec des groupes dans tout le pays mais aussi de l’extérieur. Il a apporté d’importantes réflexions sur des sujets qui étaient à l’ordre du jour au Brésil et sur le monde tel qu’il était à cette époque et s’est chargé de diffuser des textes et des nouvelles des différents groupes brésiliens. Les exposés et les débats se sont poursuivis, auxquels ont participé de nouveaux militants. 

Les relations que quelques militants entretenaient avec la Fédération Anarchiste Uruguayenne (FAU) ont fini par influencer de façon significative le modèle d’anarchisme qui se développait au sein du CELIP. Ce dernier a co-organisé les Rencontres Provinciales des Etudiants Libertaires de Rio de Janeiro (ENELIB), en 1999 ; il a participé aux Rencontres Internationales de Culture Libertaire à Florianópolis en 2000 ; et il a apporté sa contribution aux activités de l’Institut de Culture et Action Libertaire de São Paulo (ICAL). Il a aussi repris la lutte aux côtés des travailleurs du pétrole, en renouant les liens entre anarchistes et syndicalistes du secteur pétrolier – des liens qui dataient des années 1992/1993, lorsqu’ils ont occupés ensemble le siège de Petrobrás, constituant ainsi la première occupation d’une administration « publique » depuis la fin de la dictature militaire. En 2001, cette lutte commune a repris et a culminé lors d’un campement de plus de dix jours, en 2003, où anarchistes et travailleurs du pétrole ont lutté pour l’amnistie des camarades renvoyés pour raisons politiques. Ce sont quelques unes des activités que le CELIP a réalisé. 

En 2002, nous avons créé un groupe d’études pour débattre de la possibilité de créer une organisation anarchiste, et comme nous l’avons dit plus haut, le résultat de ce groupe a été la fondation de la FARJ en 2003. Pour nous il y a donc un lien direct entre l’activité militante d’Ideal Peres, la constitution du CEL, son mode de fonctionnement, sa transformation en CELIP, et la postérieure fondation de la FARJ. 

– T.L. : Quelles sont vos références idéologiques, nationales et internationales ? 

FARJ : Etant donné que le courant spécifique ne s’est pas beaucoup développé au Brésil, nos références idéologiques, au niveau national, s’appuient sur quelques initiatives du passé et sur d’autres, plus récentes, que nous considérons comme issues du même courant. Depuis les premières années du XXe siècle, les anarchistes adeptes de « l’organisation » (l’équivalent de ce que l’on désigne aujourd’hui par « spécifisme »), en particulier les partisans de Malatesta, se sont efforcés d’organiser le plus grand nombre de compagnons en vue de former une organisation dotée de stratégies et de tactiques communes, et basée sur des accords tacites et consentis par tous. Ce furent ceux-la même les responsables de la réalisation du Premier Congrès Ouvrier Brésilien, en 1906, et des initiatives les plus vigoureuses de l’anarchisme brésilien. Ces anarchistes ont préparé les conditions qui ont permis la pleine insertion des libertaires dans les syndicats, dans la vie sociale, et ont contribué à la formation d’écoles et de groupes de théâtre, sans oublier une raisonnable production écrite. Le courant « organisationiste » a été, en grande partie, l’un des promoteurs de la préparation de l’Insurrection Anarchiste de 1918 et de la création de l’Alliance Libertaire de Rio de Janeiro. Il est également à l’origine de la formation du Parti Communiste Brésilien, d’inspiration libertaire en 1919, et des événements qui ont opposé les anarchistes aux bolcheviques dans les années 20. De cette première époque, se distinguent les noms de Neno Vasco, José Oiticica, Domingos Passos, Juan Pérez Bouzas, Astrojildo Pereira (jusqu’en 1920) et Fábio Luz. Ensuite, après une période de léthargie de l’anarchisme social pendant presque vingt ans, une partie de la tradition « organisationiste » a resurgi au sein du journal Ação Direta (Action Directe). Mais, avec le putsch militaire de 1964, nous avons à nouveau perdu notre principale force dans ce camp, représentée par Ideal peres et les étudiants du Mouvement Etudiant Libertaire. 

Sur le plan extérieur, plus particulièrement latino-américain, nous partageons des affinités avec l’héritage historique du magonisme, qui correspond à la phase de radicalisation du Parti Libéral Mexicain, entre 1906 et 1922. Au cours de cette période, ce mouvement, qui reçu le nom de son militant le plus actif, Ricardo Flores Magón, a entrepris, depuis l’exil, plusieurs actions de guérilla. Il a été capable, malgré les limites de l’anarchisme syndical mexicain, d’aller plus loin que les apparences et, de manière symbiotique, de rapprocher son idéologie des demandes historiques des paysans mexicains, se convertissant ainsi en un vecteur fondamental d’une révolution radicale. Il est nécessaire de rappeler que, au milieu de la sanglante guerre révolutionnaire, il y a eu, entre magonistes et zapatistes, un rapprochement important. 

Nous sommes également influencés par la Fédération Anarchiste Uruguayenne (FAU), principalement par son modèle d’organisation bakouniniste/malatestien et par son activité sur les différents fronts (étudiant, communautaire et syndical), avec la priorité qu’il accorde au thème travail/insertion social et à la distinction qu’il fait entre les niveaux d’action. 

Enfin, bien évidemment, nous sommes très influencés par les classiques – Proudhon, Bakounine, Kropotkine, Malatesta – et par le rôle qu’ont joué les anarchistes dans les révolutions russes et espagnoles. 

– T.L. : Comment se situe la FARJ dans le vieux débat entre Synthèse et Plate-forme ? 

FARJ : Notre organisation ne s’insère dans aucun de ces modèles. Tout d’abord, nous croyons qu’il n’y a pas qu’une seule formule pour résoudre la question de l’organisation anarchiste. Mais, comme nous l’avons déjà dit, elle doit « faire en sorte que l’anarchisme retrouve son lieu d’origine dans le champ de la lutte des classes », comme ce fut le cas à d’autre époques grâce au travail des militants. Selon nous, l’organisation doit être adaptée au contexte dans lequel elle prétend agir et aux forces sociales en présence. Pour être brefs, nous considérons que cette nécessité, pour l’anarchisme de retrouver son vecteur social, ou sa place dans la lutte des classes, fait que la synthèse n’est pas suffisante. 

Cette conception, qui vise à réunir dans une même organisation tous ceux qui se considèrent comme anarchistes, engendre une « unité » autour de la critique du système (capitalisme, Etat, démocratie représentative), une certaine affinité quant aux objectifs à long terme mais ne parvient pas à répondre à la question « comment agir ? ». Pour nous, ce modèle gaspille beaucoup d’efforts pour rien (travail sans coordination, conflits, longues tentatives de consensus – qui souvent peuvent être manipulés par une minorité – et des discussions stériles telles que « est-ce que les anarchistes doivent agir socialement ? » ou « sommes-nous partisans de la lutte des classes ? », etc.). Le fait que la synthèse classique inclue les individualistes au sein de l’organisation anarchiste est un problème pour nous. 

Quant à la Plate-forme, elle doit être comprise dans le contexte dans lequel elle a été écrite et sur la base des expériences de la Révolution Russe dans lesquelles ont été impliqués Makhno, Archinov…. Elle défend un modèle d’organisation correspondant à un moment révolutionnaire particulier, et il faut prendre en compte le fait que nous ne sommes pas dans l’un de ces moments. Pour nous, ce modèle n’a pas besoin d’être appliqué dans des situations non-révolutionnaires. Nous pensons que la Plate-forme a apporté d’importantes contributions, tel que le débat sur l’engagement militant, une réflexion sur le problème de la désorganisation et le manque de responsabilité de certains secteurs de l’anarchisme, une critique de l’individualisme et de l’exacerbation des ego. Nous devons cependant reconnaître qu’il y a eu des anarchistes qui, à certains endroits, ont complètement modifié le sens de la Plate-forme, l’utilisant pour justifier l’autoritarisme au sein de l’anarchisme. Si l’on réfléchit aux pratiques et à la conception de l’anarchisme de Mahkno et des autres ukrainiens qui ont participé à la Révolution Russe et ont ensuite formé le groupe Dielo Trouda, cela n’a pas de sens. 

Il nous semble qu’à l’heure actuelle, nous devons penser aux moyens de récupérer le vecteur social perdu par l’anarchisme. Chaque organisation anarchiste partageant cet intérêt, doit chercher une forme d’organisation qui lui procure le plus de succès (toujours en respectant l’éthique anarchiste) et qui corresponde à la réalité sociale. 

– T.L. : Dans quels projets est impliqué le Front d’Occupations et quelles sont ses activités ? 

FARJ : Ce front est impliqué dans le soutien aux occupations urbaines qui, au Brésil, possèdent un caractère un peu différent de celles qui ont lieu dans d’autres endroits du monde. Ici, les occupations sont effectuées par des personnes pauvres, victimes de violences policières ou du trafic de drogues dans les favelas, ou qui vivent sous des ponts ou des autoroutes – une situation qui n’a rien d’extraordinaire dans les grandes villes brésiliennes. Les familles qui n’ont pas où dormir finissent par occuper des espaces qui ne sont pas utilisés, donnant ainsi à ces occupations une finalité sociale. Aujourd’hui ce front travail avec cinq occupations urbaines. C’est le résultat d’une activité qui existe depuis 2003 – mais de façon plus organisée qu’auparavant (nous avons déjà eu des expériences de travail avec les occupations urbaines à la fin des années 90) et comme front de l’organisation. Nous avons milité au sein du Front Internationaliste des Sans-Toit (FIST), que nous avons crée avec d’autres compagnons et qui a réussi à avoir 11 occupations. Néanmoins, il y a peu, nous avons quitté le FIST et nous agissons maintenant directement (FARJ-occupations) avec les occupations les plus réceptives aux idées et aux pratiques libertaires. Nous avons obtenu une forte reconnaissance grâce ce travail, tant de la part des occupations que des mouvements sociaux de Rio de Janeiro. 

Notre travail et notre participation au sein des occupations sont quotidiens (certaines d’entre-elles ont compté ou comptent encore parmi elles des militants de la FARJ) ; nous les aidons à s’organiser et, dans les assemblées, nous stimulons l’auto-organisation, l’action directe, la démocratie directe, etc. Nous cherchons aussi à connecter les occupations aux autres mouvements sociaux de Rio de Janeiro. Nous avons ainsi des relations avec le Mouvement des Travailleurs Sans-Emploi (MTD), avec le Conseil Populaire (une coordination de mouvements sociaux). En 2007, nous avons participé à l’occupation de l’Agence Nationale du Pétrole (ANP) avec d’autres mouvements sociaux. Nous avons aussi des militants en contact avec le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre (MST). L’un d’eux donne d’ailleurs des cours de formation à l’école Florestan Fernandes (dans l’Etat de São Paulo) ainsi qu’à Rio de Janeiro. 

Pour répondre à une importante demande, nous avons été à l’origine d’un projet « transversal », connu sous le nom d’Université Populaire, dans lequel s’insèrent tous les fronts. Cette initiative s’est tellement développée qu’elle est devenue un projet d’éducation populaire anticapitaliste, destinée à la transformation de la société, avec pour tactique la formation politique au sein des mouvements populaires. 

– T. L. : Et le Front Communautaire ? 

FARJ : C’est lui qui est responsable de notre Bibliothèque Sociale Fábio Luz (BSFL). Elle existe depuis 2001 et possède plus de 1000 livres sur l’anarchisme, ainsi que sur des thématiques variées. Les archives de publications anarchistes contemporaines provenant du monde entier sont très importantes. Le front communautaire est également responsable de la gestion du Centre de Culture Sociale de Río de Janeiro (CCS-RJ). Situé au nord de la ville, cet espace social ouvert accueille de nombreuses activités : un compagnon réalise un travail de recyclage en créant des chaises, des canapés, des œuvres d’art, etc., avec des objets recueillis dans les poubelles ; on y propose également du soutien scolaire et une préparation pour l’entrée à l’université pour les jeunes défavorisés du quartier de Morros dos Macacos, ainsi que des ateliers de théâtre, des événements culturels, des fêtes et des réunions en tout genre. Dans l’enceinte de la BSFL, se réunit le Groupe de Recherche Marques da Costa (NPMC), fondé en 2004, qui a pour objectif de produire la réflexion théorique de l’organisation et de faire des recherches sur l’histoire de l’anarchisme à Rio de Janeiro. Il y aussi le CELIP qui est un groupe « ouvert au public ». Pour le moment il ne fonctionne pas beaucoup, mais il a pour projet de réaliser des exposés et des débats afin d’attirer de nouvelles personnes intéressées par l’anarchisme. 

– T.L. : Je sais que le Front Agro-écologique est nouveau, mais pourriez-vous nous parler un peu de ses activités ? 

FARJ : Notre front le plus récent s’est formé à partir du Groupe d’Alimentation et de Santé Germinal, crée en 2005. Le groupe Germinal fonctionne en autogestion. Il s’intéresse aux questions d’alimentation et d’écologie. L’un de ses objectifs est de soutenir des expériences d’agriculture déjà existantes et de stimuler l’émergence de nouveaux projets, toujours selon une perspective libertaire. Structuré autour de l’espace « ¡Ay Carmela ! » et d’ « Ateliers Pédagogiques », son but est d’agir sur la consolidation et la sauvegarde de l’agriculture, de l’agro-écologie, de l’écologie sociale, de l’éco-alphabétisation et de l’économie solidaire. Ces ateliers sont destinés aux travailleurs, aux militants des mouvements sociaux et aux étudiants. Des Déjeuners Dansants Végétariens sont également organisés de temps à autre au CCS-RJ. A présent qu’il s’est constitué en notre troisième front, il va chercher à définir ses activités prioritaires, les espaces où il peut s’insérer, etc. Nous espérons obtenir de bonnes récoltes avec la création de ce nouveau front. 

– T.L. : Y a-t-il des projets propres à la FARJ qui n’aient aucune relation avec un front spécifique ? 

FARJ : Il y a des activités qui sont liées à l’organisation en générale comme, par exemple, les publications. Nous éditons le journal Libera et la revue Protesta ! (en collaboration avec les compagnons du Collectif Anarchiste Terre Libre de São Paulo) ; nous publions des livres, tels que l’Anarchisme Social de Franck Mintz, l’Anarchisme aujourd’hui de l’Union Régionale Rhône-Alpes et Ricardo Flores Magón de Diego Abad de Santillán. Nous menons un travail interne de mise à niveau, de préparation et de formation théorique des militants. Nous essayons également de retravailler nos relations externes, entre autres choses. 

– T. L. : Quels sont vos buts et perspectives ? 

FARJ : Nous nous considérons comme une organisation révolutionnaire. C’est pourquoi la révolution sociale et la construction du socialisme libertaire constituent notre objectif à long terme. A court terme, nos objectifs pour 2008 sont : poursuivre le travail avec les occupations et le renforcer, travailler à la formation politique dans les occupations dans le cadre du projet de l’Université Populaire, maintenir des relations avec les mouvements sociaux et intégrer d’autres mobilisations sur Rio de Janeiro ; maintenir, repenser et augmenter les travaux du CCS-RJ, de la Bibliothèque Fábio Luz, installer la coopérative Faísca Publicações dans le CCS-RJ, consolider les travaux du front agro-écologique, chercher d’autres espaces d’intervention, réunir de nouveaux militants, continuer la formation interne, les relations externes et les publications. Voila, dans les grandes lignes, nos projets. 

– T.L. : Actuellement, dans quelle situation se trouve le mouvement libertaire brésilien ? 

FARJ : De notre point de vue, il n’y a pas de « mouvement libertaire brésilien », car l’idée de « mouvement » implique une articulation plus ou moins effective entre les groupes qui, actuellement, n’existe pas. Avec la fin de la dictature militaire, dans les années 80, il y a eu une résurgence de l’anarchisme. Quelques personnes, qui étaient isolées ou effectuaient un travail de résistance (principalement dans le milieu culturel), ont alors « repris du service », et d’autres les ont rejoint. A ce moment, l’anarchisme suscitait beaucoup d’intérêt de la part du « grand public ». 

A partir des années 90, les positions libertaires se sont approfondies. De nombreux anarchistes, qui avaient des affinités communes mais se trouvaient dans des villes et des provinces différentes, ont commencé à discuter plus en détail des questions d’organisation, des priorités du groupe ou de l’organisation anarchiste, etc. Naturellement, cela a conduit, au cours des années 90 et au début des années 2000, à une fragmentation. Chaque groupe commence alors à agir avec celui ou ceux avec qui il partage des affinités. Une tendance spécifique (présente déjà dans les 90), inspirée par la FAU, surgit et lance la proposition de la Construction Anarchiste Brésilienne ; elle sera à l’origine de presque tout le milieu spécifique brésilien. Une tendance plus synthésiste, inspirée du modèle de la Fédération anarchiste francophone, finit par former quelques groupes. Enfin, une ligne plus individualiste, ou postmoderne, se développe, principalement depuis 2000. 

Aujourd’hui, l’anarchisme est très fragmenté au Brésil. Jusqu’en 2003, nous avons été liés à cette tendance spécifique. Puis la rupture s’est produite pendant la formation de notre organisation (durant le groupe d’études). Les groupes qui discutaient de la formation du Forum de l’Anarchisme Organisé (FAO) ont préféré intégrer l’organisation rivale qui s’était formé à Rio de Janeiro (et qui sera ensuite expulsé du FAO), empêchant ainsi notre participation. Depuis lors, nous avons axé notre activité sur les questions internes, mais surtout sur le travail social, que nous considérons être la priorité. Maintenant que ces questions se sont développées, nous sommes entrés dans une phase où nous pouvons repenser les relations avec les autres tendances présentes au Brésil. Comme nous l’avons déjà dit, à part la tendance spécifique, il existe également une tendance synthésiste (que nous pourrions qualifier de non-spécifique). Assez développée, elle axe, en grande partie, son travail sur la question de la propagande anarchiste. Elle dispose de publications, de centres culturels, etc. Au sein de cette tendance, il y a des groupes organisés et d’autres qui ne le sont pas, certains avec des activités très intéressantes et d’autres, moins. Sans que l’on puisse véritablement en expliquer la raison, la tradition au Brésil est d’avantage synthésiste que spécifique. De telle sorte que, quand il n’y pas vraiment de débat de fond sur le sujet, les groupes qui surgissent s’inscrivent plutôt dans cette tendance. Enfin, la troisième ligne, qui a mené l’individualisme et « l’anarchisme style de vie » jusqu’à ses ultimes conséquences (stirneriens, primitivistes, etc.), jouit d’une certaine représentativité. 

– T.L. : Quelle type de relations la FARJ entretient-elle avec ces tendances ? 

FARJ : Suite aux problèmes avec les autres organisations spécifiques lors de la constitution du FAO, nous avons décidé de ne plus travailler avec elles. Nous jugeons également qu’il n’est pas possible de travailler avec les individualistes puisqu’ils défendent un anarchisme « style de vie », n’ayant pas pour objectif la lutte sociale. C’est pourquoi nous avons cherché, parmi les organisations non spécifiques, des groupes en accord avec un concept un peu plus large et que nous défendons, celui d’« anarchisme social ». Avec ces groupes, nous avons réalisé plusieurs projets, parmi lesquels des publications, des événements et d’autres activités. 

– T.L. : Et pour vous, que signifie l’ « anarchisme social » ? 

FARJ : L’anarchisme social est un concept plus large que le « spécifisme ». Souhaitant dépasser la division classique entre les différents courants (anarchisme communiste/anarcho-syndicalisme/individualisme anarchiste), il cherche à regrouper en son sein les tendances de l’anarchisme attachées aux questions sociales (luttes, mouvements populaires, etc.) et au socialisme libertaire. C’est un courant, selon nous, qui est l’héritier de diverses traditions – anarcho-communisme, anarcho-syndicalisme, communisme anti-autoritaire – ainsi que d’une série d’expériences pratiques menées depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours. Cet « anarchisme social » exclut les tendances individualistes et non socialistes de l’anarchisme, c’est-à-dire l’anarchisme qui n’a pas pour objectif la lutte sociale, l’anarchisme qui ne se veut pas comme instrument de changement social. Cet « anarchisme social » prône un retour organisé aux luttes populaires, en encourageant la présence des anarchistes aux côtés des opprimés, dans une optique d’émancipation et de liberté. Il défend donc les concepts d’organisation et de travail/insertion social. 

– T.L. : Comment les gens perçoivent-ils votre action ? Y a–t-il une bonne réceptivité des idées libertaires dans les classes populaires ? 

FARJ : Les gens, les groupes et les mouvements sociaux réservent un bon accueil à toutes les activités que nous menons. Afin que notre travail soit bien accepté et respecté, nous devons éviter l’autoritarisme – qui existe malgré tout chez certains groupes anarchistes –, avoir l’humilité suffisante pour savoir écouter, réussir à construire ensemble, sans vouloir imposer notre forme de penser aux autres. Nous sommes persuadés que de nombreux projets n’aboutissent pas en raison d’une certaine arrogance, d’une certaine présomption et même d’un certain autoritarisme de groupes ou de personnes qui ne suivent pas ces concepts éthiques fondamentaux. Pour nous, l’éthique est un principe non négociable et l’un des piliers de notre organisation. Nous considérons qu’en agissant selon notre éthique, nous obtenons et obtiendrons toujours plus de réceptivité et de respect. Notre relation, comme organisation politique anarchiste, avec le mouvement social en est l’exemple. De nombreux mouvements, fatigués des individus qui viennent seulement pour briller, pour leur dire quoi faire, pour leur faire valider leurs propres projets, pour les diriger, réclament désormais la présence de la FARJ. Ils nous manifestent donc du respect et démontrent une réceptivité à nos idées, principalement en raison du mode éthique selon lequel nous mettons en relation le politique (anarchiste) et le social (des mouvements sociaux). Notre but consiste à lutter avec le peuple, non pour lui ou à sa tête. Contrairement aux autoritaires qui se considèrent comme une avant-garde éclairant la voie au peuple, nous croyons qu’il n’y a pas de lumière qui ne s’allume pas collectivement. Nous n’avons pas à nous positionner en tête, illuminant la voie aux travailleurs, pendant que ceux-là même avancent en retrait, dans l’obscurité. Notre objectif est de stimuler, d’être côte à côte, d’offrir notre solidarité quand elle est nécessaire ou requise. Plus nous agissons avec éthique, plus la réceptivité et le respect augmentent. Elle est donc, selon nous, indispensable et non négociable. 

– T.L : Dans quels secteurs de la population l’anarchisme se développe-t-il le plus : travailleurs, étudiants, population des quartiers défavorisés… ? Existe-t-il un profil particulier du militant brésilien actuel (origine sociale ou ethnique, classe sociale à laquelle il appartient, âge, niveau d’instruction, type d’emploi, sexe/genre…) ? 

FARJ : Ici, la grande majorité des organisations et des groupes anarchistes est composée d’étudiants et de travailleurs. Le profil n’est pas homogène, mais nous pouvons donner quelques pistes : il y a plus de blancs que de noirs, et pratiquement personne appartenant à d’autres groupes ethniques (indigènes, etc.). Il y a davantage de militants issus des classes moyennes et moyennes basses que des classes défavorisées ou très défavorisées. L’âge varie assez (dans la FARJ, par exemple, nous avons des jeunes autour de la vingtaine jusqu’à des militants plus âgés qui ont plus de cinquante ans). Il y a plus de militants qui possèdent un niveau universitaire que de militants sans. Au niveau des emplois, il y a un peu de tout. Enfin, il y a plus d’hommes que de femmes. 

– T.L : Il me semble, mais il est possible que je me trompe, que l’anarchisme brésilien actuel est plutôt un phénomène urbain. Existe-t-il un travail (propagande, organisation…) en direction, ou issu, des travailleurs agricoles, des paysans sans terre, des communautés indigènes ? 

FARJ : Tu as raison. L’anarchisme au Brésil a toujours été plus urbain que rural. Cela ne signifie pas pour autant que les groupes qui réalisent un travail social n’aient aucune relation avec les Sans Terre, avec les communautés indigènes ou d’autres personnes issues du milieu rural. Nous-mêmes, comme nous l’avons dit plus haut, sommes en contact avec le MST par l’intermédiaire d’un compagnon qui donne des cours de formation politique et diffuse l’anarchisme jusque là-bas. Selon les informations que nous avons, le MST (en particulier la base) est très réceptive aux idées anarchistes, et porte une grande attention à Magón et à la Révolution Mexicaine. Malgré cela, cette influence est beaucoup plus restreinte qu’en ville. 

– T.L. : Entretenez-vous des relations avec l’extrême-gauche brésilienne ? Travaillez-vous parfois ensemble ? 

FARJ : Cela dépend de ce que tu entends par « extrême-gauche ». Nous n’avons pas de relations avec les partis trotskistes ou bolcheviques, mais, sur le terrain, nous avons des liens avec des mouvements sociaux de différentes tendances ou influences. Nous avons par exemple, des contacts avec le Front de Lutte Populaire (FLP), le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre (MST), le Mouvement des Travailleurs Sans Logis (MTST) et le Mouvement des Travailleurs Sans Emploi (MTD). Régulièrement, nous signons des documents ou des appels avec des organisations qui ne sont pas anarchistes mais qui se situent dans le large camp de ce que l’on peut appeler la gauche. Ce fut le cas, par exemple, lors des manifestations contre la déviation du fleuve San Francisco et pour sauver la vie de Dom Cappio, lors de l’occupation de l’Agence Nationale du Pétrole (ANP) ou lors de la manifestation du « Cri des Exclus ». Nous sommes très peu sectaires et sommes disposés, dans la mesure du possible, à agir avec des gens ou des organisations d’une autre idéologie, mais en défendant toujours nos propres principes et en étant conscients des différences idéologiques qui nous distinguent. 

– T.L. : Comment réagit le gouvernement face à l’activité de la FARJ et des autres anarchistes brésiliens. Êtes-vous victimes de répression de la part de l’Etat ? 

FARJ : Le gouvernement ne réprime pas nécessairement « l’anarchisme ». Quand l’anarchisme est reclus dans un ghetto, quand il n’est qu’un « style de vie », une forme de sociabilité, une liberté esthétique ou une réflexion philosophique, et qu’il n’est pas impliqué dans les luttes et n’offre aucune possibilité de changement social, il est tranquillement « toléré » par l’Etat. La répression est proportionnelle à la quantité de travail social que fournissent les anarchistes. Plus il y a de travail, de mobilisation, de lutte, plus la répression se fait sentir. En ce qui nous concerne, c’est la même chose. L’anarchisme n’est pas réprimé comme courant de pensée, mais comme instrument de lutte. 

– T.L. : Dans quelle situation économique se trouve la FARJ ? 

FARJ : Nous sommes en perpétuelle difficulté, car le financement de nos activités ne provient que des dons des militants. Actuellement, le maintien du CCS-RJ représente une grande partie de nos frais. Le journal Libera, bien qu’il n’ait qu’une périodicité réduite, constitue une autre dépense. Il est édité et envoyé dans tout le Brésil et dans le monde entier grâce aux dons de quelques militants et aux quelques contributions de lecteurs. Les autres publications (Protesta ! et les livres), même si elles reviennent chères, rapportent de l’argent au fur et à mesure qu’elles se vendent. C’est toujours la même logique : les militants donnent (quand l’argent ne reviendra pas) ou prêtent (quand ils peuvent le récupérer). Quoi qu’il en soit, nos finances sont toujours en dessous de nos besoins. 

– T.L. : Avez-vous d’autres difficultés ? 

FARJ : Bien sûr. Outre les besoins économiques, les ressources humaines constituent une de nos principales difficultés. Le nombre de nos militants est toujours inférieur au travail que nous devons fournir. Résoudre ce problème (ou au moins le minimiser) est donc un de nos grands objectifs pour 2008. Nous devons également nous défendre des accusations et des imputations diverses provenant généralement des secteurs marxistes (et même de quelques anarchistes). De plus, nous savons que la tâche à laquelle nous nous attelons, celle de changer le monde, n’est sûrement pas chose facile. Mais nous croyons qu’avec humilité et beaucoup de persévérance, nous pouvons y contribuer. 

– T.L. : Au niveau international, avec qui entretenez-vous des contacts et des liens, d’abord en Amérique Latine puis dans le reste du monde ? 

FARJ : En Amérique Latine, nous sommes en contact (à différents niveaux) avec les groupes et organisation suivantes : L’Alliance Magoniste Zapatiste (AMZ) et le Collectif Autonome Magoniste (CAMA), toutes deux au Mexique ; la Pro-Fédération Anarchiste du Costa Rica ; la Fédération Anarchiste Uruguayenne (FAU) et le Collectif Pro-Organisation Socialiste Libertaire, en Uruguay ; le Réseau Libertaire, l’Organisation Socialiste Libertaire et le Front Populaire Darío Santillán, en Argentine ; le journal El Libertario au Venezuela ; et le groupe Qhispikay Llaqta au Pérou. Nous cherchons actuellement à établir des contacts avec d’autres organisations. 

En Europe, nous avons des relations avec la CNT Vignoles, la Fondation Pierre Besnard et la Fédération Anarchiste, toutes en France ; le Centre International de Recherches sur l’Anarchisme (CIRA) de Lausanne en Suisse ; le journal A Batalha, au Portugal ; avec vous de Divergences… Nos publications, comme Libera, depuis plusieurs années, et maintenant Protesta !, sont envoyées à des dizaines de groupes. En échange, ils nous envoient les leurs, qui viennent enrichir les archives de notre bibliothèque. Nous croyons, comme nous l’avons dit plus haut, que le temps est venu de repenser et d’approfondir les relations avec les autres. 

– T.L. : Peut-on parler d’une résurgence du mouvement anarchiste en Amérique Latine ? Et au Brésil ? Quelle est votre opinion ? 

FARJ : Notre impression est que le nombre de militants et de groupes n’a pas augmenté de manière significative. C’est pourquoi nous ne croyons pas que l’anarchisme en Amérique Latine se développe quantitativement. Cependant on ne peut pas nier que ces groupes sont toujours plus organisés. En conséquence de quoi la force et la portée de l’anarchisme augmente, d’où l’impression peut être d’une « résurgence ». Dans ce sens, pour nous, la croissance est plutôt qualitative que quantitative. 

– T. L. : Peut-on considérer que le mouvement anarchiste brésilien, et plus généralement latino-américain possède une spécificité propre, c’est-à-dire, des traits particuliers, des considérations idéologiques ou pratiques, qui le différencieraient de l’anarchisme européen ? 

FARJ : A notre avis, il y a des traits communs entre les réalités latino-américaine et européenne, mais le contexte et l’histoire ne sont pas les mêmes. Les considérations idéologiques quant à elles ne sont pas très différentes. Notre défi consiste donc à réfléchir à comment appliquer l’anarchisme, c’est-à-dire ces considérations idéologiques, dans le contexte dans lequel nous sommes ; comment agir avec un peuple qui est le fruit d’une histoire de colonialisme, d’esclavage et qui a reçu, de la réalité européenne, des influences très diverses. Selon nous, cette différence est plus stratégique qu’idéologique. Le point de départ n’étant pas le même, le diagnostique de la réalité dans laquelle nous agissons s’en trouve complètement modifié et cela a des conséquences sur nos objectifs stratégiques et tactiques. Parmi quelques-unes des différences basiques qui nous distinguent, citons : les méthodes et le rôle de l’Etat dans la société ; les révolutions par lesquelles sont passées de nombreux pays d’Europe et qu’il n’y pas eu ici ; le niveau de pauvreté, d’inégalité et d’éducation ; le crime organisé ; les conséquences du processus de « globalisation économique » ; des traits culturels particuliers. Toutes ces différences nous obligent donc à adapter notre façon d’agir. 

– T.L. : Une grande partie des pays d’Amérique Latine ont actuellement à leur tête des gouvernements de gauche, ou qui se revendiquent comme tels : Lula au Brésil, Bachelet au Chili, Morales en Bolivie, Chávez au Venezuela… Quelle est votre position face à cette situation ? Comment l’analysez-vous ? 

FARJ : Selon nous, cette vague progressiste de gouvernements « de gauche » est les résultat des flux et reflux du capitalisme qui permettent à ces gouvernements d’être élus, en suivant une position plus progressiste, en soutenant un discours plus « populaire », mais en administrant le capital en faveur de l’élite économique. Nous ne sommes pas en train d’affirmer qu’une dictature reviendrait au même – cela serait un contresens total de notre part. Cependant, le fait que ces gouvernements progressistes aient tendance à calmer les mouvements sociaux les plus combatifs, les incitant à agir depuis les sphères de l’Etat, en leur offrant « un espace institutionnel », doit être mis en question. Ces mouvements abandonnent alors l’action directe, collaborent avec l’Etat et commencent à penser qu’un gouvernement comme celui de Lula, par exemple, est un gouvernement « populaire », capable de réaliser les changements nécessaires. Lula, même s’il a augmenté les aides sociales pour les classes les plus exploitées, soutient, en même temps, une politique économique qui bénéficie aux banques et au capital transnational – politique qui est la grande responsable de l’exploitation du peuple. Enfin, nous pensons que ce nouveau contexte requiert une analyse plus pointue de notre part, car les contradictions du capitalisme sont mieux dissimulées. Cela exige une plus grande formation des militants. 

– T.L. : Avec le mouvement « altermondialiste », le modèle de démocratie participative expérimenté à Porto Alegre est devenu très célèbre. Quelle est votre avis sur ce sujet ? 

FARJ : L’anarchisme défend un modèle d’autogestion qui est avant tout délibératif. Le modèle de démocratie participative de Porto Alegre est semblable au mouvement de cogestion dans les entreprises capitalistes. Les travailleurs sont écoutés lors des prises de décision par les administrateurs et les patrons, mais cette participation sert avant tout à améliorer l’investissement des employés au sein de l’entreprise et les résultats financiers. Selon nous, tout système de « démocratisation » – qu’il soit dans une entreprise du secteur privé, ou dans une instance de l’Etat (comme c’est le cas de Porto Alegre) – doit venir d’en bas, comme une exigence des classes les plus exploitées, afin que les décisions soit prises en leur faveur. Porto Alegre défend un modèle consultatif de démocratie dans lequel l’Etat vient, depuis en haut, demander à ses citoyens ce qu’ils veulent. Mais il n’a aucune obligation d’appliquer ce qui a été décidé et fait ce que bon lui semble. C’est la même démarche que l’entreprise qui demande à ses employés comment faire pour améliorer le travail. Ce modèle est radicalement différent des mobilisations de la base qui, de bas en haut, s’organisent pour obliger l’Etat à garantir des avancées sociales ou contraindre l’entreprise à augmenter les salaires. Malgré cela, on ne peut nier que tout modèle qui favorise le débat, et qui puisse, d’une manière ou d’une autre, lutter contre la culture de l’indifférence et de la délégation politique, en stimulant la participation populaire, possède des aspects positifs. Dans ce contexte, nous agissons pour que ce phénomène vienne d’en bas et surtout pour qu’il soit considéré comme un moyen d’aller plus loin et non comme une fin en soi. 

– T.L. : En France, on sait peu de choses sur le Brésil. A part les clichés touristiques (le Carnaval, Copacabana…), le plus connu sont les favelas et leur relation avec le trafic de drogues, la violence, la misère… Quelle est réellement la situation dans ces quartiers ? 

FARJ : Le Brésil est un pays aux dimensions continentales (en surface, c’est le cinquième pays le plus grand du monde), occupant presque la moitié de l’Amérique du Sud. En plus du District Fédéral, 26 Etats sont « fédérés ». Sa population est de plus de 180 millions d’habitants. Le Brésil possède l’économie la plus développée d’Amérique Latine, avec un PIB dépassant 2 500 milliards de reales (plus de 1 500 milliards de dollars). Cependant, c’est un pays qui connaît de graves problèmes sociaux. L’inégalité sociale est extrêmement prononcée. Par exemple, les revenus moyens des 10 % les plus riches sont 28 fois supérieurs aux revenus des 40 % les plus pauvres. Aux Etats-Unis, la proportion est de 5 fois, en Argentine de 10 et en Colombie de 15. La population très pauvre du Brésil représente 30%, quand dans d’autres pays aux revenus équivalents, elle n’est que de 10%. Officiellement, le taux de chômage est de 10 % et presque 40 % de la population est semi-analphabète (dont 10 % environ l’est totalement). Il y a de graves problèmes de logement. Outre le manque d’habitations, le pays compte de nombreux immeubles qui, du fait de la spéculation ou autre, ne sont pas occupés. Le système de santé est précaire, de même que celui des transports publics. Le Brésil est donc un pays riche, mais qui maintient un abîme entre quelques-uns, qui profitent de cette richesse, et la grande majorité qui en subit les conséquences. 

Ce que l’on voit sur les favelas et le trafique de drogues a sans doute lieu à Rio de Janeiro. La situation n’est pas tout à fait la même dans le reste du pays où la pauvreté se manifeste sous des formes différentes. A São Paulo, par exemple, suivant un processus de « nettoyage social », les pauvres sont expulsés toujours plus loin, là où on ne peut plus les voir. A Rio de Janeiro, la situation est différente. La configuration de la ville, avec ses collines, laisse davantage apparaître la misère aux classes moyennes et élevées. L’absence de l’Etat – qui n’a presque rien ici de « protecteur » et ne fonctionne qu’en terme de répression –a crée un espace de pouvoir dans les collines cariocas dont s’est emparé le trafic, géré par une sorte de mafia brésilienne. C’est une organisation extrêmement verticale et autoritaire avec des fins et des moyens capitalistes. Si le trafic, dans les favelas, apporte un peu d’argent, de travail, etc., au peuple, dans le même temps, il opprime, domine et exploite les gens, se convertissant ainsi en un véritable « micro-Etat » 

– T.L. : Justement, dans ces endroits, où l’Etat n’intervient quasiment que pour réprimer, j’imagine que la population doit recourir à sa créativité et à ses capacités d’auto-organisation pour résoudre directement une partie de ces problèmes. N’y aurait-il pas ici un espace pour articuler certaines pratiques d’auto-organisation populaire avec le projet autogestionnaire libertaire ? 

FARJ : Cela ne se passe pas tout à fait comme cela. Ce n’est pas parce que l’Etat n’est pas présent que nécessairement surgissent la créativité et l’auto-organisation. L’Etat est nécessaire pour soutenir le capitalisme, mais être sans Etat, ne signifie pas que nous serons sans capitalisme ou d’autres formes de domination ; les idées et les pratiques libertaires ne surgiront pas automatiquement. Selon nous, croire cela est une erreur. Le néolibéralisme et les ultra-libéraux sont là pour nous le prouver. Si la critique de l’Etat et les tentatives de minimiser son rôle ne sont pas accompagnées d’un questionnement très sérieux du capitalisme et des autres formes de domination, il n’y aura pas de créativité, pas d’autogestion ; en résumé il n’y aura pas d’anarchisme. Il ne faut pas négliger le poids de l’idéologie, transformée désormais en culture et transmise par les moyens de communication les plus variés, et du phénomène de domination, qui fait partie intégrante de l’histoire du Brésil et même du monde entier. 

Partisans de l’anarchisme « volontariste » de Malatesta, nous pensons que le rôle des anarchistes est d’être là où se dévoilent les contradictions du capitalisme et les relations de domination dans la société, en s’organisant afin de constituer un instrument de lutte. Selon nous, c’est seulement au milieu des contradictions du système que l’anarchisme peut trouver les conditions de s’épanouir. C’est l’idée de l’anarchiste portugais Neno Vasco (qui appartenait aux « organisationistes » malatestiens cités auparavant) qui affirmait que nous devons semer nos graines dans le terrain le plus fertile. Nous considérons que les graines de l’anarchisme doivent être semées au milieu de la lutte des classes et aux endroits où les relations de domination (principalement du capitalisme) sont les plus explicites. Avec une présence anarchiste forte à ces endroits, quand les contradictions et les luttes sont le plus apparentes, l’anarchisme représentera une alternative. Mais, si l’anarchisme n’est pas suffisamment propagé, il perdra ces opportunités, restera en marge des événements et manquera le train de l’histoire. Au vu de notre expérience, quand l’anarchisme est diffusé parmi le peuple exploité, il obtient une bonne réceptivité. Nous pouvons alors travailler sur des questions comme l’anticapitalisme, l’action directe, la démocratie directe et l’autogestion (ou auto-organisation). Si nous ne sommes pas présents, d’autres idées feront surface et seront responsables de prolonger la domination et l’exploitation. 

– T.L. : Pour en savoir plus sur la FARJ, où peut-on trouver du matériel ou prendre contact ? 

FARJ : Nos coordonnées se trouvent à la fin de l’entretien. Nous suggérons de visiter notre site (même s’il n’est pas très complet) ; il s’y trouve des informations sur nos activités, les documents cités plus haut, quelques articles, des communiqués et des interviews, quelques Libera, des informations sur les livres que nous avons publiés, etc. On peut également nous écrire. Pour ceux qui sont à Rio de Janeiro, il est possible d’organiser une rencontre et de connaître ainsi directement nos activités. Enfin, certains de nos textes et de nos documents peuvent être consultés sur les sites : anarkismo.net, fondation-besnard.org, divergences.be, midiaindependente.org, parmi d’autres. Ils ne sont pas très difficiles à trouver. 

– T.L. : Pour finir, avez-vous un message à adresser aux compagnons d’autres pays ? 

FARJ : Nous souhaiterions établir des contacts avec des groupes et des organisations qui partagent des affinités avec nos travaux et nos points de vue. Nous sommes convaincus qu’il est urgent de connecter tous ceux qui sont disposés à travailler pour un anarchisme social. De plus, nous souhaiterions remercier tous les groupes et toutes les organisations qui, depuis les endroits les plus divers, nous apportent leur soutien.

Traduction : Thierry Libertad 

Federação Anarquista do Rio de Janeiro (FARJ) 

Caixa Postal 14.576 ; CEP 22412-970 ; 

Río de Janeiro/RJ, Brasil 

http://www.farj.org 

farj@riseup.net

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Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir !

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

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4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

 

 

L’abdication institutionnalisée… Voter ou l’acquiescement à notre mise en esclavage… (James Corbett)

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« Si voter changeait quoi que ce soit…
ce serait interdit depuis longtemps. »
~ Emma Goldman ~

 

Résistance 71

 

30 janvier 2020

 

Excellente vidéo analyse du toujours excellent Canadien James Corbett du CorbettReport.com sur l’ineptie, la futilité et la complicité criminelle de cette activité si « importante » qu’est le vote. Corbett* nous rappelle que « voter c’est abdiquer », que voter c’est être complice du système, s’y soumettre, acquiescer à son usurpation du pouvoir et son autorité despotique sur nous ; que le simple fait de voter vous rend complice de cette supercherie qui nous mène toujours et encore pieds et poings liées à l’abattoir.

Il n’y a pas de solutions au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir. Il n’y a qu’illusion démocratique !
Boycott du vote ! A bas l’État, la marchandise, l’argent et le salariat ! Pour que resplendisse la société des sociétés, celle des associations libres émancipées de la tyrannie marchande et du pouvoir coercitif de la division induite.

(*) Nous suivons les analyses de Corbett depuis environ 2007. Il analyse et diffuse une information alternative, en anglais, sous forme essentiellement de podcasts et de vidéos. Corbett, professeur de l’enseignement secondaire de formation, est un des très rares analystes alternatifs qui non seulement s’est amélioré et étoffé au fil du temps, mais qui est resté constant dans ses dires et analyses, qui n’a jamais oscillé, ne s’est jamais vendu ni n’a succombé au miroir aux alouettes marchand qu’est devenu l’alternatif pour beaucoup de ses participants. James Corbett est une référence de l’info alternative et a gagné au fil des années le respect d’une audience de plus en plus considérable.

 

Au sujet de l’organisation (morale et mensongère) d’une meilleure humanité… (Friedrich Nietzsche)

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Ceux qui veulent rendre l’humanité “meilleure”

 

Friedrich Nietzsche

7ème chapitre du “Crépuscule des idoles”, 1888

 

1.

On sait ce que j’exige du philosophe : de se placer par-delà le bien et le mal, — de placer au-dessous de lui l’illusion du jugement moral. Cette exigence est le résultat d’un examen que j’ai formulé pour la première fois : je suis arrivé à la conclusion qu’il n’y a pas du tout de faits moraux. Le jugement moral a cela en commun avec le jugement religieux de croire à des réalités qui n’en sont pas. La morale n’est qu’une interprétation de certains phénomènes, mais une fausse interprétation. Le jugement moral appartient, tout comme le jugement religieux, à un degré de l’ignorance, où la notion de la réalité, la distinction entre le réel et l’imaginaire n’existent même pas encore : en sorte que, sur un pareil degré, la « vérité » ne fait que désigner des choses que nous appelons aujourd’hui « imagination ». Voilà pourquoi le jugement moral ne doit jamais être pris à la lettre : comme tel il ne serait toujours que contresens. Mais comme sémiotique il reste inappréciable : il révèle, du moins pour celui qui sait, les réalités les plus précieuses sur les cultures et les génies intérieurs qui ne savaient pas assez pour se « comprendre » eux-mêmes. La morale n’est que le langage des signes, une symptomatologie : il faut déjà savoir de quoi il s’agit pour pouvoir en tirer profit.

2.

Voici, tout à fait provisoirement, un premier exemple. De tout temps on a voulu « améliorer » les hommes : c’est cela, avant tout, qui s’est appelé morale. Mais sous ce même mot « morale » se cachent les tendances les plus différentes. La domestication de la bête humaine, tout aussi bien que l’élevage d’une espèce d’hommes déterminée, est une « amélioration » : ces termes zoologiques expriment seuls des réalités, — mais ce sont là des réalités dont l’ « améliorateur » type, le prêtre ne sait rien en effet, — dont il ne veut rien savoir… Appeler « amélioration » la domestication d’un animal, c’est là, pour notre oreille, presque une plaisanterie. Qui sait ce qui arrive dans les ménageries, mais je doute bien que la bête y soit « améliorée ». On l’affaiblit, on la rend moins dangereuse, par le sentiment dépressif de la crainte, par la douleur et les blessures on en fait la bête malade. — Il n’en est pas autrement de l’homme apprivoisé que le prêtre a rendu « meilleur ». Dans les premiers temps du Moyen-âge, où l’Église était avant tout une ménagerie, on faisait partout la chasse aux beaux exemplaires de la « bête blonde », — on « améliorait » par exemple les nobles Germains. Mais quel était après cela l’aspect d’un de ces Germains rendu « meilleur » et attiré dans un couvent ? Il avait l’air d’une caricature de l’homme, d’un avorton : on en avait fait un « pécheur », il était en cage, on l’avait enfermé au milieu des idées les plus épouvantables… Couché là, malade, misérable, il s’en voulait maintenant à lui-même ; il était plein de haine contre les instincts de vie, plein de méfiance envers tout ce qui était encore fort et heureux. En un mot, il était « chrétien »… Pour parler physiologiquement : dans la lutte avec la bête, rendre malade est peut-être le seul moyen d’affaiblir. C’est ce que l’Église a compris : elle a perverti l’homme, elle l’a affaibli, — mais elle a revendiqué l’avantage de l’avoir rendu « meilleur ».

3.

Prenons l’autre cas de ce que l’on appelle la morale, le cas de l’élevage d’une certaine espèce. L’exemple le plus grandiose en est donné par la morale hindoue, par la « loi de Manou » qui reçoit la sanction d’une religion. Ici l’on se pose le problème de ne pas élever moins de quatre races à la fois. Une race sacerdotale, une race guerrière, une race de marchands et d’agriculteurs, et enfin une race de serviteurs, les Soudra. Il est visible que nous ne sommes plus ici au milieu de dompteurs d’animaux : une espèce d’hommes cent fois plus douce et plus raisonnable est la condition première pour arriver à concevoir le plan d’un pareil élevage. On respire plus librement lorsque l’on passe de l’atmosphère chrétienne, atmosphère d’hôpital et de prison, dans ce monde plus sain, plus haut et plus large. Comme le Nouveau Testament est pauvre à côté de Manou, comme il sent mauvais ! — Mais cette organisation, elle aussi, avait besoin d’être terrible, — non pas, cette fois-ci, dans la lutte avec la bête, mais avec l’idée contraire de la bête, avec l’homme qui ne se laisse pas élever, l’homme du mélange incohérent, le Tchândâla. Et encore elle n’a pas trouvé d’autre moyen pour le désarmer et pour l’affaiblir, que de le rendre malade, — c’était la lutte avec le « plus grand nombre ». Peut-être n’y a-t-il rien qui soit aussi contraire à notre sentiment que cette mesure de sûreté de la morale hindoue. Le troisième édit par exemple (Avadana-Sastra I), celui des « légumes impurs », ordonne que la seule nourriture permise aux Tchândâla soit l’ail et l’oignon, attendu que la Sainte Écriture défend de leur donner du blé ou des fruits qui portent des graines, et qu’elle les prive d’eau et de feu. Le même édit déclare que l’eau dont ils ont besoin ne peut être prise ni des fleuves, ni des sources, ni des étangs, mais seulement aux abords des marécages et des trous laissés dans le sol par l’empreinte des pieds d’animaux. De même il leur est interdit de laver leur linge, et de se laver eux-mêmes, parce que l’eau qui leur est accordée par grâce ne peut servir qu’à étancher leur soif. Enfin il existait encore une défense aux femmes Soudra d’assister les femmes Tchândâla en mal d’enfant, et, pour ces dernières, de s’assister mutuellement… — Le résultat d’une pareille police sanitaire ne devait pas manquer de se manifester : épidémies meurtrières, maladies sexuelles épouvantables, et, comme résultat, derechef la « loi du couteau », ordonnant la circoncision pour les enfants mâles, et l’ablation des petites lèvres pour les enfants femelles. — Manou lui-même disait : « Les Tchândâla sont le fruit de l’adultère, de l’inceste et du crime (— c’est là la conséquence nécessaire de l’idée d’élevage). Ils ne doivent avoir pour vêtements que les lambeaux enlevés aux cadavres, pour vaisselle des tessons, pour parure de vieille ferraille, et les mauvais esprits pour objets de leur culte ; ils doivent errer d’un lieu à l’autre, sans repos. Il leur est défendu d’écrire de gauche à droite et de se servir de la main droite pour écrire, l’usage de la main droite et de l’écriture de gauche à droite étant réservé aux gens de vertu, aux gens de race. » —

4.

Ces prescriptions sont assez instructives : nous voyons en elles l’humanité arienne absolument pure, absolument primitive, — nous voyons que l’idée de « pur sang » est le contraire d’une idée inoffensive. D’autre part on aperçoit clairement dans quel peuple elle est devenue religion, elle est devenue génie… Considérés à ce point de vue, les Évangiles sont un document de premier ordre, et plus encore le livre d’Énoch. — Le christianisme, né de racines judaïques, intelligible seulement comme une plante de ce sol, représente le mouvement d’opposition contre toute morale d’élevage, de la race et du privilège : — il est la religion anti-arienne par excellence : le christianisme, la transmutation de toutes les valeurs ariennes, la victoire des évaluations des Tchândâla, l’évangile des pauvres et des humbles proclamé, l’insurrection générale de tous les opprimés, des misérables, des ratés, des déshérités, leur insurrection contre la « race », — l’immortelle vengeance des Tchândâla devenue religion de l’amour

5.

La morale de l’élevage et la morale de la domestication se valent absolument par les moyens dont elles se servent pour arriver à leurs fins : nous pouvons établir comme règle première que pour faire de la morale il faut absolument avoir la volonté du contraire. C’est là le grand, l’inquiétant problème que j’ai poursuivi le plus longtemps : la psychologie de ceux qui veulent rendre l’humanité « meilleure ». Un petit fait assez modeste au fond, celui de la pia fraus, m’ouvrit le premier accès à ce problème : la pia fraus fut l’héritage de tous les philosophes, de tous les prêtres qui voulurent rendre l’humanité « meilleure ». Ni Manou, ni Platon, ni Confucius, ni les maîtres juifs et chrétiens n’ont jamais douté de leur droit au mensonge. Ils n’ont pas douté de bien d’autres droits encore… Si l’on voulait s’exprimer en formule, on pourrait dire : tous les moyens par lesquels jusqu’à présent l’humanité devrait être rendue plus morale étaient foncièrement immoraux. —

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Friedrich Nietzsche sur Résistance 71:

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Anarchie… définition (encyclopédie anarchiste)

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La solution est en nous… nulle part ailleurs !
A bas l’État ! A bas la marchandise ! A bas l’argent !
A bas le salariat !

 

Définition “ANARCHIE”

 

Encyclopédie Anarchiste

1934

 

ANARCHIE n. f. (du grec: a privatif et archè, commandement, pouvoir, autorité)

Observation préalable. Cette Encyclopédie anarchiste ayant pour objet de faire connaître l’ensemble des conceptions : politiques, économiques, philosophiques, morales, etc., qui partent de l’idée anarchiste ou y conduisent, c’est au cours de cet ouvrage et à la place même que doit logiquement occuper chacune d’elles, que seront exposées les thèses multiples qu’embrasse l’étude exacte et complète de ce sujet. Ce n’est donc qu’en l’approchant, en soudant, avec méthode et continuité, les diverses parties de cette Encyclopédie qu’il sera possible au lecteur de parvenir à la compréhension totale de l’Anarchie, de l’Anarchisme et des Anarchistes.

En conséquence, je n’exposerai ici que dans ses grandes lignes, d’une façon resserrée et synthétique, ce qui constitue l’essence même de l’Anarchie et de l’Anarchisme. Pour les détails – et il sied d’observer que d’aucuns ont une grande importance – le lecleur voudra bien consulter les mots divers auxquels ce texte les priera de se reporter.

Etymologiquement, le mot « Anarchie» (qui devrait s’orthographier An-Archie) signifie : état d’un peuple et, plus exactement encore, d’un milieu social sans gouvernement.

Comme idéal social et comme réalisation effective, l’Anarchie répond à un modus vivendi dans lequel, débarrassé de toute contrainte légale et collective ayant à son service la force publique, l’individu n’aura d’obligations que celles que lui imposera sa propre conscience. Il possèdera la faculté de se livrer aux inspirations réfléchies de son initiative personnelle ; il jouira du droit de tenter toutes les expériences que lui apparaîtront désirables ou fécondes ; il s’engagera librement dans les contrats de tous genres qui, toujours temporaires et révocables ou révisibles, le lieront à ses semblabes et, ne voulant faire subir à personne son autorité, il se refusera à subir l’autorité de qui que ce soit. Ainsi, souverain maître de lui-même, de la direction qu’il lui plaira de donner à sa vie, de l’utilisation qu’il fera de ses facultés, de ses connaissances, de son activité productrice, de ses relations de sympathie, d’amitié et d’amour, l’individu organisera son existence comme bon lui semblera : rayonnant en tous sens, s’épanouissant à sa guise, jouissant, en toutes choses, de sa pleine et entière liberté, sans autre limite que celles qui lui seront assignées par la liberté – pleine et entière aussi – des autres Individus.

Ce modus vivendi implique un régime social d’où sera bannie, en droit et en fait, toute idée de salariant et de salarié, de capitaliste et de prolétaire, de maître et de serviteur, de gouvernant et de gouverné.

On conçoit que, ainsi défini, le mot « Anarchie » ait été insidieusement et à la longue détourné de sa signification exacte, qu’il ait été pris, peu à peu, dans le sens de « désordre » et que, dans la plupart des dictionnaires et encyclopédies, il ne soit fait mention que de cette acceptation : chaos, bouleversement, confusion, gâchis, désarroi, désordre.

Hormis les Anarchistes, tous les philosophes, tous les moralistes, tous les sociologues – y compris les théoriciens démocrates et les doctrinaires socialistes – affirment que, en l’absence d’un Gouvernement, d’une législation et d’une répression qui assure le respect de la loi et sévit contre toute infraction à celle-ci, il n’y a et ne peut y avoir que désordre et criminalité.

Et pourtant !… Moralistes et philosophes, hommes d’Etat et sociologues n’aperçoivent-ils pas l’effroyable désordre qui, en dépit de l’Autorité qui gouverne, et de la Loi qui réprime, règne dans tous les domaines? Sont-ils à ce point dénués de sens critique et d’esprit d’observation, qu’ils méconnaissent que plus augmente la réglementation, plus se resserre le réseau de la législation, plus s’étend le champ de la répression, et plus se multiplient l’immoralité, l’abjection, les délits et les crimes?

Il est impossible que ces théoriciens de « l’Ordre» et ces professeurs de « Morale » songent, sérieusement et honnêtement, à confondre avec ce qu’ils appellent « l’Ordre » les atrocités, les horreurs, les monstruosités dont l’observation place sous nos yeux le révoltant spectacle.

Et – s’il y a des degrés dans l’impossibilité – il est plus impossible encore que, pour atténuer et a fortiori faire disparaître ces infamies, ces savants docteurs escomptent la vertu de l’Autorité et la force de la Loi.

Cette prétention serait pure démence.

La loi n’a qu’un seul but : justifIer d’abord et sanctionner ensuite toutes les usurpations et iniquités sur lesquelles repose ce que les profiteurs de ces iniquités et usurpations appellent « l’Ordre social ». Les détenteurs de la richesse ont cristallisé dans la Loi la légitimité originelle de leur fortune ; les détenteurs du Pouvoir ont élevé à la hauteur d’un principe immuable et sacré le respect dû par les foules aux privilèges, à la puissance et à la majesté dont ils s’auréolent. On peut fouiller, jusqu’au fonds et au tréfonds, l’ensemble de ces monuments d’hypocrisie et de violence que sont les Codes, tous les Codes ; on n’y trouvera pas une disposition qui ne soit en faveur de ces deux faits d’ordre historique et circonstanciel qu’on tente de convertir en faits d’ordre naturel et fatal : la Propriété et l’Autorité. J’abandonne aux tartufes officiels et aux professionnels du charlatanisme bourgeois tout ce qui, dans la Législation, a trait à la « Morale », celle-ci n’étant et ne pouvant être, dans un état social fondé sur l’Autorité et la Propriété, que l’humble servante et l’éhontée complice de celle-ci et de celle-là.

On trouvera au mot « Loi » (voir ce mot) une étude approfondie du mécanisme législatif et judiciaire. Ici, il est séant et suffisant, à propos du mot « Anarchie » pris dans le sens de « désordre » de citer ces magnifiques paroles de Pierre Kropotkine :

« De quel ordre s’agit-il? Est-ce de l’harmonie que nous rêvons, nous, les anarchistes? De l’harmonie qui s’établira librement dans les relations humaines, lorsque l’humanité cessera d’être divisée en deux classes, dont l’une est sacrifiée au profit de l’autre? De l’harmonie qui surgira spontanément de la solidarité des intérêts, lorsque tous les hommes formeront une seule et même famille, lorsque chacun travaillera pour le bien-être de tous et tous pour le bien-être de chacun? Evidemment, non! Ceux qui reprochent à l’Anarchie d’être la négation de l’Ordre, ne parlent pas de cette harmonie de l’avenir ; ils parlent de l’ordre tel qu’on le conçoit dans notre société actuelle. Voyons donc ce qu’est cet « Ordre » que l’Anarchie veut détruire.

L’Ordre, aujourd’hui, ce qu’ils entendent par « l’Ordre », c’est les neuf dixièmes de l’humanité travaillant pour procurer le luxe, les jouissances, la satisfaction des passions les plus exécrables à une poignée de fainéants. L’Ordre, c’est la privation, pour ces neuf dixièmes, de tout ce qui est la condition nécessaire d’une vie hygiénique, d’un développement rationnel des qualités intellectuelles. Réduire les neuf dixièmes de l’humanité à l’état de bêtes de somme vivant au jour le jour, sans jamais oser penser aux jouissances procurées à l’homme par l’étude des sciences, par la création artistique, voilà « l’Ordre! ».

« L’Ordre » c’est la misère, la famine devenue l’état normal de la société. C’est le paysan irlandais mourant de faim ; c’est le peuple d’Italie réduit à abandonner sa campagne luxuriante, pour rôder à travers l’Europe en cherchant un tunnel quelconque à creuser, où il risquera de se faire écraser, après avoir subsisté quelques mois de plus. C’est la terre enlevée au paysan pour l’élève du bétail ou du gibier qui servira à nourrir les riches, c’est la terre laissée en friche plutôt que d’être restituée à celui qui ne demande pas mieux que de la cultiver.

L’Ordre, c’est la femme qui se vend pour nourrir ses enfants ; c’est l’enfant réduit à être enfermé dans une fabrique ou à mourir d’inanition. C’est le fantôme de l’ouvrier insurgé aux portes du riche, le fantôme du peuple insurgé aux portes des gouvernants.

L’Ordre, c’est une minorité infime élevée dans les chaires gouvernementales, qui s’impose pour cette raison à la majorité et qui dresse ses enfants pour occuper plus tard les mêmes fonctions, afin de maintenir les mêmes privilèges par la ruse, la corruption, la force, le massacre.

L’Ordre, c’est la Guerre continuelle d’homme à homme, de métier à métier, de classe à classe, de nation à nation. C’est le canon qui ne cesse de gronder, c’est la dévastation des campagnes, le sacrifice des générations entières sur les champs de bataille, la destruction en une année des richesses accumulées par des siècles de dur labeur.

L’Ordre, c’est la servitude, l’enchaînement de la Pensée, l’avilissement de la race humaine, main­ tenue par le fer et par le fouet. C’est la mort soudaine par le grisou, la mort lente par l’enfouissement de milliers de mineurs déchirés ou enterrés chaque année par la cupidité des patrons et pourchassés à la baïonnette, dès qu’ils osent se plaindre. Voilà « l’Ordre! » »

Et Kropotkine, pour donner plus de force à sa pensée, continue dans ces termes : « Et le désordre, ce qu’ils appellent le désordre : C’est le soulèvement du peuple contre cet ordre ignoble, brisant ses fers, détruisant ses entraves et marchant vers un avenir meilleur. C’est ce que l’humanité a de plus glorieux dans son histoire : c’est la révolte de la pensée à la veille des révolutions ; c’est le renversement des hypothèses sanctionnées par l’immobilité des siècles précédents ; c’est l’éclosion de tout un flot d’idées nouvelles, d’inventions audacieuses, c’est la solution des problèmes de la science.

Le désordre, c’est l’abolition de l’esclavage antique, c’est l’insurrection des communes, l’abolition du servage féodal, les tentatives d’abolition du servage économique.

Le désordre, c’est l’insurrection des paysans soulevés contre les prêtres et les seigneurs, brûlant les  châteaux pour faire place aux chaumières, sortant de leurs tanières pour prendre leur place au soleil.

Le désordre – ce qu’ils nomment le désordre – ce sont les époques pendant lesquelles des générations entières supportent une lutte incessante et se sacrifient pour préparer à l’humanité une meilleure existence, en la débarrassant des servitudes du passé. Ce sont les époques pendant lesquelles le génie populaire prend son libre essor et fait, en quelques années, des pas gigantesques, sans lesquels l’homme serait resté à l’état d’esclave antique, d’être rampant, de brute avilie dans la misère.

Le désordre, c’est l’éclosion des plus belles passions et des plus grands dévouements, c’est l’épopée du suprême amour de l’humanité! »

* * *

Jean-Guillaume Colins, le fondateur du socialisme rationnel, expose, dans ses multiples ouvrages, que l’Ordre est incontestablement nécessaire à la vie des hommes groupés en société. Or, dit-il, – je résume ici l’essentiel de sa doctrine – l’Ordre ne peut reposer que sur la Force ou la Raison. S’il repose sur la force, il ne se peut maintenir que par la violence systématiquement et gouvernementalement organisée. S’il repose sur la raison, il trouve son point d’appui dans l’acquiescement volontaire et réfléchi de tous. Dans le premier cas, l’Ordre, synonyme d’injustice et d’inégalité, est instable, fragile, éphémère ; il est constamment exposé à être troublé par le mécontentement et l’insurrection de la foule à laquelle il prétend s’imposer ; et, alors, l’Ordre ne se conçoit que sous la forme du gendarme et du bourreau. Mais, s’il est basé sur le granit de la Raison, mère de la Justice et de l’Egalité, l’Ordre devient d’une étonnante stabilité : les changements, les transformations apportés au régime social ne font que fortifier sa puissance, puisque ces progrès et améliorations sont le résultat d’un effort nouveau vers un rayonnement plus fécond de la Raison elle- même.

Les Anarchistes tiennent un langage à peu près identique. Ils disent que l’ordre social ne peut reposer que sur la contrainte ou l’entente. S’il repose sur la contrainte, il est évident qu’il découle – quel qu’il soit dans le détail – du principe d’Autorité et qu’il s’incarne dans l’institution gouvernementale proclamée nécessaire. Si, au contraire, il repose sur l’Entente, il va de soi qu’il procède – quel qu’il soit dans le détail – du principe de Liberté et que l’organisation de l’Ordre social ainsi conçu et réalisé repousse impitoyablement tout organisme central : Pouvoir, Gouvernement, Etat, qui engendre et implique fatalement la contrainte.

* * *

En science, lorsque, après avoir parcouru avec persévérance le cycle des expériences tentées sur l’application d’un même principe, il est démontré et reconnu que ces expériences n’ont pas amené les résultats qu’on en attendait ; lorsque, par l’accumulation de ces échecs réitérés, il est établi que principe, méthode et résultats cherchés s’excluent ; en science, dis-je, il est d’usage et de règle de condamner, dans ces conditions la méthode appliquée et le principe dont celle-ci n’est que la mise en pratique. Or, voilà des siècles et des siècles que, pour organiser et assurer l’harmonie sociale, les penseurs, théoriciens et doctrinaires attachés au principe d’Autorité appliquent, dans le domaine social, toutes les méthodes de gouvernement possibles et imaginables. Il est permis d’avancer qu’ils n’en ont négligé aucune. Aristocratie, démocratie, oligarchie, ploutocratie, pouvoir absolu, pouvoir constitutionnel, monarchie, république, dictature, césarisme, l’Histoire atteste que toutes les formes gouvernementales ont été expérimentées. Le résultat constant de ces expériences a été le gâchis, le désordre, les antagonismes, les guerres, les crimes de toute nature, en tous temps et en tous lieux.

Eh bien! Loin de condamner le principe d’Autorité et de renoncer aux méthodes d’application qui en découlent, nos Maîtres – il n’est que trop aisé de comprendre pourquoi – s’obstinent à affirmer que nécessaire est ce principe, et que excellentes sont ces méthodes.

C’est tout simplement de l’aberration. Seuls, les Anarchistes s’élèvent contre cette incurable folie. Seuls ils affirment que le Gouvernement, l’Etat, l’Autorité, n’ayant engendré, depuis qu’ils existent, dans tous les pays du monde, en dépit des changements de formes et d’étiquettes, du remaniement des constitutions et des régimes, que confusion, souffrance, misère, guerres et désordres, la plus élémentaire sagesse exige qu’on renonce à espérer de l’Autorité, de l’Etat, du Gouvernement ce qu’ils ne peuvent produire et qu’on tente loyalement l’essai d’une organisation sociale, sans Gouvernement, sans Etat, sans Autorité, c’est-à-dire d’une société anarchiste.

* * *

On le voit : le concept anarchiste n’est pas le fruit d’une génération spontanée. Il n’est pas né, subitement et comme par miracle, d’une hypothèse surgissant, sans que rien ne l’ait suscitée, d’une inspiration soudaine : enfantine ou géniale. Ce concept plonge ses racines dans le sol profond de l’histoire, de l’expérience et de la raison. Ces racines sont désormais indestructibles : il est encore possible aux Maîtres de les couper au fur et a mesure qu’elles déchirent la croûte des préjugés qui les recouvrent et les empêchent d’apparaître aux yeux de tous ; mais elles n’en persistent pas moins à se développer, en robustesse et en étendue dans les entrailles du vieux monde d’oppression : d’ignorance, de misère, de haine et de laideur.

* * *

L’Anarchie n’est pas une religion ; elle n’a pour point de départ aucune « révélation » ; elle ne connaît pas l’affirmation dogmatique ; elle répudie l’apriorisme ; elle n’admet pas l’idée sans preuve.

C’est à la fois une Doctrine et une Vie : doctrine qui s’inspire de l’évolution constante des arrangements individuels et collectifs qui constituent la Vie elle-même des personnes et des collectivités ; Vie qui tient compte de ce transformisme incessant et se reflète dans la Doctrine.

C’est une Doctrine, parce que l’Histoire, l’Expérience et la Raison nous ont enseigné certaines vérités dont l’exactitude, toujours confirmée par l’observation et l’examen scrupuleusement impartial des faits, n’est plus contestable. Ces vérités elles-mêmes sont concordantes ; non seulement elles ne se combattent pas, mais encore elles s’unissent, elles s’épaulent mutuellement, elles s’enchaînent. Déjà forte et résistante par elle-même, chacune de ces vérités emprunte aux autres – voisines ou éloignées – une recrudescence de force et de résistance. C’est cet ensemble de certitudes qui forme et cimente la Doctrine, sur le fonds même de laquelle toutes les tendances anarchistes – encore qu’elles soient nombreuses – sont unanimes et inséparables.

De cette doctrine se dégagent un certain nombre de principes directeurs qui, appliqués à la Vie, déterminent le milieu social que veulent instaurer les Anarchistes.

Ainsi : d’une part, c’est l’étude, l’observation de la Vie individuelle et sociale qui nous apporte les vérités et certitudes sur lesquelles s’édifie notre doctrine anarchiste et, d’autre part, ce sont les principes directeurs qui, procédant de cette doctrine, doivent présider à l’organisation de la Vie individuelle et sociale que nous appelons « l’Anarchie ».

La Doctrine part de l’Individu vivant en Société : c’est l’aspect théorique de l’Anarchie. Ensuite, comme règle de vie, l’Anarchie part de la Doctrine et détermine le milieu social et ses innombrables arrangements : c’est l’aspect pratique de l’Anarchie.

Du point de vue social, l’Anarchie se résume en deux mots : Entente libre. Si cette formule semble trop brève, si on la désire plus explicite, je dirai, afin qu’elle gagne en clarté et en précision: « Liberté par l’Entente » ou mieux encore : « Liberté de chacun, par l’Entente entre tous. » Liberté, c’est l’alpha et l’oméga, c’est-à-dire le point initial et le point terminus de la théorie ; Entente libre, c’est le commencement et la fin de la pratique. Ou encore: « Liberté, c’est la Doctrine ; Entente, c’est la Vie. »

Mais cela demande à être quelque peu développé. Voici donc la démonstration qui s’impose :

Tous les philosophes et sociologues qui ont sérieusement et impartialement étudié la nature humaine ont constaté que toutes les aspirations, tous les désirs, tous les mouvements, toutes les activités de l’individu ont pour but la satisfaction d’un ou plusieurs besoins. Il n’est, du reste, pas nécessaire de s’être livré à de profondes études philosophiques, biologiques ou sociologiques, pour arriver à cette constatation. Chacun de nous y parvient.

A cette première constatation il faut ajouter la suivante : c’est que la satisfaction d’un besoin procure à celui qui le ressent une sensation de plaisir, tandis que la non-satisfaction dudit besoin lui cause une sensation de peine.

Cette seconde constatation est encore de celles que chacun de nous peut faire et qui ne font aucun doute.

De cette double constatation – dont la seconde n’est que la suite logique de la première – nous concluons que l’individu, en recherchant la satisfaction de ses besoins ; a en vue le plaisir qu’il y trouve et nous affirmons en conséquence que l’homme recherche le bonheur.

La recherche du bonheur, devient, ainsi, le but précis auquel tend l’être vivant.

Nous voilà parvenus à un point important et que nous considérons comme fondamental de l’Anarchie.

Mais l’être humain ne vit pas dans l’isolement, il se groupe avec les êtres de son espèce, il vit en société.

Nous sommes donc conduits à passer de l’individuel au social.

Si l’individu se groupe, c’est d’abord parce que c’est dans sa nature et qu’il en éprouve le besoin ; c’est ensuite, parce qu’il recherche instinctivement à accroître son bonheur par l’appui et la protection qu’il espère trouver dans ses semblables.

D’où, cette conclusion : le groupement en société a pour but d’accroître le bonheur de ceux qui le constituent. En d’autres termes, le social doit contribuer à rapprocher l’individu de son but : le bonheur. Donc, la raison d’être de ce qu’on appelle la société, c’est d’assurer le bonheur de ses membres.

Nous voilà, maintenant, en possession d’un second point important, fondamental, de l’Anarchie.

Jetons un rapide coup d’œil en arrière, tant pour voir le chemin parcouru par notre raisonnement que pour souder ensemble fortement les deux constatations que nous avons faites.

Première constatation : l’individu recherche le bonheur par la satisfaction de ses besoins ; seconde constatation: la société a pour but d’assurer et d’accroître le bonheur de tous ses membres. Donc, le bonheur de l’individu, tel est le but de la vie individuelle ; le bonheur de tous les individus vivant en société, tel est le but de la vie sociale.

J’en arrive maintenant à la troisième des constatations qui, reliées entre elles, aboutissent à la première des certitudes sur lesquelles repose la Doctrine anarchiste.

De toutes les formes de société, la pire est nécessairement celle qui s’éloigne le plus du but à atteindre : le bonheur des individus qui la composent ; de toutes les formes de société, la meilleure est nécessairement celle qui se rapproche le plus de ce but. La société la plus criminelle est celle dans laquelle la proportion des malheureux est la plus élevée et la société idéale est celle dans laquelle seront heureux tous ceux qui la composent. Le Progrès social, le Progrès véritable, positif, indiscutable n’est pas, ne peut pas être autre chose que l’ascension graduelle vers cette société idéale.

Telle est notre troisième constatation.

Comme il y a un instant, revenons sur nos pas, ou plutôt arrêtons-nous et formons un faisceau des trois constatations acquises :

1° L’individu recherche le bonheur ;

2° La société a pour but de le lui procurer ;

3° La meilleure forme de société est celle qui se rapproche le plus de ce but.

Nous tenons, à présent, la première de nos certitudes.

Cherchons la seconde.

Posons-nous cette question : jusqu’à ce jour, les formes multiples de société qui se sont succédées ont­ elles répondu au but que doit s’assigner le groupement social : le bonheur de tous ses membres?

Ici l’Histoire entre en scène : l’Histoire qui nous apporte les enseignements du passé.

Il nous faut donc consulter l’Histoire.

Celle-ci nous fournit, en l’appuyant sur la documentation la plus abondante et la plus authentique, la preuve que l’immense majorité des individus a été, est malheureuse.

Je pense que, sur ce point, je n’ai pas à insister. Alors, je poursuis, et je pose deux pourquoi qui s’enchaînent:

a) Pourquoi les individus étaient-ils malheureux?

– Parce que l’immense majorité de ces hommes étaient privés de la faculté de satisfaire leurs besoins.

b) Pourquoi étaient-ils privés de cette faculté?

– Parce que, depuis des siècles et des siècles, un certain nombre d’hommes s’étaient emparés de toutes les richesses et de toutes les sources de celles-ci, au détriment des autres hommes.

– Parce que ces possédants avaient édicté des Lois tendant à légitimer, à consolider leurs spoliations.

– Parce qu’ils avaient organisé un Pouvoir et des forces dont le rôle était de soumettre les spoliés, de les empêcher de se révolter et, en cas de révolte, de les châtier.

– Parce que ces possédants et ces maîtres avaient imaginé des Religions dont le but était d’imposer aux dépossédés et aux asservis la soumission aux lois, le respect des Maîtres et la résignation à leur propre infortune.

– Parce que cet accaparement de la Richesse, cette Législation, ce Pouvoir et cette Religion s’étaient ligués puissamment contre la multitude des exploités et des opprimés ainsi privés de la faculté de manger à leur faim, de parler, d’écrire, de se grouper à leur gré, de penser et d’agir librement.

– Parce que la Propriété, c’était l’Autorité d’une classe sur les choses ; l’Etat, l’Autorité sur les corps ; la Loi, l’Autorité sur les consciences et la Religion l’Autorité sur les esprits et les cœurs.

– Parce que tous ceux qui n’appartenaient pas à la classe dominante, entre les mains de laquelle étaient réunis le Capital, l’Etat, la Loi et la Religion, formaient une classe innombrable de pauvres, de sujets, de justiciables et de résignés.

– Parce que, physiquement, intellectuellement et moralement, cette multitude était réduite à l’esclavage.

– Parce que, pour tout dire en un seul mot, elle n’était pas libre.

Cette classe ne possédait pas hier, elle ne possède pas aujourd’hui la liberté de satisfaire les besoins de son corps, de son esprit et de son cœur ; c’est pourquoi elle était et elle est malheureuse.

Voilà ce que, consultées loyalement, attentivement, impartialement, répondent et l’Histoire et l’Expérience.

Elles constatent que, au sein des sociétés passées et présentes, la classe de beaucoup la plus nombreuse, était malheureuse parce qu’elle n’était pas libre et qu’il en est de même de nos jours.

La cause de tout le mal était donc, elle est toujours, l’Autorité sous toutes les formes que j’ai tout à l’heure énumérées.

Le remède consiste donc à briser tous les ressorts de cette Autorité : Capital, Etat, Loi, Religion, et à fonder une société entièrement nouvelle basée sur la Liberté.

Voilà notre seconde certitude.

Je la lie à la première et nous allons avoir toute la Doctrine.

Première certitude : L’homme recherche le bonheur ; la Société a pour but de le lui assurer ; la meilleure forme de société est celle qui se rapproche le plus de ce but.

Seconde certitude : L’homme est heureux dans la mesure où il est libre de satisfaire ses besoins ; la pire des sociétés est donc celle où il est le moins libre ; la meillleure est en conséquence, celle où il est le plus Iibre. L’idéale sera celle où il le sera complètement.

Conclusion : la Doctrine anarchiste, se résume en un seul mot : Liberté.

* * *

Mais j’ai dit que l’Anarchie est : 1° une Doctrine ; 2° une Vie. Nous allons, à présent, passer de la première à la seconde, de la théorie à la pratique, du principe a sa réalisation, de la Doctrine qui inspire et impulse, à la Vie qui réalise.

Il coule de source que la naissance de l’Anarchie (état social sans Gouvernement, sans Etat, sans Autorité, sans contrainte), ne peut être que consécutive à la mort de l’état social actuel.

Ici commence la seconde partie de ma démonstration. L’Histoire, l’Expérience et le Raisonnement, ces trois abondantes sources auxquelles l’homme puise toutes les vérités utiles, nous ont d’abord conduits à la condamnation sans appel de toutes les Sociétés pratiquant le régime de l’Autorité et à la nécessité d’instituer sur la Liberté le milieu social.

J’imagine donc la Révolution accomplie : l’Autorité est réduite en poussière ; il s’agit maintenant de vivre en liberté. Nous avons détruit ; il nous faut reconstruire. Qu’allons-nous faire?

Des demi-fous (je ne puis, s’ils sont sincères, les qualifier autrement) songent encore à un accouplement bizarre des deux principes contradictoires de Liberté et d’Autorité. Ils rêvent encore d’asseoir la liberté de tous sur l’Autorité de quelques-uns, comme s’il était possible que l’Autorité donnât naissance à la Liberté et favorisât le développement de celle-ci! Avec une logique implacable et une farouche énergie, les Anarchistes combattent cette absurdité. Ils se dressent contre toute tentative de restauration autoritaire ; ils s’opposent à tout essai de résurrection du Pouvoir, sous quelque forme que ce soit. Ils finissent par l’emporter sur leurs adversaires et brisent leurs dernières résistances. C’est la période, plus ou moins longue, durant laquelle le devoir le plus pressant et la nécessité la plus impérieuse sont de défendre la Révolution libertaire victorieuse contre les retours offensifs des tenants de l’Autorité, y compris celle qui leur apparaît comme la plus intolérable, la plus absurde et la plus dangereuse : la Dictature du Prolétariat.

Les défenseurs de la Révolution conçoivent – enfin – que deux choses contradictoires ne peuvent pas mutuellement s’engendrer puisqu’elles s’excluent ; que, conséquemment, l’Autorité sociale ne peut pas plus aboutir à la liberté individuelle que de la liberté individuelle ne peut sortir de l’Autorité sociale.

La faillite et l’abolition du principe d’Autorité se trouvent bien et définitivement établies. Il ne s’agit plus que de donner au principe de Liberté une réalité vivante et féconde.

Serrons de près le problème à résoudre et ne perdons pas de vue que nous supposons l’Autorité Gouvernementale brisée par la Révolution triomphante : voilà l’Individu débarrassé de ses chaînes ; il est devenu un être libre, c’est-à-dire en possession de la faculté de satisfaire ses besoins et, par conséquent, d’être heureux.

Mais, être sociable, vivant au milieu de ses semblables, participant à la vie commune, il s’agit de préciser ce qu’il aura à donner à ses pairs et ce qu’il aura à en recevoir, dans quelles conditions et dans quelle mesure, il collaborera à la satisfaction des besoins ressentis par tous et participera, en échange, à la satisfaction de ses propre besoins.

Le problème se pose impérieux et urgent.

Comment le résoudre? Il ne faut pas songer à recourir à la force, à la violence, à la contrainte, formes diverses de l’Autorité, mais à la douceur, à la persuasion, à la Raison, formes multiples de la Liberté.

On s’arrête donc à la Raison.

Mais encore faut-il que la Raison s’impose d’elle­ même, en vertu de sa propre force, par l’unique ascendant de son prestige et non par des menaces ou des sanctions.

Alors, on cherche, on expérimente, on compulse, on interroge les résultats des diverses méthodes d’application. L’Entente apparaît, se présente, se recommande par ses résultats et emporte les suffrages.

L’exemple de la nature est là : éloquent et démonstratif. Tout y est entente par accord libre et spontané, par affinités et caractères communs entre individus ou unités de la même espèce : les infiniment petits, sorte de poussière, se recherchent, s’attirent, s’agglomèrent et forment des noyaux ; ces noyaux, à leur tour, se recherchent, s’attirent, s’agglomèrent et forment des organismes ; ces organismes se recherchent, s’attirent, s’agglomèrent et forment des organismes de plus en plus vastes.

On fait l’essai de cette méthode empruntée à l’ordre naturel, un essai loyal et loyalement conditionné. Cet essai est répété ; les résultats appliqués à l’ordre social sont satisfaisants ; l’essai est étendu, appliqué à des masses croissantes ; il sort vainqueur de cette épreuve, il triomphe, et il est finalement adopté.

C’est la méthode de l’Entente libre et spontanée. La plus petite unité : l’individu recherche, attire les autres, s’agglomère avec celles-ci à un premier noyau et forment la Commune. Les Communes, à leur tour, se cherchent, s’attirent, s’agglomèrent et forment un organisme plus étendu : la Région. Les Régions, à leur tour, se cherchent, s’attirent, s’agglomèrent et forment une organisation plus vaste encore et plus complexe : la Nation.

Entente entre les individus et les familles qui constituent le noyau Communal, entente entre les Communes qui constituent l’organisme régional ; entente entre les Régions qui constituent l’organisation nationale ; entente de bas en haut, à tous les degrés ; entente partout.

Les peuples qui vivent en Communisme-libertaire se recherchent, ils s’attirent, s’agglomèrent et forment une organisation plus vaste encore que la Nation.

Le jour où toutes les Nations vivront en Communisme-libertaire, elles se rechercheront nécessairement, fatalement s’attireront, s’agglutineront et formeront un immense organisme international les réunissant toutes.

Ce sera la réalisation mondiale de la Liberté de chacun, par l’Entente entre tous!

Car, ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que ce n’est plus, comme autrefois, l’organisme le plus vaste : l’organisation centrale qui, par voie d’absorption ou d’annexion, de contrainte ou de guerre, amène la compression des organismes intermédiaires et des noyaux pour aboutir à l’écrasement des molécules individuelles. C’est, tout à l’opposé, la molécule individuelle qui, par voie d’entente, et d’extension ou de développement, se joint aux molécules les plus proches, et forme noyau avec celles-ci, puis, passant par des organismes de plus en plus vastes, le cercle de l’Entente s’élargissant toujours, réunit, en une vie de plus en plus intense, féconde et heureuse, la totalité des molécules individuelles.

Voilà l’image de la vie communiste-libertaire, de l’Anarchie, de la Liberté de chacun par l’Entente de tous.

(Voir Autorité, Centralisme, Entents, Fédéralisme,Liberté, Révolution.)

* * *

L’Anarchie est à base individualiste. Les Gouvernements, les Religions, les Patries, les Morales, ont ce trait commun que, au nom et dans l’intérêt – « dit » supérieur – de ces institutions, les intérêts véritables de l’Individu ont toujours été et demeurent méconnus, violentés, immolés. Les Gouvernements compriment, oppriment et pressurent l’individu ; les Religions le privent de la faculté de penser librement et de raisonner judicieusement ; les Patries le précipitent, de gré ou de force, dans les carnages guerriers ; les Morales font peser sur lui les obligations les plus ineptes et les devoirs les plus opposés à son expansion naturelle et à la vie normale. Par l’ignorance et la lâcheté, par la contrainte et la répression, toutes ces Institutions autoritaires créent dans la foule les mentalités d’esclaves et les habitudes grégaires dont les classes dominantes ont besoin pour perpétuer le régime dont elles sont les exclusifs et insolents bénéficiaires. L’Anarchie entend soustraire tous les êtres humains à cette multitude de contraintes physiques, intellectueÎles et morales dont ils sont victimes. Elle dénie à la Société le droit de disposer souverainement de ceux qui la composent. Elle déclare que ce terme vague « la Société » ne répond à rien en dehors des Individus qui, seuls, lui donnent une réalité vivante et concrète. Elle certifie que sans cette unité tangible, palpable : l’Individu, la Société serait un total inexistant et une expression dénuée de toute signification positive. Ce sont là des assertions d’une exactitude si manifeste, qu’on éprouve quelque honte à les formuler, dans l’appréhension d’être accusé d’enfoncer des portes ouvertes.

Mais il faut se bien garder de croire que, si l’Anarchie est à base individualiste, il s’en suit qu’elle condamne l’Individu à l’isolement et brise les liens de toutes sortes qui l’unissent à ses semblables. (Voir Solidarité.)

C’est exactement le contraire, et il n’est pas possible de concevoir un milieu social dans lequel seraient plus nombreux et plus solides qu’en Anarchie les rapports reliant entre eux tous les représentants de l’espèce. Seulement – et cette opposition est fondamentale ­ tandis que, emprisonné dans le réseau des obligations et contraintes qui, au nom de l’Etat, de la Propriété, de la Religion, de la Morale, de la Famille, de la Patrie et autres… balançoires, font de lui un esclave, l’Individu se voit contraint aujourd’hui à des promiscuités des associations, des complicités et des contrats sur lesquels, n’ayant pas été consulté, il ne lui a pas été loisible de se prononcer, ce même Individu, devenu libre, aura, dans une société anarchiste, la latitude de disposer de lui-même en tout et pour tout, sans autre obligation que celle qu’il aura délibérément et consciencieusement contractée. Sous regime autoritaire, les liens qui enchaînent les hommes entre eux sont rigides, artificiels et obligatoires ; en Anarchie, seuls seront valables les contrats librement contractés qui les uniront, et ces contrats seront toujours souples, naturels, librement acceptés et librement rompus.

* * *

Dans la Douleur Universelle, je précise en ces termes le but auquel tend l’Anarchie : « instaurer un milieu social qui assure à chaque individu toute la somme de bonheur adéquate, a toute époque, au développement progressif de l’humanité. »

A plus de trente ans de distance, je ne vois aucun changement à apporter à cette proposition. Mais celle-ci appelle quelques développements et j’en reprends un à un les termes :

a) INSTAURER.

Je ne dis pas « créer » ; je dis « instaurer ». Voici pourquoi :

Tout, dans la nature, évolue sans cesse (voir Evolution-Transformisme). Rien n’est fixe, rien n’est immobile. L’individu, comme le reste, se transforme continuellement ; il ne demeure jamais identique à lui-même ; son aujourd’hui est fait nécessairement de tous ses hier et contient, à l’état potentiel, tous ses demain. L’agrégat humain n’est donc qu’une forme passagère de la matière, et cet agrégat lui-même subit incessamment les modifications les plus diverses.

Or, dit Spencer (l’Individu contre l’Etat) : « la nature des agrégats est nécessairement fixée par la nature des unités composantes. »

D’où il résulte que, pour être moins visibles, les perpétuels changements de l’agrégat collectif ou social n’en sont pas moins tout aussi réels que les modifications de l’agrégat individuel. Composé d’unités en état constant de modifications, le corps social se transforme sans aucun repos. Son présent est fait de tous les matériaux de son passé et contient en germes tous les matériaux de son avenir.

Auguste Comte (Introduction à la métaphysique) écrit : « chaque individu, chaque peuple, chaque science et l’humanité même, passent par toutes les phases. Les idées qui caractérisent une période naissent des idées de périodes précédentes, se développent et grandissent au dépens de ces idées et puis, à leur tour, décroissent insensiblement, après avoir donné naissance aux idées de la période suivante. »

« La vie sociale, dit Guillaume de Greef (Introduction à la Sociologie, Tome I) c’est-à-dire la correspondance toujours complète et parfaite de ses organes et de ses fonctions à des conditions de plus en plus nombreuses et particulières, est un éternel devenir ; en cela, elle ne fait que se conformer aux lois universelles de la matière et de la force. »

Et encore : « La société est un organisme dont l’équilibre, toujours instable, comporte des organes et des fonctions qui la rattachent au passé et d’autres qui la relieront à l’avenir. »

Etrangeté remarquable de l’optique humaine! Deux phénomènes qui, rapprochés, font naître tout d’abord dans l’intellect une sorte de contradiction par leur allure antithétique, voilent à nos yeux l’indissoluble enchaînement des faits qui relie toutes les pages de l’histoire humaine : c’est l’immensité du chemin parcouru, comparée à la lenteur de l’évolution sociale.

Si brève est la vie de chacun de nous et si faible est notre vue, que nous n’apercevons pas les éléments innombrables qui se meuvent autour de nous, tuant ceci et donnant naissance à cela. Nous croyons avoir sous les yeux le spectacle de l’immobilité. C’est cette sensation inconsidérée de la stagnation sociale ou tout au moins de la lenteur évolutionnelle qui, par un effet en quelque sorte réflexe, contribue à cette lenteur même.

« Cela ne changera jamais ; en tout cas, si ça change, nous ne le verrons pas. » Voilà ce que disent une foule de gens. Et les déshérités se résignent, prennent leur mal en patience, acceptent ce qu’ils regardent comme un sorte de fatalité : « il n’y a rien à faire! » et les privilégiés se rassurent, s’aveuglent et se cuirassent d’indifférence : « après nous le déluge! »

Et pourtant, quelle incalculable série de transformations, depuis les ébauches grossières des premières agglomérations humaines jusqu’à l’organisation si complexe, si méthodiquement agencée des sociétés modernes!

L’esprit reste stupéfait et les yeux éblouis devant le spectacle grandiose d’un développement aussi extraordinaire.

Un des hommes qui, à notre époque, ont le plus contribué à la vulgarisation de l’idée matérialiste, L. Büchner, s’exprime ainsi :

« Il viendra un temps où la distance entre le point de départ et le point d’arrivée s’élargira tellement que les savants de l’avenir eux-mêmes se refuseraient à admettre la possibilité d’un lien entre eux, si les écrits et les vestiges du passé ne leur fournissaient les matériaux nécessaires pour les guider dans leur jugement. » (Lumière et Vie, p. 326).

Il m’a paru nécessaire d’insister sur les considérations qui m’ont amené à me servir de l’expression « instaurer » de préférence à celle de créer par exemple, et ce, non seulement parce que le terme est infiniment plus exact, mais encore et surtout parce que nous nous proposons d’indiquer, au cours de cet ouvrage, les phénomènes qui poussent triomphalement les présentes générations vers cette instauration et les moyens qu’il convient d’employer pour hâter celle-ci. On verra par là, aussi, toute la distance qui sépare l’Anarchie des « utopies » construites le plus souvent par des hommes de bonne foi et qui pressentaient remarquablement l’avenir, mais ne tenaient aucun compte, dans leurs conceptions respectables, des matériaux que l’époque mettait à leur disposition.

b) UN MILIEU SOCIAL.

Ces mots demandent à peine une explication, tellement ils sont clairs par eux-mêmes.

Le milieu social est comme la synthèse des innombrables rapports des individus, des sexes, des groupes entre eux. Il est la résultante de toutes les organisations, institutions et coutumes. C’est une sorte d’être impersonnel – comme la société elle-même – constitué par les relations de toute nature : physiques, intellectuelles, morales, qu’engendre la pratique de la sociabilité.

S’il est une théorie aujourd’hui hors de conteste et splendidement mise en lumière par les naturalistes, c’est assurément celle de « l’adaptation de l’être au milieu ».

Il est constant que dans le monde physique, le milieu exerce sur tout et sur tous une influence décisive ; qui oserait prétendre que dans le monde psychique, il n’en est pas de même?

D’aucuns affirment que si le milieu social agit sur l’individu, celui-ci est capable de réagir. Cette opinion est juste dans une certaine mesure. Soutenir le contraire, ce serait reconnaître à la fois, d’une façon implicite, que le milieu social est en quelque sorte indépendant des personnalités qui le composent, ce qui serait une absurdité, et que, l’individu ne pouvant rien sur le milieu, tout effort étant vain, il n’a qu’à se croiser les bras.

Nulle doctrine ne serait plus dangereuse, et il convient de la combattre avec la dernière énergie, non point tant parce qu’elle est dangereuse que parce qu’elle est contraire à la vérité, à l’observation.

Mais, il n’en est pas moins vrai que, tout comme la faune et la flore empruntent à l’ambiance cosmique les éléments de leur vie, et qu’un observateur attentif et clairvoyant pourrait, en examinant un animal ou une plante, en déterminer les conditions d’époque, de climat, d’atmosphère et de topographie, de même l’individu emprunte à la structure sociale ses idées, ses sentiments, ses aspirations, ses coutumes.

On comprend par là de quelle importance est ce milieu social dont il est question d’amener l’établissement, puisqu’il devra pour ainsi dire poser sa griffe sur toutes les manifestations de la vie sociale et privée ; puisque tant vaut le milieu, tant vaut l’homme ; puisque l’un est l’arbre et l’autre le fruit ; puisqu’enfin il serait aussi illogique de songer à transformer l’Individu sans toucher au milieu qu’il est rationnel de prévoir avec certitude, sans qu’il soit besoin d’être prophète, que, modifié le milieu, modifiés aussi seront les hommes qui le composeront.

c) QUI ASSURE A CHAQUE INDIVIDU.

Les formes sociales qui se sont succédées jusqu’à ce jour, ont eu pour invariable conséquence, en hiérarchisant les fonctions et les êtres, d’assurer tous les avantages à un nombre plus ou moins restreint de ceux-ci, au détriment de tous les autres.

Or, convient-il de chercher à renverser l’ordre des facteurs dans le but de favoriser le plus grand nombre? La question sociale s’applique-t-ells à quelques-uns, à la majorité ou à l’universalité des êtres humains?

Il suffit de poser la question : chacun peut répondre. J’aurais pu, à la place de ces trois mots : « à chaque individu » écrire ceux-ci : « au peuple » ; ou encore ceux-là : « à l’humanité » ; ou encore ceux-là : « au prolétariat » ; ou même ces derniers : « à tous ». Mais je me méfie de ces expressions par trop générales. L’expérience m’a enseigné qu’elles cachent presque toujours un piège, qu’elles en sont tout au moins capables.

Pauvre « peuple », pauvre « humanité », pauvre « tout le monde », a-t-on assez usé et abusé de vous, pour mieux dissimuler les honteuses combinaisons des gouvernements et des classes!

Il existe d’ores et déjà une foule de fictions qui, par un jeu de glaces savamment disposées, donnent l’illusion de la réalité : telle, par exemple, l’égalité de tous devant la loi. Il suffit de passer derrière les glaces pour découvrir le « truc ».

L’expression « chaque individu » a l’avantage de couper court à toute interprétation ambigüe et de bien établir que le problème social n’a pas seulement pour but cette formule tant soit peu vague : « le bonheur commun », mais celle-ci bien autrement significative et exacte : « le bonheur de chaque individu. »

Oui, que pas un enfant, pas un adulte, pas un vieillard, pas un homme, pas une femme, pas un être humain, pas un seul ne puisse être frustré de la plus minime part de jouissance que comporte le droit à l’existence dans son intégralité. Tel est le problème que scrute et doit résoudre le penseur tourmenté par la question sociale.

Pas un, dis-je, parce qu’il suffirait que le droit d’un seul fût méconnu, pour que le droit de tous les autres fût menacé ; parce que, en dépit des apparences, pour que soient réalisés et maintenus dans le corps social l’équilibre et la bonne santé, il est nécessaire qu’entre toutes les parties de celui-ci il existe une telle solidarité que, si un organe, un seul, ne reçoit pas sa part de vie, le mal gagne de proche en proche et l’organisme tout entier lentement s’en ressent, s’affaisse, et dépérit.

Résolu pour tous, excepté pour un seul, le problème social se réfugierait en ce dernier, lequel, protestation vivante, se dresserait contre tous les autres et sa voix, ne tardant pas à être entendue, s’élèverait, discordante, au sein de l’harmonieux concert que doit former une société composée d’êtres heureux, libres et fraternels.

d) TOUTE LA SOMME DE BONHEUR.

C’est toujours le spectacle des infortunes plus ou moins imméritées, des misères plus ou moins injustifiées qui a incité les philosophes, les penseurs et les moralistes à rechercher les causes de ces souffrances pour en combattre les effets.

Abaisser le taux des douleurs humaines, atténuer les inégalités choquantes, améliorer les conditions de la vie, en d’autres termes rechercher le bonheur universel, tel a été, de tout temps, le but de tous les plans, de tous les systèmes de rénovation sociale.

Sur ce point, tous ceux qui se sont occupés de la question se montrent unanimes. Je pourrais en citer des centaines, je me bornerai à quelques-uns.

Je laisse de côté tous les auteurs anciens, pour faire aux modernes une place plus grande dans ces citations que je ne veux pas multiplier afin de ne pas fatiguer le lecteur :

« Le but de la Société est le bien de ses membres » (GROTIUS). – « La Société est tenue de rendre la vie commode à tous » (BOSSUET). – « Le vrai but de la Société est le bonheur durable de tous ses membres » (MABLY). – « Quel est l’objet de la Science de la morale? Ce ne peut-être que le bonheur général. Si l’on exige des vertus dans les particuliers, c’est que les vertus des membres font la félicité du Tout » (Helvétius. De l’Homme. Son Education). – « Rechercher le bonheur en faisant le bien, en s’exerçant à la connaissance du vrai, en ayant toujours devant les yeux qu’il n’y a qu’une seule vertu : la Justice un seul devoir : se rendre heureux » (DIDEROT). ­ – « Le but de la Société est le bonheur commun » (Déclaration des Droits de l’Homme, article 1er). – « Le but de la Révolution est de détruire l’inégalité et d’établir le bonheur commun » (Conspiration Babouviste. Base de la République des Egaux. Article 10). – « Que la variété infinie de désirs, de sentiments et d’inclinations se réunisse en une seule volonté ; qu’elle ne meuve les hommes que vers un unique but : le bonheur commun! » (MORELLY. LA BASILIADE). – « Le plaisir sans égal serait de fonder la félicité publique. Je ne sais si je me trompe dans mes vœux ; mais je pense qu’on pourra un jour extraire de tous les corps un principe nutritif et, alors, il sera aussi facile à l’homme de se nourrir que de se désaltérer à l’eau d’un fleuve. Que deviendront, alors, les combats de l’orgueil, de l’ambition, de l’avarice, toutes les cruelles institutions des grands Empires? Un aliment facile, abondant, à la disposition de l’homme, sera le gage de sa tranquillité et de sa vertu » (MERCIER. Le tableau de Paris). – « Si la première voix de la nature, c’est de désirer notre propre bonheur, les voix réunies de la prudence et de la bienveillance se font entendre et nous disent : cherchez votre bonheur dans le bonheur d’autrui. Si chaque homme, agissant avec connaissance de cause dans son intérêt individuel, obtenait la plus grande somme de bonheur possible, alors l’humanité arriverait à la suprême félicité et le but de toute morale, le bonheur universel serait atteint » (BENTHAM). – « Le principe général auquel toutes les règles de la pratique devraient être conformes, n’est autre que le bonheur du genre humain et de tous les êtres sensibles » (J.-S. MILL). ­ « La Société doit être organisée de telle sorte et ce n’est pas souvent le cas d’aujourd’hui, malheureusement que le bonheur des uns ne prenne pas sa source dans la ruine des autres, mais que chaque individu trouve son bien dans celui de la collectivité, le bien de la collectivité résumant uniquement, vice versa, de l’individu » (L. BUCHNER. Force et Matière, p. 514). – « Le problème du bonheur universel, par l’effet de la solidarité toujours plus grande, est dominé plus que jamais aujourd’hui par le problème du bonheur social. Ce ne sont plus seulement nos douleurs présentes et personnelles, mais celles de l’humanité à venir qui deviennent pour nous un sujet de troubles » (MARC GUYAU. L’irréligion de l’Avenir, p. 411). – « Le pur idéal, ce serait que la totalité universelle des êtres devînt une Société consciente, unie, heureuse » (Alfred FOUILLÉE. Critique des Systèmes de morale contemporaine). – « Le plus grand bonheur du plus grand nombre, par la science, la justice, la bonté, le perfectionnement moral : on ne saurait trouver plus vaste et plus humain motif éthique » (Benoit MALON. Socialisme intégral. Tome 1er, page 245).

Assez de citations. J’y pourrais ajouter l’avis autorisé de tous les sociologues contemporains, même bourgeois ; mais à quoi bon? La cause est entendue : tous, absolument tous, proclament, conformément à la Déclaration des Droits de l’Homme, que « le but » de la « Société est le bonheur commun ». C’est, peut-être, le seul point sur lequel existe l’unanimité ; mais on reconnaîtra qu’il est d’importance et je veux en tirer immédiatement deux conclusions sur lesquelles j’attire particulièrement l’attention. La première, c’est la condamnation implicite de l’organisation sociale qui nous régit : puisque cette organisation accumule entre les mains d’une minorité privilégiée pouvoir, richesses, savoir, jouissances, et condamne l’immense majorité à la servitude, aux privations, à l’ignorance et à la douleur, il est évident que cette Société tourne le dos au but vers lequel est tenue de tendre toute Société équitable et rationnelle et qu’elle doit succomber. La seconde, c’est que, de toutes les doctrines sociales qui se disputent la succession de celle qui doit disparaître, la seule qui se dirige résolument et sans détour vers ce but, c’est celle que préconisent les théories anarchistes, puisque, faisant, seule, cesser les inégalités, les guerres et les contraintes et assurant, seule, à chaque individu toute la somme de liberté et de bien­ être que comporte le développement progressif de l’humanité, elle est la seule qui réalise le vœu nettement et unanimement exprimé : le bonheur commun.

e) ADÉQUATE, A TOUTE ÉPOQUE, AU DÉVELOPPEMENT PROGRESSIF DE L’HUMANITÉ.

Une seule barrière est là, limitant la somme des satisfactions que les Individus sont en mesure de goûter. Cette barrière, c’est celle des possibilités, c’est-à-dire celle qui sépare les biens acquis de ceux qui sont encore à acquérir, les jouissances vivables par les générations actuelles de celles auxquelles nos descendants aspirent et qu’ils ne manqueront pas, tôt ou tard, de réaliser. Mais cette barrière n’est pas pour contenir ou réfréner les appétits ; elle est, au contraire, pour les exciter. Sous le puissant coup d’aile du désir insatiable qui nous élève toujours plus haut et nous pousse toujours plus loin, elle s’éloigne et s’abaisse insensiblement, nous découvrant des perspectives de plus en plus éblouissantes.

Cette limite, c’est celle qui marque le point auquel, à une époque déterminée, en sont arrivées les phalanges humaines en marche vers les régions toujours plus fertiles et plus vastes de la félicité.

Tel est le sens précis de ces mots : « adéquate, à toute époque, au développement progressif de l’humanité. »

Il est dans la nature des individus et des Sociétés, sortis, depuis des milliers d’années, des organismes les plus rudimentaires, de s’acheminer vers des formes de plus en plus perfectionnées. Longtemps, bien long­ temps enténébrés, hommes et sociétés se dessinent sur un fond dont les teintes passent petit à petit du sombre au clair, de l’obscur au lumineux. L’obscurité c’est le passé : l’ingorance, la haine, la misère ; la lumière, c’est l’avenir : le savoir, la fraternité, l’abondance. On ne retourne pas au passé ; on marche, irrésistible, vers l’avenir. Fou serait celui qui prétendrait assigner une borne à cet avenir aux espaces incommensurables. L’âge d’or n’est pas derrière nous ; il est devant : radieux et accessible.

L’Anarchie, c’est l’homme brisant les portes du cachot où l’Autorité le tient enfermé ; c’est la voie libre ; c’est la marche vers la joie de vivre, tout obstacle écarté, toutes chaînes rompues ; c’est l’enfer fermé, et le paradis ouvert ; c’est l’espèce humaine cessant de s’entre-déchirer et s’entr’aidant dans la bataille millénaire qu’elle livre à la nature et à l’Ignorance, pour se libérer des dangers et des maux qui l’accablent encore.

* * *

On a longtemps, sinon confondu du moins rapproché les tendances et les aspirations du socialisme collectiviste ou communiste et celles de l’Anarchie. Ce rapprochement a eu diverses causes. En voici quelques-unes :

1 ° Socialisme et Anarchie se dressaient contre la Société bourgeoise. Ici et là, le mot d’ordre était qu’il fallait, avant tout, se débarrasser de celle-ci ; on verrait ensuite. Et, durant des années, socialistes et anarchistes attaquèrent avec une égale ardeur et une virulence égale les institutions : gouvernement, propriété, patrie, religion, morale bourgeoise dont les uns et les autres poursuivaient âprement la ruine.

2° Les privilégiés ayant intérêt à susciter et à entretenir cette confusion entre le Socialisme et l’Anarchie, ne manquaient pas de dénaturer sans scrupule les théories, de calomnier sans retenue les théoriciens et de persécuter indistinctement les agitateurs socialistes et anarchistes. Se tournaient-ils vers les privilégiés? Ils accusaient les socialistes de vouloir substituer à l’ordre établi une société dans laquelle, n’étant retenus ni par un frein moral ni par une autorité matérielle, les appétits déchaînés se donneraient libre cours dans le vol, le gaspillage, le viol et l’assassinat. S’adressaient-ils aux déshérités? Ils affirmaient que anarchistes et socialistes, ceux-là ouvertement et ceux-ci par des voies détournées, ne travaillaient à la Révolution sociale que pour déposséder Gouvernants et Riches, s’emparer du Pouvoir et de l’Argent et en jouir à leur tour.

3° Les Socialistes eux-mêmes, tout en se défendant d’être assimilés aux anarchistes, laissaient entendre volontiers – surtout en période électorale et quand ils mendiaient les suffrages ouvriers – que, somme toute, entre le Socialisme et l’Anarchie, il n’y avait pas opposition irréductible, mais, au contraire, des points de contact nombreux et de sérieuses affinités ; que les divergences résidaient « surtout » (certains disaient même « uniquement ») dans les problèmes de la tactique à employer ; mais que, malgré tout et bien que les voies et moyens fussent différents, le but était le même : la suppression des classes antagoniques, l’Etat politique remplacé par un organisme d’enregistrement plutôt que de répression, destiné à assumer l’administration des choses, le bien-être assuré à chacun, la liberté garantie à tous. Incalculable fut la masse des travailleurs qui, ainsi endoctrinés, tombèrent dans le panneau et se laissèrent embrigader comme électeurs et comme affiliés aux partis collectiviste et communiste!

4° Pour tout dire et me conformer à la règle d’impartialité que nous nous imposons ici, il sied d’ajouter que bon nombre de socialistes, en s’exprimant de la sorte, parlaient avec sincérité. Ils étaient, alors et longtemps ils furent peu nombreux. Les faveurs du suffrage « dit » universel allaient aux partis – monarchistes ou républicains – de conservatisme social et les militants socialistes, à l’exception de quelques chefs plus clairvoyants et plus ambitieux, n’envisageaient la lutte électorale et l’action parlementaire que comme des moyens de propagande et d’agitation. Depuis, oh! depuis!… (Voir Parlementarisme, Elections, Suffrage universel, Collectivisme, Communisme autoritaire.)

Ces diverses circonstances expliquent assez clairement la confusion que je signale. Peu à peu, les faits eux-mêmes se sont chargés de dissiper celle-ci et, aujourd’hui, la rupture s’est produite, éclatante et profonde, entre l’Anarchie ou Communisme libertaire et le Socialisme autoritaire (S. F. I. O. ou S. F. I. C.).

Ces doctrines sont sorties, les unes et les autres, de la période de tâtonnement que traversent fatalement toutes les Idées sociales auxquelles les conditions historiques donnent successivement naissance. Actuellement, Socialisme et Anarchie forment deux mouvements tout à fait distincts et même opposés comme base, méthode, action et but.

Ils sont séparés par un abîme : les socialistes et communistes voulant conquérir l’Etat et le faire servir à leurs fins, les anarchistes voulant anéantir l’Etat. (Voir Antiétatisme, Etat)

Entrons dans quelques détails : le Socialisme s’appuie sur le principe d’Autorité et, dans la pratique, aboutit logiquement au renforcement de ce principe, puisque l’Etat, au pouvoir des Socialistes, a pour mandat de centraliser et de monopoliser le Pouvoir politique et économique.

Les partis socialistes et communistes de tous les pays affirment d’abord qu’une société ne peut vivre sans le principe d’Autorité qu’ils déclarent indispensable à l’organisation et à l’entente. La liberté de chacun, disent-ils, doit s’arrêter où commence la liberté des autres. Mais en l’absence de lois, de règles qui fixent cette limite entre la liberté de chacun et celle des autres, chacun sera naturellement porté à étendre sa propre liberté aux dépens des autres. Ces empiètements seront autant d’abus, d’injustices, d’inégalités qui provoqueront des conflits incessants et, à défaut d’une autorité ayant qualité pour résoudre ces conflits, c’est la force seule, c’est la violence qui les résoudra.

Les plus forts abuseront de leur force contre les plus faibles et les plus rusés, les plus coquins abuseront de leur astuce contre les plus sincères et les plus loyaux.

Cela posé, les socialistes autoritaires ajoutent qu’il est insensé de concevoir une organisation sociale sans lois, sans règlements.

Ils s’appuient surtout sur les nécessités de la vie économique. Si chacun est libre de choisir son genre de travail et de travailler ou de ne rien faire, les uns travailleront beaucoup, les autres moins et d’autres pas du tout ; les paresseux seront donc avantagés au détriment des laborieux. Si chacun est libre de consommer à son gré, sans contrôle, sans vérification, il y en a qui s’installeront dans les beaux appartements, prendront les plus jolis meubles, les plus beaux habits et les meilleurs morceaux, et les autres seront obligés de se contenter de ce que les premiers leur laisseront. Ça n’ira pas, ça ne peut pas aller comme ça. Il faut des lois, des règlements qui fixent la production que chacun doit faire, en tous cas le nombre d’heures qu’il doit accomplir et la part de produits qui lui revient. Sinon, ce sera le gâchis, la discorde et la disette.

Les socialistes autoritaires ajoutent : « Si chacun est libre de faire ce qui lui plaît, tout ce qu’il veut et rien que ce qui lui convient, ce sera le débordement des passions sans frein, le triomphe de tous les vices et l’impunité de tous les crimes ». Et ils concluent que l’Autorité est nécessaire, qu’un Gouvernement est indispensable, qu’il faut, de toute rigueur, des lois et des règlements et, par voie de conséquence, une force publique (soldats et policiers) pour réprimer l’émeute et arrêter les coupables, des tribunaux pour les juger et des châtiments pour les punir.

Toutefois, Socialistes et Communistes, même les plus férus de la notion de l’Etat, déclarent qu’un jour viendra certainement où, s’étant graduellement transformés, les hommes deviendront conscients, auront le sens éclairé de la responsabilité, se feront raisonnables et fraternels et que, à ce moment-là, l’Autorité disparaîtra pour faire place à l’Anarchie qui est, ils le confessent, l’Idéal le plus élevé et le plus juste et qu’ils considèrent comme le terme de l’évolution sociale.

Pour conclure, ils disent : « Commençons par culbuter le régime capitaliste. Exproprions d’abord la bourgeoisie possédante et socialisons les moyens de production, de transport de d’échange. Organisons le Travail sur des données nouvelles. Nous verrons ensuite. »

Les Anarchistes répliquent : « La société capitaliste repose sur la Propriété individuelle et l’Etat. La propriété serait sans force et sans valeur si l’Etat n’était pas là pour la défendre. C’est une grave erreur que de croire que le Capital est le seul agent de discorde entre les hommes vivant en société ; le Pouvoir les divise tout autant. Le Capital les sépare en deux classes : les possédants et les non possédants. L’Etat les sépare aussi en deux classes : les gouvernants et les gouvernés. Les détenteurs du Capital abusent de leur richesse pour exploiter les prolétaires : les détenteurs du Pouvoir abusent de leur autorité pour asservir le peuple.

Supprimer le régime capitaliste et maintenir l’Etat c’est faire la Révolution à moitié et c’est même ne pas la faire du tout. Car le Communisme autoritaire nécessitera une armée formidable de fonctionnaires dans l’ordre législatif, judiciaire et exécutif. L’organisation que préconise le Communisme autoritaire entraînera des dépenses incalculables. Elle n’abolira ni les classes ni les privilèges.

La Révolution Française a cru supprimer les privilèges de la noblesse ; elle n’a fait que les transmettre à la Bourgeoisie. C’est ce que ferait le Communisme autoritaire : il arracherait aux bourgeois leurs privilèges et les transmettrait aux dirigeants du nouveau régime.

Ceux-ci formeraient une nouvelle classe de privilégiés. Chargée de faire les lois, d’élaborer les règlements, d’en punir la violation, la foule des fonctionnaires dont ce serait l’occupation, formerait une caste à part ; elle ne produirait rien et vivrait aux crochets de ceux qui assureraient la production. Ce serait une ruée d’insatiables appétits et de convoitises se disputant le Pouvoir, les meilleures places et les plus grasses sinécures. Ce serait la curée.

Quelques années après la Révolution, ce seraient les mêmes discordes, les mêmes inégalités, les mêmes compétitions et finalement, sous prétexte d’ordre, le même désordre et le même gâchis. Il n’y aurait rien de fait et tout serait à recommencer, avec cette différence que le Régime capitaliste est disqualifié, pourri et à la veille de la banqueroute, ce qui fait qu’on peut le renverser sans trop de peine, tandis que le communisme autoritaire qui le remplacerait aurait pour lui la jeunesse et devant lui l’avenir.

Toute l’Histoire est là pour prononcer la condamnation du principe d’Autorité. Sous des formes, des appellations et des étiquettes différentes, l’Autorité a toujours été synonyme de tyrannie et de persécution. Non seulement, elle n’a jamais protégé ni garanti la Liberté, mais elle l’a toujours violée, méconnue et outragée.

Confier à l’Autorité la charge d’assurer la liberté de chacun et de la contenir dans les limites de la Justice, c’est une pure folie. »

Et, pour en terminer, les Anarchistes disent aux Socialistes et Communistes :

« Vous voulez tout imposer par la Force, nous voulons tout asseoir sur la Raison. Vous ne croyez qu’à la violence, nous n’avons confiance qu’en la persuasion. Vous concevez l’Ordre par en haut, nous le concevons par en bas. Vous entendez que tout soit centralisé : nous entendons que tout soit fédéralisé. Vous allez du composé au simple, du général au particulier, du nombre à l’unité, c’est-à-dire de la Société à l’Individu. Nous allons, nous, du simple au composé, du particulier au général, de l’unité au nombre, c’est-à-dire de l’Individu, seule réalité tangible, vivante, palpable, à la Société ; total des Individus. Vous fondez la liberté commune sur l’asservissement de chacun ; nous fondons la liberté de tous sur l’indépendance de chacun.

Quand nous serons en mesure de renverser la Société bourgeoise, nous détruirons du même coup le Capital et l’Etat. Ce ne sera pas besogne plus difficile que de culbuter l’un et pas l’autre, puisqu’ils se tiennent et ne forment présentement qu’un seul et même tout.

Et puisque vous reconnaissez que la Liberté est désirable, que le Communisme libertaire est l’Idéal le plus noble et le plus équitable, le meilleur et le plus sûr moyen de réaliser cet Idéal, c’est de combattre et non d’affermir le principe d’Autorité qui en est la négation.

L’Etat, c’est cet ensemble d’institutions politiques, législatives, judiciaires, militaires, financières, etc., par lesquelles on soustrait au peuple la gestion de ses propres affaires, la direction de sa propre conduite, le soin de sa propre sécurité, pour les confier à quelques­ uns qui, usurpation ou délégation, se trouvent investis du droit de faire des lois sur tout et pour tous, de contraindre le peuple à s’y conformer et se servent à cet effet de la force de tous. (Malatesta. L’Anarchie, page 8, édition du Libertaire.) Voir Etat.

Et c’est cette machine lourde, cet appareil compresseur, cette meule massive destinée à broyer toutes les résistances et à réduire en poussière toutes les indisciplines : l’Etat, que vous avez la prétention de transformer en instrument d’affranchissement et en appareil de libération?

Vous avez la naïveté de croire qu’il suffira de changer le mécanicien et de modifier quelques rouages pour qu’elle fonctionne autrement que par le passé?… Socialistes et Communistes, réfléchissez. N’écoutez plus vos chefs qui ont intérêt à vous mentir et apprenez que si vous voulez préparer une Révolution qui ne soit ni un avortement ni une mystification, il faut mettre tout en oeuvre, et sans plus attendre, pour que cette Révolution ne tue pas seulement le régime capitaliste mais aussi l’Etat. »

* * *

Plus violemment et plus perfidement que toute autre conception sociale, l’Anarchie a été discutée et combattue. Elle a subi l’assaut concerté des socialistes et des bourgeois. Tous les essais de réfutation qu’ont tentés ses adversaires peuvent être – si on néglige les détails – ramenés à deux objections que leurs auteurs qualifient prétentieusement de fondamentales. Il est d’autant plus utile d’examiner ces deux objections que de récents événements, notamment la guerre de 1914-1918, la Révolution Russe, l’installation de la Dictature en Italie et en Espagne, paraissent leur avoir conféré une force plus grande.

Etudions donc rapidement ces deux objections.

Première objection. 

« L’Anarchie est, de toute évidence, un Idéal superbe ; mais il est et toujours demeurera un Idéal chimérique, parce que sa réalisation présuppose et nécessite un être humain sain, cultivé, actif, digne, fraternel, en un mot inexistant et parce que, biologiquement, la structure physique, intellectuelle et morale de l’homme ne saurait s’adapter à un milieu social libertaire. » – Je réponds tout d’abord qu’il n’est pas permis d’avancer que l’Anarchie exige un être inexistant. Qu’il y ait, à notre époque, très peu d’individus en état de s’adapter aux conditions de vie qu’implique la réalisation de l’Idéal anarchiste, je le concède volontiers à nos adversaires. Mais il suffit qu’il y en ait un seul pour que s’écroule leur assertion. Or, il n’est pas douteux que, si tous les Anarchistes, qui, disséminés un peu partout, se chiffrent présentement par plusieurs centaines de milliers, n’en sont point encore arrivés à ce niveau de culture et de perfectionnement physique, intellectuel et moral que comporte la Vie inhérente à un milieu social libertaire, on peut, néanmoins, affirmer que bon nombre d’entre eux y sont pourtant parvenus. Pour ma part, j’en connais, et beaucoup, qui, bravant les obstacles, les difficultés, les périls, les persécutions dont leur route est semée, vivent d’ores et déjà d’une existence aussi conforme que possible à leur Idéal anarchiste et n’aspirent, ne travaillent qu’à l’instauration d’un milieu social qui leur permettra de s’y conformer tout à fait. Il est vrai que les Anarchistes ne constituent, à l’heure actuelle, qu’une infime minorité. Pour donner plus de force à mon raisonnement, j’admets que, au sein de cette minorité infime, rares sont ceux qui, dès à présent, vivent, autant que faire se peut, en anarchistes. Mais il n’en reste pas moins que ce petit nombre suf­fit à démontrer que l’espèce dont il s’agit n’est pas inexistante. Il suffit qu’elle soit pour que, par voie de reproduction et de sélection, elle parvienne à se maintenir et à se développer. Les nombres les plus élevés ont commencé par « un », et ce n’est qu’en s’additionnant que les unités forment des totaux considérables. Donc, il est faux de dire que l’Anarchie présuppose et exige un être inexistant.

Il est non moins erroné de soutenir que la structure physique, intellectuelle et morale de l’être humain ne saurait s’adapter à un milieu social libertaire. Au mot biologie (voir ce mot), nous établirons indiscutablement les bases biologiques sur lesquelles repose l’Anarchie et le lecteur sera frappé de la solidité des rapports qui unissent la conception d’un milieu social anarchiste à la structure non pas truquée, artificielle et de commande de l’homme, mais à sa structure normale, réelle et spontanée.

Pour ne pas dépasser le cadre que je veux assigner à cette réponse aux détracteurs mal renseignés de l’Anarchie, je me bornerai à dire, ici, que de tous les milieux sociaux qu’on puisse concevoir, le milieu social anarchiste est certainement celui auquel s’adaptent le mieux et le plus heureusement les besoins et les aspirations de l’homme vivant en société.

Dans la pratique, toute la solidité de l’édifice anarchiste est conditionnée par ces quatre besoins indissolublement liés à la nature humaine et qu’on retrouve à toute époque et en tout lieu : liberté, sociabilité, activité, adaptation au milieu. Le bon fonctionnement d’un milieu anarchiste, tel qu’il a été défini au commencement de cette étude, qu’exige-t-il? – Il exige un individu libre, sociable, actif et capable de s’adapter plus ou moins rapidement à ce milieu.

a) LIBRE. – L’Individu est impulsé par un instinct aussi profond que tenace vers la liberté. Il est extra­ ordinaire – et cela est cependant – que cet instinct ait résisté à des siècles d’asservissement et la persistance de cette poussée vers la liberté est la preuve la plus éclatante de son irrésistible puissance. Esclaves dans l’antiquité, serfs au moyen-âge, salariés de nos jours, des milliards d’hommes et de femmes ont subi, du berceau à la tombe, la servitude que faisaient inexorablement peser sur eux la pauvreté et l’abaissement dans lesquels, par les lois, par les religions, par la fortune et par la force, les Maîtres de l’heure les maintenaient. Si le besoin de liberté avait pu être tué, il serait mort depuis longtemps. Et, pourtant, non seulement il a survécu, mais il est plus vivace et plus impérieux que jamais.

Il existe chez tous, à des degrés variables et sous des formes et manifestations très diverses ; mais il n’est pas un être, pas un seul qui ne le possède et dans tous il est prêt à s’affirmer dès qu’il leur sera possible de le faire, c’est-à-dire aussitôt que la Révolution Sociale ayant mis fin à leur asservissement séculaire, ils seront appelés à vivre en êtres libres. (Au mot Révolution, nous indiquerons les raisons théoriques et pratiques qui font de la Révolution une nécessité douloureuse mais inévitable.)

b) SOCIABLE. – L’homme est un animal, sociable. Il fuit, d’instinct, l’isolement ; il souffre de la solitude ; il recherche ses semblables. Il fait partie de ces espèces, de beaucoup les plus nombreuses, qui vivent groupées et solidaires. L’homme insociable est une exception rarissime ; il est, à sa manière, une sorte d’infirme, à qui manquerait un sens. Cette tendance à la sociabilité qui conduit l’homme au groupement, à l’association et s’épanouit en solidarité (voir ce mot) est contrariée et jusqu’à un certain point paralysée dans un milieu social comme le nôtre qui, sans consulter l’Individu, sans tenir compte de son tempérament, de ses goûts, de ses sympathies, de ses aspirations, l’astreint à des contacts, des groupements et assemblages qui, le plus souvent, répugnent à ses affinités (voir ce mot). Mais il suffira de placer l’Individu dans un milieu social libertaire pour que, guidé par son instinct de sociabilité dûment renforcé par la satisfaction de ses multiples besoins, il s’associe librement avec ses semblables pour la production et la consommation, pour le plaisir et le sport, pour la culture des arts et des sciences, pour les jouissances sexuelles et les joies affectives.

c) ACTIF. – La meute capitaliste porte le plus gros de son effort sur le problème économique et sur l’organisation du travail « en anarchie ». Tous les valets de plume qui vivent aux crochets du patronat agricole et industriel, s’évertuent à démontrer que si, dans la vie politique de l’humanité, il serait, à la rigueur, possible de faire confiance au principe de Liberté, il est radicalement impossible de faire confiance à ce principe dès qu’il est question des nécessités économiques auxquelles commandent les exigences de la consommation. Voici, résumé aussi fidèlement que possible, leur argument : « La production nécessite un effort pénible auquel le travailleur ne s’astreint que dans la mesure où il y est forcé. L’homme est naturellement paresseux et, s’il ne se trouve pas, par l’agencement du milieu social dans lequel il vit, dans l’obligation de travailler, il se laisse, par une prédisposition instinctive, aller à l’oisiveté ou à l’effort récréatif mais improductif. Qu’il s’agisse de la production agricole ou industrielle, il ne travaille qu’autant qu’il lui est interdit, sous peine de crever d’inanition, de ne rien faire. En conséquence, un milieu social dans lequel les Individus seront libres de travailler ou de fainéanter, de choisir leur genre de travail ou d’en changer à volonté, aboutira à la famine, à la disette générale et aux abominations qu’entraîne l’indigence générale. »

Voici ma réponse :

« L’homme est un être actif, naturellement, instinctivement, esentiellement actif. Il fait partie de l’univers ; il y vit ; son existence participe de la vie universelle et la vie universelle conditionne l’existence humaine. Tout dans la nature se meut, s’agite, fonctionne, est mouvementé. Quel que soit l’état de la matière, qu’il soit solide, liquide ou gazeux, la matière est constamment en mouvement ; on ne l’a jamais observée à l’état de repos ; l’inertie n’a jamais été constatée ; l’immobilité n’existe pas. Plus on se rapproche du règne animal, plus la vie apparaît active et mouvementée ; le végétal s’agite plus que le minéral ; l’animal est plus actif que le végétal.

Tous les animaux – et un grand nombre d’espèces avec une surprenante rapidité – naissent, se développent et meurent. Dans chacune de ces phases, ils déploient une activité plus ou moins vive ; mais à aucun moment, dans aucune de ces trois phases, ils ne se reposent. Les animaux que nous sommes ne font pas exception à cette règle constante et universelle. Je n’insiste pas.

Penser que le minéral, le végétal et l’animal se meuvent, s’agitent, fonctionnent sans but et par pur hasard, serait une gsossière erreur. Tous leurs mouvements ont pour but d’entretenir, de développer, de fortifier, d’enrichir la vie. Tous les naturalistes ont constaté ce fait et ils l’ont prouvé, avec un luxe de détails étonnant, en s’appuyant sur des milliers et des milliers d’observations.

Dire que l’espèce humaine se meut, s’agite, se déplace, fait effort en un mot est active sans que cette activité ait une fin, dire que cette activité se dépense d’une façon désordonnée, incohérente et qu’elle est le fait de la pure fortuité, serait une stupidité. Ce qui est exact, c’est que l’activité de l’espèce humaine, comme celle de tous les organismes vivants, a un but et que ce but, c’est la vie.

Or, vivre c’est consommer ; consommer c’est produire ; produire, c’est travailler. En conséquence, il est dans la nature de l’homme de travailler.

Les philosophes qui ont avancé le contraire n’ont aperçu que les apparences et ils se sont mépris ; et les ignorants qui les ont écoutés ont été induits en erreur.

En soi, le travail n’est pas une peine ; comme tous les mouvements, tous les exercices auxquels l’homme se livre en vue de dépenser les énergies dont son corps est un accumulateur, le travail est plutôt un plaisir, ou, plus exactement, un besoin.

Mais si l’homme ressent le besoin de travailler et s’il éprouve du plaisir à satisfaire ce besoin, il lui devient pénible d’excéder les limites du besoin ressenti.

Si l’un de nous était privé de nourriture, il en éprouverait une grande souffrance ; mais si, ayant mangé à sa faim, il était mis dans l’obligation de manger encore il ressentirait à trop manger autant de déplaisir qu’à ne pas manger assez. Il en est de même du besoin de travailler ; lorsque, ayant dépassé sa réserve de forces, l’homme est condamné à prolonger son effort, il en souffre. Travailler quelques heures par jour n’est pas un châtiment : mais c’en est un que de travailler dix, douze et quatorze heures. Les courtes journées de travail sont agréables ; les longues journées sont douloureuses. Il y a aussi les conditions mêmes dans lesquelles le travail s’accomplit et il convient d’en tenir compte.

Dans les pays où sévit le régime capitaliste, le travail est une véritable condamnation, parce que le sort du travailleur est lamentable. Quand le travail est imposé, sale, dangereux, excessif, humiliant et mal rétribué, il est rebutant et il ne faut pas être surpris qu’on y trouve si peu de goût. Mais quand le travail est libre, quand il est honoré, respecté, considéré, quand il n’est pas excessif, quand il assure à l’ouvrier une vie large et confortable, il cesse d’être une peine et il devient une joie.

Que les ateliers soient vastes, aérés, lumineux et sains, que la journée de travail corresponde aux forces que l’ouvrier peut, sans fatigue, dépenser chaque jour, que chacun travaille du métier qu’il connaît, et qu’il choisira librement, que le travailleur ait l’assurance que sa famille et lui ne manqueront de rien, qu’il se sente libre à l’usine et non sous la férule d’un patron ou d’un contre-maître, qu’il soit appelé à fixer lui­ même, avec ses camarades, le règlement d’atelier et les conditions générales du travail et il est certain que personne ne rechignera à la besogne. Je vais plus loin. Je dis que, si dans une société anarchiste, je pouvais concevoir un châtiment, le pire de tous consisterait à condamner un homme bien portant, vigoureux, apte à produire, de le condamner, dis-je, à se tourner les pouces au milieu de l’activité universelle.

Cette vérité n’est pas encore comprise par ces pseudo-révolutionnaires, dictateurs de demain, qui tout en dénonçant dans le régime capitaliste qu’ils combattent, l’opulence oisive des uns et la productivité miséreuse des autres, repoussent l’idée de faire appel au travail non imposé et basent tout leur système économique sur le travail obligatoire et réglementé. Sont-ils seulement gens à courte vue? Sont-ils plutôt vulgaires arrivistes désireux de gouverner à leur tour? Peu importe. Fussent-ils animés des meilleures intentions, il y a lieu de considérer les conséquences et répercussions du régime économique dont ils sont les champions. J’imagine donc que nous commettions la faute de décréter que le travail est obligatoire pour tous. C’est fait. Et après?

La première chose à faire, ce sera de dresser la liste des dérogations que comportera fatalement l’application de ce décret. Il faudra fixer l’âge auquel les adolescents seront dans l’obligation de travailler et l’âge auquel les personnes âgées cesseront d’être astreintes au travail.

Cette question d’âge soulève mille problèmes délicats touchant le sexe des personnes, le métier à exercer, l’apprentissage à faire, le stage à subir, que sais-je encore?

Il va de soi que les malades et les infirmes échapperont au travail obligatoire. Mais encore faudra-t-il soumettre à un examen médical les infirmités et les maladies en question.

Nous serons vraisemblablement entraînés à dresser la liste des travaux – les travaux d’art et d’inspiration par exemple – dont il est impossible de fixer la durée quotidienne.

Je vois d’ici, un règlement d’administration très précis, très minutieux, procédant d’une sorte de législation pointilleuse et subtile, source de discussions intarissables, de chicanes et de contestations sans fin.

Mais il ne suffira pas de rédiger le Code du travail ; il faudra veiller à ce que personne ne puisse se soustraire aux prescriptions de ce Code. Il faudra que les délinquants soient frappés ; il faudra donc, d’une part, préciser les sanctions dont ces délinquants seront passibles et, d’autre part, assurer l’application des peines prononcées.

Et nous voilà ramenés au rétablissement indispensable de tout ce fatras de législation, de tribunaux, de police et de répression que nous voulons abolir !

C’est le phénix qui renaîtra de ses cendres et quel phénix!

Il faudra entourer d’une surveillance étroite ces malfaiteurs, ces insoumis, ces déserteurs d’un nouveau genre : les paresseux ; il faudra veiller à ce qu’ils ne s’introduisent pas dans les domiciles à l’heure où les ateliers étant pleins, ceux-ci seront vides ; il faudra pourvoir tout le monde d’un carnet de travail, tenir une comptabilité régulière des heures réellement faites, ouvrir dans chaque atelier un registre de présence, proportionner la part de chacun dans la répartition des produits à l’exacte mesure du travail qu’il aura réellement effectué ; il faudra faire la chasse aux réfractaires, instruire et juger leur cas ; il faudra… mais, que ne faudra-t-il pas?

Il saute aux yeux que, pour remplir ces multiples fonctions de législateurs, de vérificateurs, d’enregistreurs, etc., il sera nécessaire de prélever une partie de la population appelée, par l’âge et la validité, à contribuer au travail productif. Affectée à ces fonctions spéciales, cette partie de la population sera dérobée à la production utile. Et le plus clair résultat de toutes ces mesures destinées à traquer les fainéants, ce sera d’ajouter à ceux-ci un nombre appréciable de fonctionnaires improductifs. Ce sera le triomphe du Gribouillisme.

d) CAPABLE DE S’ADAPTER. – L’adaptation domine toutes les théories évolutionnistes. Quand on songe à l’incalculable influence que le milieu exerce sur les êtres vivants qui lui sont soumis ; quand on observe la prodigieuse facilité avec laquelle ceux-ci s’adaptent aux conditions mêmes de ce milieu ; quand on constate que le milieu est comme un bain dans lequel trempe l’individu et par lequel il est peu à peu pénétré ; quand on sait, enfin, que la pression exercée par le milieu social sur l’individu équivaut à une saturation constante et quasi irrésistible (car ceux qui résistent à cette saturation sont des êtres exceptionnellement doués) on n’hésite pas à admettre que l’homme de demain, transporté dans un milieu libertaire, s’y adaptera aussi bien et même mieux, aussi vite et même plus promptement que l’homme d’aujourd’hui s’adapte au milieu actuel. Aussi bien, l’adaptation au milieu possède actuellement la valeur d’une thèse scientifique dont personne ne s’avise de nier l’exactitude.

Je résume cette longue réponse à la première objection : l’Anarchie ne présuppose pas, n’exige point un être inexistant ; cet être existe. Le milieu social que les Anarchistes veulent instaurer n’est pas opposé à la structure physique, intellectuelle et morale de l’homme ; il lui est, au contraire, strictement conforme puisqu’il répond scrupuleusement à ces quatre besoins qui caractérisent l’espèce humaine : la liberté, la sociabilité, l’activité, l’adaptation au milieu.

* * *

Seconde objection.

Celle-ci est empruntée à la marche des événements. Elle s’inspire du renforcement du principe d’Autorité dans divers pays et de la vague de Dictature qui, dans ces dernières années, a submergé, notamment en Italie, en Espagne et en Russie, les récentes conquêtes du principe de Liberté. Les tenants de l’Autorité, adversaires déterminés de l’Anarchie, tirent argument de ces faits contemporains pour ériger en certitude historique le développement progressif des forces autoritaires et l’affaiblissement graduel des aspirations libertaires. Ils disent : « Dans les plans et systèmes de transformation sociale, il n’y a de consistant que ce qui est conforme au développement historique des civilisations. Tous les grands bouleversements enregistrés par l’histoire ont été annoncés par des signes précurseurs d’un caractère si précis que l’observateur consciencieux, clairvoyant et impartial pouvait en prévoir l’avènement. Si le principe d’Autorité, qui jusqu’à notre époque a présidé à l’organisation des sociétés, humaines en était arrivé à l’heure où il doit être culbuté par le principe de Liberté et lui faire place, cet écroulement du monde autoritaire serait annoncé par des signes avant-coureurs certains. Le cours des événements ferait apparaître l’affaiblissement des Institutions Autoritaires au bénéfice des institutions s’inspirant de la Liberté. Or, il n’en est rien. Notablement affaiblie par les mouvements révolutionnaires qui ont marqué la marche ascendante des Régimes parlementaires à base démocratique, l’Autorité a récemment reconquis le terrain qu’elle avait perdu au cours des XVIIIe et XIXe siècles ; elle a retrouvé toute sa force ; dans de grands pays comme l’Espagne, l’Italie et la Russie, pour ne citer que ceux-là, elle est plus forte qu’elle ne le fut jamais et il est à prévoir que, déjà profondément travaillés par l’exemple de ces grandes nations et à la faveur du malaise et du déséquilibre consécutifs à la grande guerre, d’autres pays, et non des moindres, vont consolider leur appareil d’Autorité, fortifier l’armature de résistance de celle-ci et élever des digues de plus en plus hautes et résistantes destinées à contenir le flot de libertarisme qui les menace. Donc, l’évolution ne se produit pas dans un sens favorable mais contraire à l’avènement d’un monde libertaire. »

Cette objection ne peut pas être prise au sérieux ; elle repose sur des observations superficielles et prend pour une évolution historique régulière et à longue portée ce qui n’est qu’accidents et circonstances éphémères. La guerre maudite qui, durant plus de quatre années, a ensanglanté le globe, a produit un ébranlement fantastique ; elle a accumulé des ruines prodigieuses ; elle a tué des millions d’hommes en pleine force ; elle a détruit le labeur de plusieurs générations ; elle a formidablement et pour longtemps encore hypothéqué l’avenir ; elle a disloqué de vastes empires et remanié la carte du monde ; elle a amené l’écroulement de plusieurs monarchies et la naissance de plusieurs républiques ; elle a démesurément favorisé et enrichi certaines industries et elle en a ébranlé et appauvri d’autres ; elle a détraqué toutes les valeurs monétaires sur lesquelles reposent toutes les transactions ; elle a conduit au triomphe du régime bancaire, dont toutes les puissances de production, de transport et d’échange sont devenues outrageusement tributaires ; elle a placé les Etats eux-mêmes sous la dépendance étroite de la finance internationale ; elle a, pour tout dire, renversé la table des valeurs. Cette catastrophe sans précédent date d’hier ; l’humanité tout entière en est encore bouleversée et on prétendrait assimiler cinq ou dix ans d’un effondrement aussi indescriptible à une évolution reflétant fidèlement tout un processus historique? Ce serait prendre l’inondation pour le cours régulier d’un cours d’eau, l’ouragan pour le souffle accoutumé des vents, la tempête pour le régime ordinaire des océans. Emprisonner l’évolution dans quelques années et, pour dégager le sens évolutif de cette minute historlque, choisir les années les plus exceptionnellement troubles et l’époque des secousses les plus violentes, voilà à quels procédés inqualifiables nos adversaires ont recours pour formuler contre l’anarchie une objection qu’ils imaginent décisive!…

Tous ces régimes de dictature qu’on nous jette à la face comme des soufflets sont essentiellement transitoires. Les Dictateurs eux-mêmes le proclament :

« La Dictature ne saurait être considérée comme un régime de longue durée. Elle a été instaurée par suite de circonstances exceptionnelles et dans un but précis et limité. Elle s’est imposée par la nécessité de mettre fin au désordre et au déséquilibre créés par la guerre ; dès que l’ordre et l’équilibre seront rétablis, aussitôt que la situation sera redevenue normale, la Dictature cessera. » Tel est le langage de Mussolini, de Primo de Rivera, de Lénine et de ses successeurs. Tous confessent que la Dictature est un régime indésirable, qu’elle ne peut avoir, à notre époque, un caractère stable, qu’elle n’est, en réalité, qu’un pis-aller. En conséquence, l’objection qui se fonde sur l’instauration de ces quelques dictatures ne tient pas et cet événement ne peut être interprêté dans le sens d’un mouvement évolutif propice au principe d’autorité.

Mais je veux faire abstraction des considérations qui précèdent et supposer – hypothèse gratuite – que ces régimes de Dictature dont on invoque l’existence dans l’intention de justifier l’objection que je réfute, aient été non pas l’accident dû à des circonstances extraordinaires et imprévisibles mais l’aboutissant d’une évolution véritable. Serait-il judicieux d’en conclure que l’Humanité renonce à briser ses chaînes et s’apprête à les faire plus resserrées et plus lourdes? Serait-il même raisonnable de soutenir que la Dictature, prise dans le sens d’un accroissement de l’Autorité, est appelée à se stabiliser et à devenir le Régime vers lequel tendent les générations présentes et futures? Evidemment non et, durât-elle encore un demi-siècle – j’exagère à dessein – dans les pays où elle existe, cela, au point de vue qui nous occupe dans ce débat, ne signifierait rien.

Jamais, en France, la Monarchie ne parut plus fortement, plus solidement assise qu’au temps où Louis XIV, ayant centralisé tous les pouvoirs, grâce à l’œuvre de Richelieu et de Mazarin, pouvait dire : « L’Etat c’est moi ! » Cependant, un siècle après – et que sont cent ans dans l’histoire? – l’héritier et le successeur du Roi-Soleil portait sa tête sur l’échafaud. Il y a dix ans à peine, l’Empereur d’Allemagne, Guillaume II et le Tzar de Russie, Nicolas II jouissaient d’un prestige et disposaient d’une puissance qu’on pouvait croire invulnérable ou, pour le moins, à l’abri pour longtemps des attaques dirigées contre elle. Quelques années après, ces deux formidables Empires s’écroulaient.

La vérité est que le monde capitaliste est effrayé du développement que prennent chaque jour les idées d’affranchissement par la Révolution et de la sympathie et de l’enthousiasme avec lesquels ces idées sont accueillies par les victimes de l’ordre social. Ces progrès indéniables des Idées que, tenant compte du visage qu’elles ont ou qu’elles se donnent, j’appellerai « d’avant-garde » angoissent à tel point la classe bourgeoise que celle-ci, pour être protégée, défendue et même simplement rassurée, est prête à se jeter dans les bras de n’importe quel aventurier qui se posera en sauveur, en défenseur de l’Autorité chancelante, en restaurateur de l’Ordre ébranlé. Il se peut que les partisans d’un Gouvernement absolu et d’un Régime de fer l’emportent momentanément, et par surprise : ce sera un triomphe sans lendemain. Car le régime capitaliste a atteint son apogée. Comme ceux qui l’ont précédé et dont il n’est que la continuation, il a traversé les deux premières des trois phases que traverse toute période historique : naissance, développement, disparition. Il a atteint le point culminant de son développement. Il en est au déclin qui précède et annonce la disparition.

Qui prête une oreille attentive aux Craquements sinistres de l’édifice social peut hardiment en prédire le prochain écroulement. La crise que subit le monde actuel, crise aussi étendue que profonde, est d’une gravité qui ne trompe les gens avisés d’aucun parti, d’aucune classe, d’aucun continent. A l’Orient et à l’Occident, au Nord et au Midi, le malaise s’accroît, le mécontentement augmente, l’anxiété grandit. Les vieilles puissances européennes qui, par leur agencement économique et militaire, ont conquis dans les autres parties du monde un empire colonial immense, assistent, angoissées, au soulèvement des populations qu’elles croyaient avoir à jamais colonisées, c’est-à-dire asservies. L’heure approche où ces populations résolues à prendre en mains la direction de leurs propres destinées, arracheront aux conquérants les territoires qu’elles occupent et proclameront leur indépendance.

Les vieilles croyances, répandues par les imposteurs de toutes les religions voient leur prestige constamment diminuer et, longtemps prisonnière de l’ignorance, de la superstition et de la peur, la conscience humaine se soustrait graduellemnt à la captivité dont elle a eu tant à souffrir. L’impuissance des partis politiques s’avère jusqu’à l’évidence ; la pourriture des Etats crève les yeux ; le monde du Travail prend conscience de l’iniquité intolérable d’une organisation sociale dans laquelle, bien que produisant tout, il ne possède rien. De la chaumière des paysans et du taudis des ouvriers écrasés par des charges fiscales sans cesse accrues, s’élève une protestation timide aujourd’hui mais demain furieuse. Partout, partout, l’Esprit de Révolte se substitue à l’Esprit de Soumission : le souffle vivifiant et pur de la Liberté s’est levé ; il est en marche ; rien ne l’arrêtera ; l’heure approche où, violent, impétueux, terrible, il soufflera en ouragan et emportera, comme fétus de paille, toutes les Institutions Autoritaires.

C’est dans ce sens que se fait l’Evolution. C’est vers l’Anarchie qu’elle guide l’Humanité.

Sébastien FAURE

ANARCHIE, ANARCHISME, INDIVIDUALISME ANARCHISTE

On appelle anarchie, on le sait, une conception de la vie individuelle ou collective où ne trouve point place l’existence de l’Etat, du gouvernement, de l’autorité, en un mot. Les individualistes anarchistes sont des anarchistes qui considèrent au point de vue individuel la conception anarchiste de la vie, c’est-à-dire basent toute réalisation de l’anarchisme sur « le fait individuel », l’unité humaine anarchiste étant considérée comme la cellule, le point de départ, le noyau de tout groupement, milieu, association anarchiste.

Il y a différentes conceptions de l’individualisme anarchiste, mais il n’en est aucune qui s’oppose, comme on se l’imagine parfois faussement, à la notion d’associationnisme, comme nous le verrons plus loin. Toutes sont d’accord, non pour dresser l’individu contre l’association – ce qui serait un non-sens, puisque ce serait limiter la puissance et les facultés de l’individu – mais pour nier et rejeter l’autorité, lutter contre l’exercice de l’autorité, résister à toute espèce d’autorité.

Il est nécessaire de définir clairement ce qu’il faut entendre par exercice de l’autorité, qui est la forme concrète de l’autorité, l’aspect sous lequel l’autorité se manifeste à chacun de nous, pris isolément ou comme associés.

II y a « exercice de l’autorité », emploi de l’autorité, lorsqu’une individualité, un groupe d’humains, un Etat, un gouvernement, une administration quelconque (ou leurs représentants) se servent de la puissance qu’ils détiennent pour contraindre une unité ou une collectivité humaine à accomplir certains actes ou gestes qui lui déplaisent ou sont contraires à ses opinions, ou encore qu’elle accomplirait autrement si elle possédait la faculté de se comporter à sa guise.

Il y a exercice, emploi de l’autorité lorsqu’une individualité, un groupe d’humains, un Etat, un gouvernement, une administration quelconque (ou leurs représentants) utilisent la puissance qu’ils détiennent pour interdire à une unité ou à une collectivité humaine de se comporter à sa guise, lui inflige certaines restrictions, lui oppose certaines entraves, lors même que cette unité ou cette collectivité agit à ses risques et périls, sans imposer ses vues à qui que ce soit – individu ou association – évoluant ou fonctionnant en dehors d’elle.

Une fois leur situation à l’égard de l’autorité bien définie, les individualistes anarchistes entendent résoudre toutes les questions pratiques que suscite la vie en ce sens que quelle que soit la solution adoptée, l’unité humaine ne se trouve jamais obligatoirement et à son insu dépossédée et sacrifiée au profit de l’ensemble social. L’individualisme anarchiste n’est en aucune façon synonyme d’isolement, les individualistes anarchistes ne veulent pas plus de l’isolement que de l’association obligatoire, tout simplement.

Les individualistes anarchistes ne se sentiraient à l’aise pour évoluer que dans un milieu ou une humanité qui considérerait l’autonomie, l’intégrité, l’inviolabilité de la personne humaine – de l’unité sociale, de l’individu, homme ou femme – comme la base, la raison d’être et la fin des rapports entre les terriens, où qu’ils habitent et quelle que soit leur race.

Les individualistes revendiquent pour l’individu – ­ homme ou femme – dès qu’il est en âge de se déterminer soi-même et cela sans restriction ou entrave aucune : pleine et entière faculté de se conduire pour et par soi-même – c’est-à-dire d’exister, de se développer, d’expérimenter à sa guise – selon que l’y poussent ou l’y amènent son tempérament, ses réflexions, ses aspirations, sa volonté, son déterminisme personnel ; sans être comptable qu’à soi-même de ses faits et gestes ; de même pleine et entière faculté d’expression, de profession, de diffusion, de publication de la pensée et de l’opinion – par l’écrit ou par la parole – en public ou en privé. Pleine et entière faculté d’essai, de réalisation, d’application, dans tous les domaines, des méthodes, systèmes, modes de vie individuelle ou collective, etc., etc., auxquels peut donner lieu la matérialisation de la pensée, la concrétion de l’opinion.

Tout cela bien entendu à charge de réciprocité à l’égard d’autrui, isolé et associé. C’est ce que les individualistes anarchistes désignent par l’expression d’égale liberté.

Donc, si les individualistes anarchistes revendiquent la pleine et entière faculté pour toute unité humaine de vivre en isolé, en marge, à l’écart de tout groupement, association, milieu – ils revendiquent non moins énergiquement la faculté d’association volontaire dans tous les domaines où peut s’exercer ou rayonner l’activité humaine, quelles que soient les expériences à poursuivre, les fins à atteindre ; la pleine et entière faculté de fédération pour les individualités isolées, les ententes à effectif restreint ou les associations, quelles que soient leur importance.

Les individualistes anarchistes revendiquent pleine et entière faculté d’épouser toute solidarité, de passer tout contrat dans n’importe quelle branche de l’activité humaine, dans n’importe quel but et pour n’importe quelle durée.

On aperçoit immédiatement l’abîme qui sépare la société archiste – gouvernementale, étatiste, autoritaire – de la société, de l’association anarchiste, anti­ autoritaire. La société archiste vous englobe de force en son sein, vous oblige à subir des lois, des coutumes, des habitudes, des traditions qu’elle ne vous permet pas de discuter ou de rejeter. Le contrat, les statuts, les directives de l’association individualiste anarchiste sont volontaires, on reste libre de s’y joindre ou de ne point en faire partie ; il est évident qu’en restant isolé, on ne participe pas aux produits ou aux bénéfices de l’association ; mais dans tous les temps et dans tous les lieux, aucune autorité, aucun gouvernement, aucun Etat anarchiste n’existe qui contraigne qui que ce soit à être membre d’une association quelconque.

Les individualistes anarchistes passent pour ne pas être révolutionnaires. Il faut s’entendre : pour que l’individualisme anarchiste se réalise, il est indispensable que la mentalité générale ou les mœurs soient à un niveau tel qu’elles impliquent ou garantissent l’impuissance ou l’impossibilité pour toute individualité, milieu, administration, gouvernement, Etat quelconque – et cela sans réserves ni artifice – de s’immiscer, s’ingérer, intervenir dans, empiéter sur : la vie ou les rapports des unités humaines entre elles – le but, l’existence, l’évolution ou le fonctionnement des groupements, associations d’individualités, fédérations de groupements, d’associations. La réalisation des revendications anarchistes est donc fonction de la transformation, de l’évolution du milieu humain en général, dans un sens anarchiste. C’est pourquoi la propagande individualiste anarchiste est plutôt éducatine, qu’elle en appelle surtout à l’exemple, qu’elle vise d’abord à faire de ceux qu’elle atteint et retient des révolutionnés, des réalisateurs isolés et associés des thèses individualistes anarchistes. Ils sont d’avis que c’est par l’unité anarchiste qu’il faut commencer pour aboutir à déterminer le milieu. C’est l’unité anarchiste qui est appelée à jouer, selon eux, le rôle de ferment, de déterminant du milieu.

Les individualistes anarchistes préconisent en général une forme d’agitation qui cadre avec tout ce que nous venons d’exposer et qui fait davantage appel à la réflexion individuelle qu’à l’entraînement irraisonné, à la conviction profonde plutôt qu’à la brutalité. Sont essentiellement individualistes anarchistes les actes de révolte suivants : grève des fonctions attribuées par la loi aux citoyens ; refus de participation à tout service public ; non-paiement de l’impôt ; refus de porter les armes ou de service militaire ; abstention des actes d’état-civil ; non-envoi d’enfants aux écoles dépendantes de l’Etat ou de l’Eglise ; abstention de tout travail relatif à la fabrication d’engins de guerre ou d’objets des cultes officiels, à la construction de banques, d’églises, de casernes, de prisons, etc., etc .. « On peut se représenter toute l’importance qu’ont pour la propagande quelques-uns de ces faits, surtout si en même temps, en dehors des murs de la prison (sort qui ne peut manquer d’être celui de ces résistants) il y a une armée d’agitateurs bien organisés. » (Tucker.) C’est ce qu’on appelle la résistance passive. Mais les Individualistes anarchistes sont partisans de la légitime défense et ils ne font pas de la résistance passive un dogme intangible. On ne saurait, pour eux, prescrire l’usage de la violence sans discernement, comme panacée ou comme remède, sans une absolue nécessité. Les plus pacifistes des individualistes anarchistes ont reconnu d’ailleurs que « si l’effusion de sang pouvait seule garantir la liberté d’agitation il fallait l’employer. » (Tucker.)

En résumé, pour les individualistes anarchistes, l’emploi de la violence révolutionnaire est affaire de tactique et non de doctrine. Ils sont d’avis que ce sont l’éducation et l’exemple qui mèneront plus efficacement l’humanité vers la libération que la violence révolutionnaire.

Il est courant d’attribuer aux individualistes anarchistes un soi-disant respect de la propriété individuelle. A la vérité, les individualistes anarchistes revendiquent la liberté de disposition du produit, obtenu par le travail personnel du producteur, produit qui peut être un morceau de fer comme un morceau de terrain – produit qui n’est en aucun cas le résultat de l’exploitation d’autrui, le résultat du parasitisme ou du monopole. La pleine et entière disposition du produit ou du travail (c’est-à-dire la pleine et entière faculté de troquer ledit produit, de l’échanger, de l’aliéner à titre gratuit et onéreux, de le léguer même) ne va pas sans la pleine et entière faculté de possession du moyen de production qu’on fait valoir personnellement ou en association. Il est compréhensible qu’il existe certaines productions qui ne se peuvent obtenir sans une association fortement organisée. L’essentiel est que grâce à sa possession personnelle de l’outil ou engin ou procédé de production, l’unité productrice, en cas de résiliation du contrat d’association, ne se trouve jamais démunie, livrée à l’arbitraire ou obligée de subir les conditions d’un milieu social quelconque, dont il lui répugnerait de faire partie par exemple.

Les moyens ou les méthodes de réalisation de ces revendications diffèrent selon les écoles ou les tendances. Certains individualistes défendent l’idée de la monnaie libre, c’est-à-dire d’une valeur d’échange émise par le producteur ou l’association de producteurs, ayant cours parmi ceux-là seulement qui l’adoptent comme moyen de transactions. D’autres individualistes ne veulent à aucun prix entendre parler d’une valeur d’échange. On peut être individualiste anarchiste et se rallier, dans l’association dont on fait partie, au communisme libertaire. Dès lors qu’une association se recrute volontairement et fonctionne sans avoir aucune intention d’imposer son fontionnement ou son organisation aux autres associations ou aux individualités isolées, elle peut être considérée comme un aspect de l’individualisme anarchiste. N’est pas individualiste anarchiste toute unité ou association qui veut imposer à un individu ou à une collectivité humaine une conception unilatérale de la vie, économique, intellectuelle, éthique ou autre ; voilà la pierre de touche de l’individualisme anarchiste.

En résumé l’individualisme anarchiste présente :

a) Un idéal humain : l’anarchiste, l’unité humaine niant l’autorité et son corollaire économique : l’exploitation ; l’être dont la vie consiste actuellement en une réaction continuelle contre un milieu qui ne peut, qui ne veut ni le comprendre ni l’approuver, puisque les constituants de ce milieu sont les esclaves de l’ignorance, de l’apathie, des tares ancestrales, du respect des choses établies.

b) Un idéal moral : l’individu conscient, en voie d’émancipation, tendant vers la réalisation d’un type nouveau : l’homme sans dieux ni maîtres, sans foi ni loi, qui ne ressent aucun besoin de réglementation ou contrainte extérieure parce qu’il possède assez de puissance de volition pour déterminer ses besoins personnels, user de ses passions pour se développer plus amplement, multiplier les expériences de sa vie et garder son équilibre individuel.

c) Un idéal social : le milieu anarchiste, une société où les hommes – isolés ou associés – détermineraient leur vie individuelle, sous ses aspects intellectuel, éthique, économique, par une entente librement consen­ tie et appliquée, basée sur « la réciprocité », tenant compte de la liberté de tous sans entraver la liberté d’aucun.

C’est ce que par le libre jeu de la camaraderie, sans attendre « l’humanité nouvelle », les individualistes, dès aujourd’hui, veulent réaliser parmi eux.

E. ARMAND

Bibliographie. – On trouvera à se documenter sur les divers aspects de l’Individualisme anarchiste dans les ouvrages suivants : E. ARMAND : Qu’est-ce qu’un anarchiste?, l’Initiation individualiste anarchiste ; BASCH (Victor) : L’Individualisme anarchiste ; DEVALDÈS (Manuel) : Réflexions sur l’individualisme ; ELZBACHER (Paul) : l’Anarchisme (spécialement les parties consacrées à Proudhon, Stirner, Tucker) ; HAN RYNER : Petit manuel individualiste ; LORULOT (André) : Les théories anarchistes ; LIBERTAD (André) : articles parus dans le journal l’anarchie ; MACKAY (John-Henry) : Anarchistes ; DER FREIHEITSUCHER (Le chercheur de liberté, non traduit en français, des extraits ont paru dans l’en dehors) ; PROUDHON : Œuvres, entre autres : Qu’est-ce que la propriété? Du principe fédératif, etc. ; SPENCER (Herbert) : L’individu contre l’Etat, le droit d’ignorer l’Etat ; STIRNER (Max) : L’unique et sa propriété ; TUCKER (Benjamin R.) : Instead of a book, by a man too busy to write one ; State Socialism and Anarchism (Au lieu d’un livre, par un homme trop affairé pour en écrire un ; des extraits ont paru dans l’Ere Nou­ velle, éditée par E.Armand, qui a publié aussi une brochure de Tucker : Ce que sont les anarchistes individualistes. Socialisme d’Etat st anarchisme comparés, qui a paru dans l’Ere Nouvelle, sera édité prochainement en brochure.)

 

Oligarchie et tyrannie marchande: La banque Rothschild… un vivier de politiques (Le Monde Libertaire)

Posted in actualité, altermondialisme, colonialisme, gilets jaunes, guerres hégémoniques, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et lobbyisme, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés, société libertaire, terrorisme d'état with tags , , , , , , , , , , , , , on 27 janvier 2020 by Résistance 71

 


L’asile en goguette…

 

“La banque possède le bénéfice de l’intérêt de tout l’argent qu’elle crée de rien.”
~ William Paterson, fondateur de la Banque d’Angleterre en 1694 ~

“Laissez moi imprimer et contrôler l’argent d’une nation et je ne me soucie aucunement de qui écrit les lois.”
~ Mayer Amschel Bauer “Rothschild” (1744-1812), fondateur de la maison Rothschild ~

“Si mes fils ne voulaient pas de guerres, il n’y en aurait pas.”
~ Gutle Schnaper, épouse de Mayer Amschel Rothschild et mère de ses 5 fils ~

Ce qui nous étonne dans cet article n’est pas l’info en elle-même, nous dénonçons le pouvoir de la haute finance, la banque Rothschild et son pré carré de la City de Londres (Est. 1694) depuis suffisamment longtemps ; mais le fait que l’organe de presse anarchiste officiel LML attaque ouvertement et directement le pouvoir occulte de la banque Rothschild.

Que se passe t’il ? Plus peur des représailles ?… Très bien, si la peur tombe, on va peut-être enfin pouvoir agir décemment et efficacement.

A bas l’État, à bas la marchandise, à bas l’argent, à bas le salariat !

Vive la Commune des communes !

Pour que vive la société des sociétés !

~ Résistance 71 ~

 


Les 3 cities et la banque Rothschild

 

La banque Rothschild : un vivier de politiques

 

Le Monde Libertaire

 

16 janvier 2020

 

url de l’article original:

https://www.monde-libertaire.fr/?article=La_banque_Rothschild_:_un_vivier_de_politiques

 

Il est à la fois jésuite, énarque, banquier et Président de la République… Mais pour réussir ce parcours aussi rapidement et sans faute, il lui a fallu des soutiens logistiques notamment financiers et politiques.

Certes, à l’heure où ces lignes sont écrites, il est dans la tourmente et ce depuis le 17 novembre 2018 avec le soulèvement des Gilets jaunes et aujourd’hui la révolte des travailleurs(es) face à la casse du système des retraites par répartition, que le coquin à décrétée. Faut-il qu’il soit dans une impasse, car ce donneur de leçons, ce méprisant personnage est amené face au peuple à déclarer renoncer à sa retraite de Président de la République, (6000 euros par mois.) Cet adepte de « Et en même temps » et de la restriction mentale chère au jésuite prétend vouloir donner l’exemple mais alors, il faut qu’il aille au bout de sa démarche. 

Ces 6000 euros, il les touchera au bout d’un mandat de 5 ans et à ce à 45 ans… Contrairement aux travailleurs et travailleuses qui toucheront à peine 1000 euros par mois et après avoir travaillé au moins 45 ans voire plus et parfois jusqu’à près de 70 ans. C’est pourquoi, je suggère à ce « justicier » ce « clown blanc » de président qui veut supprimer les régimes spéciaux de retraites au nom de la justice sociale d’aligner les retraites pour tout le monde sur les conditions qui régissent la sienne. Et, je peux lui garantir qu’il en sera fini du conflit qu’il a créé. Mais, là n’est pas son but. Il veut carrément casser le régime des retraites par répartition et le transformer en régime par point pour le livrer à ses amis les requins de la finance, les banquiers, les assurances privées et les mutuelles qui n’ont que le nom.

L’individu n’a pas le sens du sacrifice ni même de la solidarité, c’est un millionnaire et il a une sainte horreur du peuple. Ce n’est surtout pas un philanthrope, il veut faire payer le peuple. Comme l’a fait Pompidou, président sorti comme lui de chez Rothschild, avec la loi de 1973 qui interdit à l’État de battre monnaie.

Sa fortune ne lui est pas tombée du ciel !

Rothschild est un vivier de politiques et finances privées et politiques sont comme boutons et boutonnières. Autant dire que Rothschild est à la manœuvre et qu’il oriente au gré de ses besoins, et ils sont immenses, les décisions politiques.

Le premier à accéder à la présidence est Pompidou, il s’attaquera aux finances publiques. Après avoir été « Fondé de pouvoir » à la banque Rothschild, il a été propulsé Premier ministre sous la présidence de De Gaulle, en 1962, puis Président de la République de 1969 à 1974. 

La Banque Rothschild a toujours eu un ou deux hommes de « l’ombre »dans les allées et les arrière-cuisines du pouvoir et proche des présidents. C’est Henri Emmanuelli, un ancien responsable du PS, qui lui aussi, après avoir fréquenté et s’être fait la main dans la finance privée, chez Rothschild, a arpenté les salons dorés de la politique, sous la présidence de François Mitterrand. Il a occupé des postes importants liés à la finance publique et notamment comme secrétaire d’État au Budget… C’est également François Pérol qui a fait ses premières armes chez les Rothschild, pour, par la suite, occuper le poste de secrétaire général à l’Élysée, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. 

C’est avec l’arrivée de Georges Pompidou à la présidence de la République, que les dirigeants de la banque Rothschild ont placé ouvertement un financier pour occuper le pouvoir politique. Pompidou le banquier démontrera toute son efficacité à servir les intérêts des banquiers.

La loi « Pompidou/Rothschild/Giscard d’Estaing » 

Cette loi promulguée en 1973 par Giscard d’Estaing, alors ministre de l’Économie a pris le nom de loi « Pompidou/Rotdschild/Giscard d’Estaing » tant elle était téléguidée par les deux banquiers.

Ainsi, jusqu’en 1973, c’est l’État qui « battait monnaie », il n’avait pas besoin d’emprunter aux banques. Ce qui faisait que les finances de l’État étaient plutôt saines et qu’il n’y avait pas de dettes ou si peu.

Or, la loi de 1973 interdit à l’État de « battre monnaie », il doit donc emprunter aux organismes financiers et aux banques et ce, à des taux d’intérêts importants. Depuis cette date, la dette publique se creuse d’année en année… A ce jour, l’État est contraint d’emprunter pour rembourser les intérêts de la dette. Cette loi est un puits sans fonds et enrichit scandaleusement les banquiers.

En 46 années, la dette publique a atteint à la fin du mois de septembre 2019 « la modique » somme de 2415 milliards. Elle dépasse la richesse nationale.

Dégage !

Eh bien Monsieur Macron, autre président sorti, non pas de la cuisse de Jupiter mais de celle de Rothschild, vous qui voulez assainir les finances du pays, vous feriez bien d’exiger l’abrogation de cette loi scélérate et faire annuler le montant de cette dette, plutôt que de vous en prendre aux retraités(es) et aux travailleurs(es).

En fait, vous êtes un président qui est à la tête d’un pays en faillite, avoué que c’est un paradoxe. Vous devriez démissionner… Car vous êtes complice de cette banqueroute ainsi que tous les présidents qui ont présidé aux destinées de la France depuis Georges Pompidou. Vous et les précédents présidents avez failli à votre mission pour laquelle vous avez été élus, gérer la « chose publique »… Vous avez fait un choix de classe vous avez servi vos commanditaires les financiers, les banquiers.

Alors ne vous étonnez pas si le peuple est dans la rue depuis maintenant le 17 novembre 2018… Certes, la lutte est difficile car vous avez le pouvoir et toutes les possibilités de répression dont vous n’hésitez pas à vous en servir. Mais sachez que le peuple est le nombre et que c’est lui qui crée les richesses que vous vous appropriez indûment. Si l’on ne peut pas parler de Révolution c’est bien un soulèvement populaire et d’une insurrection dont il s’agit. Le peuple ne vous fait plus confiance, il souhaite que vous dégagiez, il a pris conscience de sa puissance et de son savoir-faire. Il est conscient qu’il est apte à bâtir une autre société sans exploitation, économique, sans domination politique, sans rapport de soumission, et sans hiérarchie… Le mouvement est en marche, ne vous en déplaise, Monsieur Macron.

= = =

Lectures complémentaires:

Guy_Debord_La_societe_du_spectacle

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

L’essentiel-de-Resistance71-de-2010-a-2018

Paulo_Freire_La_pedagogie_des_opprimes

Dean Henderson NOM 4 cavaliers apocalypse pétrolière et familles banquières de l’oligarchie

Manifeste pour la Société des Sociétés

La_City_de_Londres_au_coeur_de_lempire

Sutton_Wall_Street_et_la_montée_d’Hitler

Sutton_Wall-Street_et_la_Révolution_Bolchévique

 

 

État, république et tyrannie marchande… Vers l’organisation progressive des massacres sous le joug de la violence pseudo-légitime d’état !

Posted in actualité, altermondialisme, autogestion, crise mondiale, démocratie participative, gilets jaunes, militantisme alternatif, néo-libéralisme et paupérisation, neoliberalisme et fascisme, pédagogie libération, politique et social, politique française, résistance politique, société des sociétés, Uncategorized, Union Europeenne et nouvel ordre mondial with tags , , , , , , , , , , , , , , , , , on 26 janvier 2020 by Résistance 71

Globalement d’accord avec l’analyse de Jézéquel ; petit bémol quand il dit qu’il faut s’attacher à démanteler le “capitalisme ultralibéral”… Celui-ci n’est qu’un épiphénomène paroxystique d’une tare bien plus vaste: le capitalisme dans son ensemble en tant qu’’arrangement économique des choses avec l’État comme outil de maintient de la division politique et du rapport dominant/dominé initialement déclenché.
Tout ce qui se passe aujourd’hui sous Micronus 1er n’est que la continuation de ce qui a été commencé il y a des décennies, déjà, entre autre, sous le premier président « rothschild » avant celui-ci : Georges Pompidou, continué par un autre banquier Giscard et cette gauche du capital traîtresse et complice. Tout n’est que supercherie, mensonge et tromperie du matin au soir. Le « néolibéralisme » et « l’ultralibéralisme » qui lui succèdent, ne sont que des outils de destruction plus avancés, plus affinés pour finir de tout phagocyter et terminer dans l’apothéose génocidaire planétaire encouragée par plus d’un psychopathe du haut de la pyramide.

Ainsi, toute lutte politico-sociale, pour taper et changer juste, doit se consacrer à la mise à bas de l’État, de la marchandise, de l’argent et du salariat qui seront remplacés par les associations libres de producteurs et de consommateurs, au sein de Commune des communes libres et librement associées, formant de fait la société des sociétés réalisée de notre humanité dans la complémentarité de notre diversité utile et nécessaire, sans rapport de force, sans pouvoir coercitif, sans rouages oppresseurs.
Vive la Commune universelle de l’être qui triomphera de la tyrannie de l’avoir ! Ce que dit certes, en substance Jézéquel à la fin de sa conclusion.
~ Résistance 71 ~

 


Vive les communes libres librement associées

 

État policier en France : vers l’organisation progressive des massacres

 

Jean-Yves Jézéquel

 

20 janvier 2020

 

url de l’article original:

https://www.mondialisation.ca/etat-policier-en-france-vers-lorganisation-progressive-des-massacres/5640686

 

Protestant, parce que souffrant de la vie qu’on leur impose, des anciens ont été matraqués, jetés à terre, roués de coups de pieds, tirés par les cheveux, traînés sur les trottoirs. Des handicapés en chaise roulante ont été jetés à terre et roués de coups. On a tiré à coups de LBD sur des gens qui ne présentaient aucun danger, notamment des adolescents. On a agenouillé des jeunes de lycée et on les a humiliés en les traitant comme des terroristes. Des grenades ont été lancées dans les appartements. Une dame a été tuée par l’une d’elles. Des gens qui exerçaient leur droit légitime de manifester ont été éborgnés; On a lancé les GLI-F4 en cloche, arraché des mains, fracassé des mâchoires, enfoncé des côtes, défoncé des crânes, brisé des jambes et des bras…

C’est un fait: la haine de la police devenue milice est désormais acquise dans toute la France.

Ce qu’il faut donc désormais appeler la « milice française » est à l’image du voyou Castaner et du psychopathe Macron. Elle obéit aveuglément, comme Philippe, toujours aux ordres de l’arriération mentale incarnée par l’usurpateur de l’Élysée et ses complices recrutés dans le banditisme ordinaire.

La milice a reçu la consigne qu’elle « pouvait faire ce qu’elle voulait »!

Elle a reçu carte blanche pour brutaliser, insulter, humilier, pratiquer l’abus de pouvoir sans borne, la criminalité en toute impunité…

La milice de Macron a tous les droits y compris celui de tuer! Le « droit » a disparu, il est mort, envolé! Nous savons qu’il n’était pas au service de la vérité et pas plus de la justice mais de la loi. Comme chacun le sait, la loi est créée par un petit nombre de gens censés nous « représenter » et dont les tares multiples inévitables se retrouvent naturellement comme inspiratrices de ces lois érigées en « révélation » quasi sacralisées entraînant notre soumission aveugle, obligatoire et forcée.

La milice s’amusait chaque samedi et maintenant tous les jours; elle attend le matin comme une « fête » cette sorte de « chasse à l’homme », au cours de laquelle elle va brutaliser en poussant des cris barbares et en se réjouissant à chaque impact de LBD dans un visage fracassé…

Puis, c’est un milicien qu’on voyait sur une vidéo jouir littéralement en public, après avoir massacré une femme syndicaliste, le 9 janvier!

Un autre milicien, pratiquant le croc en jambe, faisait tomber volontairement et arbitrairement une femme qui n’était en rien une menace pour lui. Il se réjouissait de l’humilier, de la traîner dans le sang et la boue de l’infamie. Il était sans âme, sans conscience, sans honneur, sans dignité et c’est pourtant à de tels arriérés mentaux qu’on a donné une arme!

Pour entrer dans la police, faut-il être une ordure, un salaud, un goujat, un raté, une raclure ou un crétin prêt à obéir à n’importe quelle consigne, même immorale ou carrément criminelle? Voilà, en effet, ce qui arrive, le genre de policier que l’on va avoir, lorsque ce n’est pas le peuple qui contrôle la police et toutes les autres Institutions de l’État.

La milice pratique couramment la garde-à-vue sans motif, en toute illégalité: la dictature pure et dure, le hors-la-loi explicite. La majorité des Français ne savait pas encore que la démocratie n’existait pas en France; maintenant elle le sait par expérience. 

La milice de Macron pratique le chantage, comme les mafieux ou les terroristes; elle menace de « s’en prendre à la jolie fille » d’un Gilet jaune si celui-ci ne se soumet pas à son abus de pouvoir.

Pour la milice, il n’y a plus de RIO, plus de règlement du maintien de l’ordre, plus de code de déontologie: les articles 8,9,10 notamment du code de déontologie de la police nationale ont été effacés définitivement. Quant à la Constitution elle a été enterrée depuis longtemps…

Lorsqu’un citoyen a la main arrachée par une grenade, théoriquement interdite, les responsables se contentent de dire, comme en février 2019, que « c’est bien fait pour la gueule de celui qui a osé utiliser son droit de manifester »!

Non contents de faire ce qu’elles veulent, les milices organisent la chasse aux journalistes indépendants sur les réseaux sociaux, car ceux-ci dénoncent leurs exactions. Puis, comme cela était prévisible, elles s’en prennent désormais également aux journalistes des médias collabos, car il ne faut pas demander à un milicien de raisonner.

Les chefs sont les premiers pervers installés dans la toute-puissance. Ils communiquent tout naturellement leur pathologie à ces milices lâchées dans le « permis de réprimer pour réprimer ». Ils font ce qu’ils veulent: il n’y a pas de loi, pas de droit, pas de contre-pouvoir, pas de compte à rendre: l’impunité absolue!


L’État, c’est ça !…

C’est Papon réincarné en Lallement qui dirige la milice parisienne. La réalité d’aujourd’hui, c’est que la milice ne peut pas être la gardienne de l’ordre républicain. La République est une vaste blague qui fait la nique aux  aspirations démocratiques! La fiction républicaine et le discours sur la « démocratie représentative » sont enfin dévoilés: la supercherie a assez duré. 

Désormais chacun sait que l’État est terroriste par essence, pervers par nécessité, odieux par vocation, inutile par nature. L’État c’est la criminalité « légitimée », un organisme mafieux qui a éliminé les autres mafias et qui s’est autoproclamé le seul autorisé. L’État légitime sa violence par sa « violence légitime »! Macron dit qu’il faut utiliser la violence policière car elle est « légitime »! Lui-même n’est pas légitime à l’Élysée où il est « entré par effraction » et l’État en soi n’a aucune légitimité lorsqu’il n’est pas là pour obéir au peuple qui lui seul peut commander. L’État peut avoir une légitimité lorsqu’il se contente d’obéir au peuple. C’est le seul cas de figure dans lequel l’État sans étatisme peut avoir une utilité et un rôle à jouer. 

On en est donc très loin en France.

Ni un décret, ni une loi, ne peuvent donner à l’État sa « légitimité ». Seul le peuple donne sa légitimité à l’État qui est là pour exécuter les ordres du peuple souverain.

Le pouvoir est en soi une perversion qui croit qu’il « peut faire ce qu’il veut » tout comme la milice à son service. Personne n’a jamais donné un pouvoir à qui que ce soi. C’est tout un peuple qui détient le pouvoir de se gouverner lui-même, par lui-même et pour lui-même. Le reste n’est que structures au service de la volonté du peuple sans avoir aucun pouvoir sur le peuple qui conserve son contrôle permanent des structures de l’État à son service.

Oui, le droit fondamental de manifester a été détruit en France, par une bande de prédateurs au service exclusif de la finance internationale. La France est pillée, volée, dépecée et les Français qui protestent et défendent leur bien se font massacrer par les milices fascistes du pouvoir mafieux macronien au service des flibustiers de la finance.

Manifester aujourd’hui en France c’est se mettre en grand danger et risquer sa vie.

Macron disait refuser « la haine, la violence et l’irrespect qui ne sont acceptables que dans une dictature »! Il aurait déjà pu dire « imaginables dans une dictature » et non pas « acceptables dans une dictature », comme si la dictature était finalement une bonne solution éventuelle! Nonobstant cette incohérence de langage, c’est de plus exactement la description de ce qu’il fait en France: il est justement dans la haine du peuple, dans la violence policière et dans l’irrespect absolu des citoyens. Il est dans le mépris et l’arrogance. Comment ne voit-il pas que ce qu’il « dénonce » est précisément ce qu’il pratique lui-même?

Parce que l’adhésion à la notion étatique du pouvoir, implique en soi l’idée de « l’innocence », car tout pouvoir déclaré comme tel ne peut se justifier que de théocratie. Le pouvoir, pour être acceptable par ceux qui vont devoir se soumettre, ne peut être qu’innocent. Il faut donc qu’il provienne de dieu qui est pur et saint (innocent). L’État est de ce fait le Pontife de la société laïque, jouissant de « l’infaillibilité pontificale » pour décréter ce qui est le bien et le mal du peuple! Macron est installé dans cette illusion associée à une arriération mentale avérée. Il est donc malade et il faudrait qu’il soit en psychiatrie et non pas à l’Élysée! 

Pourquoi les choses vont-elles aussi mal? Réponse: parce que nous sommes dirigés par des arriérés mentaux, des malades psychotiques, des tarés et des escrocs… Macron est entouré de pervers à son image avec sa bande des Philippe, Castaner, Belloubet, Bergé, Rebeyrotte, Nogal, Goulard, Maillard, Park et Cie… pour ne citer que ceux qui ont encore frayé la chronique par leurs déclarations consternantes de sottise!


L’asile armé aux manettes…

Macron pratique à jets continus le « renversement projectif » qui est un mécanisme inconscient hautement révélateur du délabrement mental qui l’habite. Macron dénonce les « radicalisés », et c’est précisément ce qu’il donne à voir de lui-même. L’idée fixe de la « lutte contre le terrorisme » menaçant de l’extérieur indique le terrorisme intérieur de l’État.

Les tirs à bout portant de LBD, comme celui rapporté par « Arrêt sur images » du 9 janvier dernier, n’ont pour seul but que de terroriser le peuple qui manifeste et préfigurent, en soi, les massacres prévisibles à venir. 

Dans la Convention de Genève, on trouve cette déclaration :

« Sont interdits les actes ou les menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi les populations civiles. ».

De plus, Selon l’Article 7 du Statut de Rome, qui a été signé par la France, traitant des Crimes contre l’humanité, il est dit :

« 1. Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque:
a) Meurtre … etc.;
e) Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en
violation des dispositions fondamentales du droit international;
f) Torture…etc.;
h) Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique… etc. ;
k) Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement
de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la
santé physique ou mentale… » 

Mais, dans la « Constitution Européenne » imposée aux Français en 2008, et qui fait loi surpassant toutes les autres lois, ces dispositions sont annulées et contournées. « La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire: pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale; pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue; pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection » (Cf., article 2 – 2 de la Convention européenne des droits de l’homme) « Un Etat peut prévoir dans sa législation la peine de mort dans certaines situations (article 2 du protocole N° 6 annexé à la CEDH). (Cf., Le traité de Lisbonne 152 pages, contenant plus de 350 dispositions de droit primaire, auxquelles s’ajoutent 13 protocoles et 59 déclarations. Voir : article 2-2 du protocole N°6 annexé à la Convention Européenne des Droits de l’Homme) 

L’État illégitime a ouvertement pris parti pour la logique destructrice du capitalisme sous sa forme ultralibérale actuelle. Il utilise donc la violence absolue pour nous imposer sa logique de destruction. Les serviteurs de cette vision du pouvoir pervers par essence, doivent être réduis au silence avec ce pouvoir lui-même et ses moyens démesurés de répression. 

Dans un tel contexte de trahison totale des Institutions de la République, il n’est pas étonnant qu’un Luc Ferry ait de nouveau récidivé sur LCI dans un « débat » en compagnie de Daniel Cohn Bendit, au cours duquel il en appelait une nouvelle fois au meurtre:

« Les djihadistes de Daech n’avaient qu’une envie, c’est d’organiser la guerre civile en France et de répandre la terreur. C’est ce qu’on est en train de faire avec nos propres moyens… Emmanuel Macron ne mérite pas la haine. Il n’y a aucune raison pour que cet homme suscite une haine pareille. » « Cette logique de la terreur, de la haine, ces menaces de mort en permanence, tout cela réjouit tous ceux qui dans le monde nous détestent. » Les « Gilets jaunes » et tous « ceux qui les ont rejoints » font  « le jeu de Daech ». CQFD: tous ceux qui protestent sont des terroristes qui réalisent le projet de Daech!

Luc Ferry le 13 janvier sur LCI : « Quand on voit un malheureux policier qu’ils tabassent par terre, franchement, que les policiers se servent de leurs armes une fois pour toute et puis voilà!»

Récidive d’un appel au meurtre. Luc Ferry n’a absolument pas été inquiété pour son premier appel au meurtre dans les médias; il ne le sera pas plus pour ce second appel au meurtre, puisque le pouvoir judiciaire pris en otage par les prédateurs macroniens est dans le « camp » des oppresseurs.

Étrangement, monsieur Luc Ferry ne voit pas, lui non plus, que ce qu’il dénonce, concernant le souhait de Daech, c’est précisément ce qu’il accompli: encourager le vœu de Daech, puisqu’il fait un appel au meurtre de citoyens français par la police, ce qui manifestement provoquerait immédiatement une guerre civile! Ce sont bel et bien Macron et ses partisans « radicalisés » qui volontairement font le jeu de Daech.

L’ensemble de cette violence extrême baigne dans un bouillon habituel de mépris et d’arrogance de la part de ce Macron qui n’a que faire de la France et des Français. Pendant que la majeure partie de ses concitoyens proteste et se bat  péniblement pour sauver le principe de la solidarité nationale, au lieu de livrer la France au « chacun pour soi et au tous contre chacun », Macron se rendait au théâtre ce vendredi 17 janvier comme si rien ne se passait en France. Le plaisir de sa belle soirée était gâché par l’arrivée aux « Bouffes du Nord » des manifestants alertés via Twitter. L’auteur de l’alerte était évidemment placé en Garde-à-vue et sous le coup de la répression impitoyable des milices du régime.

Au même moment, on découvrait la circulaire de Castaner aux préfets, leur demandant de ne plus prendre en compte, à l’occasion des élections municipales de 2020, les résultats des villes de moins de 9000 habitants! En ne divulguant, pour les statistiques nationales, que les résultats des villes de plus de 9000 habitants, cela allait représenter une mise à l’écart automatique de 96% des localités qui seront instantanément ignorées dans la prise en compte des résultats. Par la même occasion, c’est le vote de 54% des électeurs qui sera également ignoré par ce gouvernement! Les macroniens annoncent ouvertement comment ils vont s’y prendre pour trafiquer les résultats des municipales et imposer leur triomphe factice à l’ensemble des Français qui luttent contre la politique de destruction de ces pervers se maintenant artificiellement au pouvoir par la tromperie, le mensonge, l’arrogance, la manipulation et les violences policières!

CONCLUSION

Le cynisme et l’arrogance de ces gens n’ont plus de limites: nous allons logiquement vers l’organisation progressive de massacres qui, dans cette logique répressive « radicalisée » par les charlatans politiques qui nous dirigent, deviennent peu à peu nécessaires.

Derrière chaque résistant, il y a nous tous qui formons le peuple français. Le principe de destruction du capitalisme ultralibéral est servi par des individus qui n’ont pas la conscience de la solidarité: ils n’en ont aucune idée, puisque faisant partie des profiteurs d’en haut, ils ne se sentent pas concernés par l’injustice sociale et fiscale, la perte de tous les droits et les sens interdits dressés de toutes parts par les directives de l’Union Européenne. 

Nous devons ensemble détruire le capitalisme ultralibéral et tous ceux qui, par leur radicalisation, le servent avec fanatisme, persuadés qu’ils sont de faire le bon choix « politique » (pour eux)… La macronie se sent « légitimée » et appuyée par l’Union Européenne avec sa volonté acharnée « radicalisée » de politique ultralibérale. Le malheur de la France actuelle passe par Bruxelles: il faut donc supprimer cet anachronisme de l’enfermement dans cette UE qui n’a pas été voulue par les peuples européens et surtout pas par le peuple français. « Si nous ne voulons pas tous crever comme des idiots », (dixit Martin Luther King) il va falloir arrêter le capitalisme sauvage et ses serviteurs dévoués. Il s’agit d’arrêter une perversion en marche contre la vie et le peuple qui souffre et ose le dire aujourd’hui dans la rue!

Va-t-on le faire encore longtemps avec des manifs, des paroles, des chansons et des actes symboliques ou des fleurs, alors que la seule réponse obtenue est celle du mensonge arrogant, de la criminalité de l’État qui se déchaîne sans complexe sur tous les contestataires, c’est-à-dire, sur la majeure partie du peuple qu’il était théoriquement chargé de « représenter »?

En disant ce que nous pensons et en agissant conformément à cette pensée inspirée de solidarité, nous savons tous que nous nous exposons à l’éventualité certaine de la répression et peut-être même, dans les jours qui viennent, de la mort, mais peu importe. La vie doit toujours être totalement inspirée par le « critère » de la générosité. 


Il suffit de dire NON !…

Torturer, maltraiter, mutiler ou tuer un homme qui combat avec la force de sa liberté et la détermination inflexible de sa conviction intériorisée, ne peut en aucun cas éradiquer le sens, la volonté, l’idée qu’il porte dans son esprit et dans ses gestes. Car tout cela le transcende! L’homme, en lui-même, à travers les limites et la vulnérabilité de son humanité peut être anéanti, mais pas la conscience qu’il proclame à la face du monde. Cette conscience supérieure est immortelle, elle transcende l’espace et le temps, elle ne peut pas être réduite à néant par le mensonge des manipulations exécrables d’un pouvoir pervers qui se croit tout-puissant, elle construit même l’univers visible et invisible, elle est en soi révolutionnaire. 

Si la cause de cette conscience supérieure de la vie du mouvement et de l’être, au sein de la nature humaine et de la nature tout court, veut bien que cette étape de l’existence se prolonge encore quelque temps pour l’espèce humaine, portons-la comme un drapeau fédérateur des combats pour la libération de l’homme de toutes les formes de tyrannie. 

= = =

Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir !

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

+

4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

 

Sur le chemin de l’émancipation finale : « Appel à la vie contre la tyrannie étatique et marchande » (Raoul Vaneigem, extraits, format pdf)

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Résistance 71

 

25 janvier 2020

 

Nous avons réalisé une compilation d’extraits du dernier ouvrage de Raoul Vaneigem « Appel à la vie contre la tyrannie étatique et marchande » (2019), mise en format PDF par Jo avec son talent habituel de mise en page.

Nous encourageons les lecteurs à lire le livre intégralement il en vaut la peine. Il est publié aux édition Libertalia.

Nous avons choisi de compiler de larges extraits de ce petit livre car l’analyse de Raoul Vaneigem, comme à son habitude, est particulièrement pertinente à la situation socio-politique que nous subissons et elle donne de très bonnes pistes à suivre pour nous retrouver, ensemble, sur le chemin de l’émancipation finale, celui de la gratuité mettant à bas état, marchandise, argent et salariat, piliers centenaires de la tyrannie qui nous oppriment toujours plus avant.

A lire et à diffuser sans aucune modération…

 

Compilation d’extraits version PDF :
Raoul_Vaneigem-extraits-de-lappel-a-la-vie-contre-la-tyrannie-etatique-et-marchande

 

Ce pdf est le 150ème de notre e-biblio

 


A bas la tyrannie marchande…
pour la société des sociétés

 

Pour ceux qui « rêvent » toujours au sujet de la révolution française : 6 paragraphes sur ce qu’elle fut et quel est son héritage d’imposture (tract Guerre de Classe 1989)

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Héritage 1789 : la dictature marchande

 

« L’avènement de la I ère république c’est la loi le Chapelier qui a livré avec frénésie les prolétaires à la domination du marché. C’est le pillage des terrains communaux conquis pour l’agriculture capitaliste. C’est le guillotinage des sans-culottes radicaux par la flicaille de la bourgeoisie. C’est la transformation en chair à canon de millions pour la boucherie patriotique. C’est la livraison préparée à l’industrie des villes d’armées entières d’expropriés des campagnes.. »

 

Résistance 71

 

24 janvier 2020

 

Le collectif Guerre de Classe ressort sous format pdf ses tracts distribués dans les années 80. Ci-dessous nous diffusons celui qui fut distribué à l’époque du bicentenaire de la révolution de 1789.

Petit condensé historique pertinent et percutant en 6 paragraphes sur ce que fut la révolution (bourgeoise) de 1789 et ce que fut et est toujours son pathétique héritage républicain, qui n’est en fait qu’un héritage d’imposture et de cadenassage de la soumission au profit du plus petit nombre.

Sous le tract de GDC, nous mettons en lecture complémentaire quelques écrits d’époque tous aussi pertinents, issus de véritables « amis du peuple ». Pour que cesse l’imposture démocratique républicaine, pour l’établissement de la Commune des communes au sein d’une société des sociétés au pouvoir réintégré dans le corps social, sans état, sans argent et sans rapport marchand, ces trois piliers de la dictature et de l’oppression du plus petit nombre sur le plus grand nombre.
Tout ceci est vital à comprendre à l’heure où se dresse devant le(s) peuple(s) des enjeux politiques et sociaux des plus considérables.

1789 – 1989 :

GDC_deux_cent_ans_dexploitation_capitaliste_de_mystification_democratique (pdf)

Lectures complémentaires des « amis du peuple »:

jpmarat_transcription.685numeros_de_l’ami_du Peuple

JP-Marat_Les_chaines_de_lesclavage_Ed_Fr_1792

Les_amis_du_peuple_révolution_française

 

 

 

 

Gustav Landauer et Gilets Jaunes pour un retour à l’esprit de la société et l’éradication de l’État et du capitalisme

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« Si tu ne sais pas où tu vas, arrête-toi, retourne toi et regarde d’où tu viens. »
~ Proverbe africain ~

“Le socialisme est la tendance de la volonté d’Hommes unifiés de créer quelque chose de nouveau pour la réalisation d’un idéal.”
“Le socialisme vient des siècles et des millénaires précédents. Le socialiste englobe toute la société et son passé, sent et sait d’où nous venons et ensuite détermine où nous allons.”
~ Gustav Landauer ~

“La terre et l’esprit [Geist] sont donc la solution du socialisme… Les socialistes ne peuvent en aucune manière éviter le combat contre la propriété foncière. La lutte pour le socialisme est une lutte pour la terre ; la question sociale est une question agraire !”
~ Gustav Landauer ~

 


« La question sociale est une question agraire »

 

Gustav Landauer: L’appel au socialisme

 

Renaud Garcia

 

13 janvier 2020

 

Source:

https://www.revue-ballast.fr/gustav-landauer-un-appel-au-socialisme/

 

Gustav Landauer est l’une des voix majeures du socia­lisme liber­taire alle­mand. Face aux dégâts pro­vo­qués par l’in­dus­tria­li­sa­tion, il a fait l’é­loge des com­mu­nau­tés fédé­rées ancrées dans le monde rural et vil­la­geois ; face à la guerre mon­diale, il a appe­lé, en non-violent, à la grève géné­rale ; face au par­le­men­ta­risme, il a loué la démo­cra­tie directe et les conseils ouvriers auto-admi­nis­trés. En 1919, celui qui tenait le socia­lisme pour « l’expression de la véri­table et authen­tique union des hommes » s’en­ga­gea dans la Révolution alle­mande, jus­qu’à deve­nir com­mis­saire du peuple et tom­ber, quatre mois après la mar­xiste Rosa Luxemburg, sous les coups de l’ar­mée. Les édi­tions La len­teur ont récem­ment tra­duit et publié son Appel au socia­lisme : le phi­lo­sophe Renaud Garcia l’a lu, et livre ici ses impres­sions.

Il est peu de textes alliant au même degré pro­fon­deur phi­lo­so­phique, acui­té poli­tique et beau­té sty­lis­tique. Joyau de la lit­té­ra­ture socia­liste, l’Appel au socia­lisme de Gustav Landauer est de ceux-là. Né en 1870 à Karlsruhe, en Allemagne, Landauer fut un révo­lu­tion­naire sa vie durant, tou­jours à contre­temps des ten­dances idéo­lo­giques de son époque. Lecteur de Spinoza, Schopenhauer et Nietzsche, il est exclu de l’université à 23 ans et consi­dé­ré par les ser­vices de l’empire comme l’« agi­ta­teur le plus impor­tant du mou­ve­ment révo­lu­tion­naire radi­cal ». Il col­la­bore à plu­sieurs jour­naux, par­ti­cipe à la fon­da­tion de théâtres popu­laires, essuie des peines de pri­son au tour­nant du siècle pour inci­ta­tion à l’action révo­lu­tion­naire — temps pen­dant lequel il se livre notam­ment à la tra­duc­tion des écrits du mys­tique médié­val Maître Eckhart. Par la suite, il se fera pas­seur déci­sif en langue alle­mande de textes de Proudhon, Kropotkine, Mirbeau, La Boétie, avant d’être à l’origine de mul­tiples expé­ri­men­ta­tions (notam­ment le jour­nal Der Sozialist) et grou­pe­ments socia­listes, dont le plus connu fut l’Alliance socia­liste (qui aurait comp­té à son apo­gée une quin­zaine de groupes de 10 à 20 membres cha­cun). Commissaire à l’Instruction publique et à la Culture for­te­ment impli­qué dans la révo­lu­tion des conseils de Bavière, Landauer meurt lyn­ché par un grou­pe­ment de corps francs en mai 1919.

Publié en 1911, l’Appel au socia­lisme est plus pré­ci­sé­ment une réécri­ture de deux allo­cu­tions pro­non­cées en 1908, qui mar­quèrent la fon­da­tion de l’Alliance socia­liste. Landauer lui-même le tenait pour le meilleur de ses écrits, rédi­gé dans une langue s’efforçant de conser­ver les marques de l’oralité. Il était donc grand temps que le lec­to­rat fran­co­phone dis­pose d’une édi­tion à la hau­teur de la com­plexi­té du texte1. Comme on l’apprend du reste à la lec­ture de la monu­men­tale thèse de doc­to­rat qu’Anatole Lucet a consa­crée au pen­seur allemand2, l’œuvre de Landauer, cor­res­pon­dance com­prise, est com­po­sée d’innombrables volumes aux­quels l’accès en France était alors encore fort limité3. La pré­sente tra­duc­tion de l’Appel au socia­lisme confirme d’une manière écla­tante la per­ti­nence actuelle de la pen­sée du révo­lu­tion­naire alle­mand. Qu’y a‑t-il donc de si nova­teur dans ce texte vieux de plus de 100 ans ? Voici quelques élé­ments sus­cep­tibles d’attiser la curio­si­té des lec­teurs.

L’anarchisme : un socialisme culturel

Landauer appar­tient clai­re­ment à la tra­di­tion anar­chiste par son rejet de l’État, un atta­che­ment au modèle fédé­ra­liste d’organisation de la socié­té ain­si qu’une cri­tique constante de la pro­prié­té pri­vée, au pre­mier chef celle de la terre. La figure sans nul doute la plus impor­tante pour lui reste Proudhon, qu’il consi­dère dans La Révolution comme « le plus grand de tous les socia­listes ». Précisément, le terme « socia­lisme » est domi­nant dans le registre lexi­cal employé par Landauer. L’anarchie, dit-il dans le dixième des douze articles de l’Alliance socialiste4, n’est « qu’un autre nom pour le socia­lisme, moins bon du fait de sa néga­ti­vi­té et de son équi­vo­ci­té par­ti­cu­liè­re­ment forte ». Or ce socia­lisme anar­chiste, sans nier en aucune façon les ques­tions éco­no­miques, est en grande par­tie cultu­rel. Là réside sa pre­mière spé­ci­fi­ci­té.

Pour Landauer, les grandes ins­ti­tu­tions de la moder­ni­té indus­trielle que sont l’État cen­tra­li­sé bureau­cra­tique et le capi­ta­lisme induisent des formes de vie col­lec­tive dénuées d’esprit. Elles ne consti­tuent pour l’essentiel que des néants que l’on prend pour des choses et ne réunissent le sépa­ré qu’en tant que sépa­ré (pour le dire à la façon de Debord). Leur fait défaut ce que le pen­seur nomme donc « esprit », l’un des concepts les plus dif­fi­ciles et exi­geants du texte. Pour en appro­cher la défi­ni­tion, on note­ra que « l’esprit est quelque chose qui vit de la même manière dans les cœurs et dans les corps ani­més des indi­vi­dus ; quelque chose qui jaillit de tous comme pro­prié­té fédé­ra­trice avec une néces­si­té natu­relle et les conduit tous à l’alliance. » Sans ce ciment com­mu­nau­taire, dont les germes résident dans les pro­fon­deurs de l’individualité se redé­cou­vrant liée fon­da­men­ta­le­ment à la com­mu­nau­té humaine, il n’est pas de socié­té viable : uni­que­ment ses contre­fa­çons, ses suc­cé­da­nés. Pour Landauer, lorsque l’es­prit fait défaut s’é­lève, depuis le vide ain­si creu­sé, son simu­lacre : l’État. En d’autres termes, une mise en com­mun for­cée, arti­fi­cielle, ne dis­po­sant d’au­cun élan authen­tique vers la com­mu­nau­té (que l’État repose sur la force, l’habitude de la sou­mis­sion ou un pré­ten­du assem­blage de liber­tés indi­vi­duelles en fonc­tion d’un contrat social, comme dans le mythe libé­ral, ne change rien à l’affaire).

Le révo­lu­tion­naire alle­mand fus­tige ici les formes de vie par­ta­gée appau­vries qu’il décèle dans son époque. Sa cri­tique du phi­lis­ti­nisme, autre­ment dit de l’individu obtus, aux inté­rêts prag­ma­tiques étroits, inca­pable d’élans spi­ri­tuels et esthé­tiques, quelle que soit sa classe sociale d’appartenance, retra­vaille à l’évidence des motifs nietz­schéens et retrouve les accents du dra­ma­turge Ibsen (on songe par exemple à sa pièce Un enne­mi du peuple, mon­tée en 1883, qui ins­pi­ra for­te­ment Emma Goldman). Cette cri­tique n’épargne per­sonne, depuis la bour­geoi­sie domi­nante jusqu’au pro­lé­ta­riat indus­triel. À ce sujet, cer­taines outrances incom­mo­de­ront sans doute quelques lec­teurs, mais il convient de rap­pe­ler qu’elles pro­cèdent du registre d’expression choi­si, celui de l’appel : une exhor­ta­tion puis­sante qui vise à pro­vo­quer un effet bou­le­ver­sant. Ainsi, sans pour autant exclure le voca­bu­laire de la conscience de classe, de la pau­vre­té et de la lutte orga­ni­sée contre l’exploitation, Landauer le subor­donne à celui du déclin cultu­rel des peuples, du mal­heur et de l’ennui au tra­vail, les­quels ne pour­ront être contrés que par le réveil de la volon­té d’incarner un idéal com­mu­nau­taire. D’où un ensemble de défi­ni­tions pro­pre­ment cultu­relles du socia­lisme, telles que celle-ci : le socia­lisme est un « mou­ve­ment de culture, une lutte pour la beau­té, la gran­deur et la plé­ni­tude des peuples ». C’est donc en visant l’idéal d’un mode de vie radi­ca­le­ment autre que celui qui, chaque jour, entre­tient le capi­ta­lisme, que la pos­si­bi­li­té d’une trans­for­ma­tion sociale res­te­ra ména­gée.

Landauer va cer­tai­ne­ment le plus loin dans ce sens dans ses adresses au pro­lé­ta­riat, dont la poten­tia­li­té polé­mique mérite d’être lon­gue­ment médi­tée : « Il n’y a de libé­ra­tion que pour ceux qui se mettent inté­rieu­re­ment et exté­rieu­re­ment en état de sor­tir du capi­ta­lisme, qui cessent de jouer un rôle et com­mencent à être des humains. » Position grosse de contro­verses, en effet. En pre­mier lieu face à tout dis­cours prô­nant la cen­tra­li­té de la lutte des classes, aujourd’hui comme hier. À l’époque de Landauer, le mar­xisme « ortho­doxe », celui de Karl Kautsky, est l’idéologie offi­cielle du SPD [Parti social-démo­crate d’Allemagne], le plus puis­sant par­ti socia­liste en Europe au sein de la IIe Internationale. Cette doc­trine, résu­mant les erre­ments d’une science inféo­dée à une acti­vi­té par­ti­sane, est sou­mise à un feu nour­ri tout au long de l’Appel. Les concep­tions de Landauer s’en retrouvent pré­ci­sées comme en creux, et avec elles celles de l’anarchisme dans son oppo­si­tion à la phi­lo­so­phie de l’histoire mar­xiste.

Le marxisme, une philosophie de l’inaction ?

La vigueur des cri­tiques adres­sées par Landauer au mar­xisme de son temps ne se com­prend véri­ta­ble­ment qu’à l’aune des bou­le­ver­se­ments sociaux et éco­no­miques endu­rés par l’Allemagne dans les 40 années pré­cé­dant la paru­tion de l’Appel. Sous l’impulsion du chan­ce­lier Bismarck, l’Allemagne passe rapi­de­ment d’un État agraire à un stade indus­triel avan­cé, sous l’effet d’une moder­ni­sa­tion accé­lé­rée des struc­tures éco­no­miques. L’urbanisation explose, la mar­chan­di­sa­tion gagne de plus en plus de ter­rain, les inéga­li­tés de richesse se creusent, entraî­nant la dégra­da­tion des condi­tions de vie des classes pauvres. Dans ce contexte, alors que des auteurs comme Ferdinand Tönnies (Communauté et Société, 1887) ou Georg Simmel (Philosophie de l’argent, 1900) s’intéressent à ce qu’une civi­li­sa­tion méca­nique féti­chi­sant l’argent fait aux rap­ports humains (voire à l’« âme » humaine), la cri­tique majo­ri­taire à l’époque reste por­tée par la social-démo­cra­tie d’inspiration mar­xiste, dont Karl Kautsky est l’idéologue prin­ci­pal. Interprétation clé en main du mar­xisme (en dépit de la cri­tique interne éma­nant du cou­rant révi­sion­niste por­té par Eduard Bernstein), le pro­gramme socia­liste pro­pose à ses adhé­rents une vision du monde fon­dée sur l’antagonisme de classes et l’approfondissement his­to­rique des contra­dic­tions du capi­ta­lisme sous l’effet du déve­lop­pe­ment des moyens de pro­duc­tion.

Face à cette stra­té­gie d’attente (la révo­lu­tion n’adviendra que lorsque les condi­tions sociales et éco­no­miques seront mûres, tous les tra­vailleurs se tenant alors en masse sur la même ligne de front), Landauer n’a pas de mots assez durs. On pour­rait se conten­ter ici de quelques-unes de ses plus cin­glantes impré­ca­tions et rejouer le vieux motif de l’opposition entre anar­chisme et mar­xisme. Le mar­xisme serait, dit-il, « le sens phi­lis­tin éri­gé en sys­tème », la « peste de notre temps » et la « malé­dic­tion du mou­ve­ment socia­liste ». Ou encore la « fleur de papier sur la ronce ado­rée du capi­ta­lisme ». Marx lui-même ne sort pas indemne de tels feux, tan­cé pour sa fas­ci­na­tion à l’égard du pro­grès tech­nique : « Les vieilles femmes pro­phé­tisent à par­tir du marc de café. Karl Marx pro­phé­ti­sait à par­tir de la vapeur. » Mais il y a plus. En réa­li­té, expri­mer ce que le socia­lisme ne devrait pas être per­met à Landauer de pré­ci­ser sa propre concep­tion. Il ne s’agira cer­tai­ne­ment pas, comme dans les théo­ries des stades de l’Histoire, de s’en remettre à un quel­conque déter­mi­nisme lais­sant libre cours à la des­truc­tion des ves­tiges du pas­sé sous le rou­leau com­pres­seur du pro­grès des forces pro­duc­tives. Comme si, par une magie quel­conque, devait se for­mer ain­si la base maté­rielle du socia­lisme. À l’inverse, montre Landauer, un mou­ve­ment pro­fon­dé­ment sou­cieux du sort des tra­vailleurs devrait les exhor­ter non pas à s’immerger plus avant encore dans l’antagonisme de classes (en deman­dant des droits, de meilleurs salaires, des condi­tions de tra­vail pro­té­gées par l’État social), mais bel et bien à ces­ser de se pen­ser et de se vivre seule­ment en tant que tra­vailleurs.

On touche ici au point le plus dif­fi­cile, et sans doute le plus pas­sion­nant, du dis­cours de Landauer : les luttes syn­di­cales, les reven­di­ca­tions qui s’y font jour, s’avèrent abso­lu­ment néces­saires et sont sou­vent défen­dues d’une façon héroïque émi­nem­ment res­pec­table, dit-il. Pourtant, « tout cela ne conduit jamais qu’à faire tour­ner en rond dans les cercles contrai­gnants du capi­ta­lisme ; cela ne peut jamais qu’approfondir le fonc­tion­ne­ment de la pro­duc­tion capi­ta­liste, jamais en faire sor­tir. » Actions syn­di­cales, grèves, mani­fes­ta­tions pour des hausses de salaire : tout cela peut être incar­né avec bra­voure par des tra­vailleurs, des délé­gués sin­cères et com­ba­tifs ou encore des « cols blancs » en voie de pré­ca­ri­sa­tion, dont le rôle au sein des ins­ti­tu­tions du capi­ta­lisme demeure tou­te­fois vil. À la lec­ture de tels déve­lop­pe­ments, il est dif­fi­cile de résis­ter à leur actua­li­sa­tion sau­vage, si l’on songe aux reven­di­ca­tions les plus com­munes du mou­ve­ment contre la réforme des retraites : taxa­tion des reve­nus finan­ciers, relance de l’emploi pour pré­ser­ver le « pou­voir d’achat », modi­fi­ca­tions du mode de coti­sa­tion. Le pro­blème, d’un point de vue lan­daue­rien, tient à ce qu’en fai­sant dépendre le finan­ce­ment des pen­sions de retraite sur les gains de pro­duc­ti­vi­té, on enté­rine l’aliénation sub­jec­tive, la dépos­ses­sion des métiers et la des­truc­tion des milieux néces­saires au déve­lop­pe­ment de la croissance5.

Éloge des syn­di­cats se por­tant au secours de l’État social, à l’intérieur du cadre. Mais appel réso­lu à sor­tir du cadre en sapant la sou­mis­sion aux idoles éco­no­miques, en pre­mier lieu le fétiche-argent, le « sens deve­nu insen­sé de notre vie ». Dans ces pages, Landauer semble arti­cu­ler avec une éton­nante acui­té un dis­cours que les théo­ri­ciens du cou­rant de la cri­tique de la valeur6 (Robert Kurz, Anselm Jappe) repren­dront à par­tir des années 1990, en pré­sen­tant quant à eux comme tout à fait nova­trice une lec­ture d’un Marx « éso­té­rique » (cri­tique du féti­chisme de la mar­chan­dise et de la for­ma­tion de la valeur par le tra­vail abs­trait) contre un Marx « exo­té­rique » (phi­lo­sophe déter­mi­niste des stades de l’Histoire et de la lutte des classes). Ce cou­rant cri­tique ne dit en effet pas autre chose : dans une socié­té capi­ta­liste plei­ne­ment déve­lop­pée, la lutte des classes ne se déroule pas entre une caté­go­rie d’individus pro­prié­taires du capi­tal et une autre située en dehors du capi­tal. En réa­li­té, le capi­tal devient un rap­port social dans lequel tout le monde ou presque par­ti­cipe de la trans­for­ma­tion glo­bale du tra­vail en argent, puis en capi­tal accu­mu­lé. Si les rôles sont dif­fé­rents, il n’y a pas, aux yeux de Kurz par exemple7, de dif­fé­rence fon­da­men­tale entre les capi­ta­listes, que Marx appelle les « sous-offi­ciers » du capi­tal, et les ouvriers, qui trouvent éga­le­ment leur inté­rêt à la repro­duc­tion de ce sys­tème.

Si Landauer appelle les pro­lé­taires de son temps à res­ter cohé­rents dans leurs reven­di­ca­tions pour de plus hauts salaires, c’est qu’il y voit une contra­dic­tion rela­ti­ve­ment à la cri­tique du capi­ta­lisme. Encore une fois, la lutte pour de meilleurs reve­nus, autre­ment dit pour un par­tage plus équi­table de la survaleur8, est tout à fait légi­time à l’intérieur du capi­ta­lisme. Néanmoins, elle ne conduit pas au-delà, pour la simple et bonne rai­son que les ouvriers qui récla­me­raient d’être mieux trai­tés en tant que pro­duc­teurs se vole­raient eux-mêmes en tant que consom­ma­teurs : la hausse des salaires entraî­ne­rait un ren­ché­ris­se­ment du prix des mar­chan­dises. En réa­li­té, seule la com­bi­nai­son d’une pres­sion syn­di­cale pour aug­men­ter les salaires et de grou­pe­ments de consom­ma­teurs réunis en coopé­ra­tives serait en mesure de mettre en dif­fi­cul­té le sys­tème capi­ta­liste. Comme Kropotkine avant lui9 mais sur des bases concep­tuelles dif­fé­rentes, mar­quées notam­ment par la volon­té de réadap­ter les ins­ti­tu­tions prou­dho­niennes (banque d’échange, cré­dit gra­tuit) à son époque, Landauer pense l’économie depuis la consom­ma­tion. Les com­mu­nau­tés doivent se res­sai­sir du sens de leur tra­vail (car pour l’auteur il n’est pas de socia­lisme conce­vable sans tra­vail, au sens de « faire avec les mains »), et le faire en fonc­tion de leurs besoins. Dans cette mesure, le mou­ve­ment des coopé­ra­tives a éga­le­ment pour charge d’amorcer un tour­nant cultu­rel en ne « tra­vaillant plus pour l’inauthentique, pour le pro­fit et son mar­ché, mais pour le besoin humain authen­tique, et lorsque la rela­tion authen­tique et sous-jacente entre besoin et tra­vail, la rela­tion entre la faim et les mains, est réta­blie ».

On lais­se­ra au lec­teur le soin de décou­vrir sur tous ces points des pages denses et com­plexes. Deux points cru­ciaux méritent néan­moins d’être sou­li­gnés. Par ce chan­ge­ment d’accent depuis la pro­duc­tion vers la consom­ma­tion, Landauer est conduit à révi­ser fon­da­men­ta­le­ment le sens attri­bué à la notion de capi­tal. Cessant de se loger dans la seule sphère de la pro­duc­tion, le capi­tal s’étend à la cir­cu­la­tion et à la consom­ma­tion. Il devrait ain­si lui-même consti­tuer l’esprit au sein duquel le tra­vail prend sens, au lieu d’être mécom­pris sous la forme d’un fétiche, le « fétiche-argent ». Dire cela, c’est pour Landauer repla­cer au centre du socia­lisme la ques­tion de la pos­ses­sion de la terre, en sub­sti­tuant le tra­vail dans la joie sur une terre nôtre à la contrainte au tra­vail sur une terre acca­pa­rée par un pro­prié­taire. Affirmation fon­da­men­tale, qui montre com­bien l’économie ne sau­rait se sous­traire sans funestes consé­quences à son fon­de­ment phy­sique (aux mor­ceaux de nature phy­sique rete­nus et pos­sé­dés en com­mun), au risque de se trans­for­mer en pure spé­cu­la­tion abs­traite, dépen­dante de néants que l’on prend pour des choses. La lutte pour le socia­lisme est donc lutte pour le fon­cier. Autrement dit, en des termes qui réac­tivent l’opposition tra­di­tion­nelle entre anar­chisme et mar­xisme sur la ques­tion pay­sanne, la ques­tion sociale est pour Landauer une ques­tion agraire. Au slo­gan de la révo­lu­tion mexi­caine — qu’il suit avec inté­rêt — « Terre et Liberté », le révo­lu­tion­naire alle­mand ajoute sa vision cultu­relle : « Terre et Esprit ! » sera le cri de ral­lie­ment socia­liste.

Il est par ailleurs clair qu’en ren­ver­sant le sens de l’économie et en repar­tant de la néces­si­té de tra­vailler pour des besoins, on se situe dans une pers­pec­tive qui n’a plus rien de pro­gres­siste, si l’on admet comme Landauer que cette « pour­suite neu­ras­thé­nique et essouf­flée du nou­veau pour le nou­veau » que consti­tue le pro­grès est le plus sûr indice de l’inculture qui se répand. Le socia­lisme ain­si pré­sen­té gar­de­ra alors néces­sai­re­ment ses dis­tances à l’égard du déve­lop­pe­ment tech­nique ser­vant une pro­duc­tion de masse sans fin assi­gnable, et sur­tout en grande par­tie inutile. En de remar­quables pas­sages, l’auteur montre à quel point la ratio­na­li­té capi­ta­liste du « tou­jours plus » se confond avec une ratio­na­li­té tech­nique qui culmine en un mons­trueux « auto-engen­dre­ment » de la tech­nique (on ne peut que son­ger à Jacques Ellul à la lec­ture de ces lignes) — enser­rant tout autant les ouvriers que les capi­ta­listes dans sa logique absurde. En ce sens, il n’est pro­ba­ble­ment pas erro­né de voir en Landauer un ins­pi­ra­teur pos­sible pour les thèses les plus radi­cales du cou­rant de la décroissance10.

L’Appel au socia­lisme doit en défi­ni­tive être lu comme un appel à com­men­cer le socia­lisme ici et main­te­nant, à la mesure des pos­si­bi­li­tés de cha­cun, et après s’être assu­ré aupa­ra­vant de l’égale prise de conscience, chez tous les indi­vi­dus concer­nés, de la néces­si­té de rompre avec le déclin cultu­rel et l’esclavage éco­no­mique. Face à l’attentisme mar­xiste, se mani­feste donc un socia­lisme de la volon­té, dont Landauer n’ignore en rien les dif­fi­cul­tés de mise en œuvre, tout en ne renon­çant jamais à l’idéal de trans­for­ma­tion sociale. À ses yeux, le socia­lisme est tout à la fois pos­sible et impos­sible par­tout et en toute époque. Il res­te­ra dans tous les cas impos­sible sans une réso­lu­tion de faire séces­sion, sur le mode de l’expérimentation. Landauer, auteur révo­lu­tion­naire s’il en est, n’attend rien des révo­lu­tion­naires pro­fes­sion­nels. Ce ne sont pas les révo­lu­tion­naires qui font les révo­lu­tions, mais les situa­tions cri­tiques. Lorsque des ins­ti­tu­tions dénuées d’esprit se voient ren­dues à leur ina­ni­té, alors seule­ment se forment des natu­rels révo­lu­tion­naires. Ainsi le socia­lisme cultu­rel et com­mu­nau­taire de Landauer est-il fon­dé sur la for­ma­tion de com­mu­nau­tés par la sépa­ra­tion, où seront ména­gés de nou­veaux rap­ports humains à l’opposé des méca­nismes d’aliénation capi­ta­liste, du cen­tra­lisme poli­tique et de la bureau­cra­tie.

Les coopé­ra­tives de consom­ma­tion fédé­rées, les expé­riences de mon­naie fon­dante pro­mues par l’économiste Silvio Gesell (bâties sur le prin­cipe d’une déva­lua­tion de l’argent dès lors qu’il ne cir­cule pas, afin d’éviter thé­sau­ri­sa­tion et spé­cu­la­tion), les banques d’échange, la reprise de terres pos­sé­dées en com­mun afin de tra­vailler en fonc­tion des besoins, par la sym­biose entre acti­vi­té indus­trielle et acti­vi­té agri­cole : tout un registre d’expérimentations sociales est concrè­te­ment pré­sen­té dans le texte prin­ci­pal de l’Appel et les trois tracts qui le suivent, afin de don­ner forme à une éco­no­mie morale plu­tôt que pure­ment mar­chande. Autrement dit, à un nou­vel esprit social. On pour­ra néan­moins se deman­der com­ment de tels rap­ports, noués dans la sépa­ra­tion à petite échelle, pour­raient avoir valeur d’exemple et faire retour vers de plus larges com­mu­nau­tés. Comment pour­raient-ils deve­nir les pre­mières pierres d’une « com­mune de com­munes de com­munes » au lieu de s’achever dans un repli indi­vi­dua­liste, à l’image de cer­taines ten­dances sur­vi­va­listes de notre époque ?

C’est à ce point que joue à plein la dimen­sion mys­tique (pui­sée chez Maître Eckhart) et inac­tuelle (au sens où elle se meut à contre­temps et contre son temps) de la pen­sée de Landauer. Si les implan­ta­tions com­mu­nau­taires doivent revê­tir une valeur d’exemple et pro­cu­rer un savoir qui « trans­porte avec lui l’envie, la pas­sion et l’imitation », c’est parce qu’en son fond, lorsqu’il s’est déta­ché de la gangue des ins­ti­tu­tions décli­nantes et du rôle qu’il est cen­sé jouer en leur sein (un rôle de rouage), l’individu se ral­lie à la com­mu­nau­té elle-même : « À par­tir du carac­tère humain de l’individu, l’humanité reçoit son exis­tence authen­tique, tout comme le carac­tère humain de l’individu sin­gu­lier n’est que l’héritage des lignées infi­nies du pas­sé et de toutes leurs rela­tions réci­proques. » Ce qui signi­fie, selon un énième para­doxe tem­po­rel, que le socia­lisme à venir ne sera jamais que la reprise dans la dif­fé­rence d’institutions com­mu­nau­taires anciennes (les com­mu­nau­tés de foi jurée du Moyen Âge, l’obsh­chi­na russe, la marche vil­la­geoise alle­mande, l’all­mend suisse11), ces mêmes ins­ti­tu­tions que la concep­tion maté­ria­liste de l’Histoire a sans cesse reje­tées comme des mani­fes­ta­tions d’arriération, au lieu d’y trou­ver les « germes et les cris­taux de vie de la culture socia­liste qui vient ».

Habitants des villes ou des cam­pagnes, tra­vailleurs de l’industrie ou pay­sans, artistes et intel­lec­tuels : à toutes celles et ceux qui déses­pèrent de ce monde-ci et du peuple, l’Appel au socia­lisme conti­nue de s’a­dres­ser. Ce texte majeur oscille entre la des­truc­tion de toute illu­sion conso­lante et un élan joyeux vers l’idéal d’une liber­té réa­li­sée en com­mun. En cer­tains pas­sages pro­vo­ca­teurs (rédi­gés dans une langue bio­lo­gi­sante dou­teuse), Landauer assume, dès 1911, que, par rap­port à d’autres époques his­to­riques, « nous sommes le peuple de la déca­dence, au sein duquel les pion­niers et les pré­cur­seurs sont dégoû­tés de la vio­lence imbé­cile, de l’abandon et de l’isolement infa­mants des êtres humains sin­gu­liers ». Mais, dans le même temps, à ce pro­fond déses­poir social et cultu­rel se mêle l’enthousiasme le plus exal­té pour les com­men­ce­ments qui, tou­jours petits au début, auront valeur de pré­cur­seurs et met­tront le plus de gens pos­sible en mou­ve­ment afin de vivre un autre genre de vie. Typique de ce balan­ce­ment, un pas­sage du texte laisse entendre que le com­men­ce­ment de l’humanité mon­dia­li­sée auquel assiste le révo­lu­tion­naire alle­mand pour­rait aus­si bien signer sa fin. À l’heure où les dis­cours sur l’effondrement ont le vent en poupe et pro­posent, majo­ri­tai­re­ment, d’apprendre à mou­rir à l’ère de l’Anthropocène (comme l’exprime le titre du best-sel­ler outre-Atlantique du vété­ran de la guerre d’Irak Roy Scranton12, l’Appel au socia­lisme se pose là encore en via­tique : si effec­ti­ve­ment « aucune époque n’a eu plus dan­ge­reu­se­ment sous les yeux ce que l’on se plaît à appe­ler la fin du monde », alors, montre Landauer, il faut rétor­quer que « nous ne le savons pas et pour cette rai­son, nous savons que l’essai est notre tâche ».

Ce que le tra­duc­teur Jean-Christophe Angaut a résu­mé ain­si dans un article récent pré­sen­tant le socia­lisme cultu­rel et com­mu­nau­taire de Landauer : « Dire qu’il n’y a rien à attendre de l’Histoire, ce n’est pas seule­ment révo­quer la ten­ta­tion de s’en remettre à l’Histoire, c’est aus­si ne pas abdi­quer devant le catas­tro­phisme ambiant13. »

Notes:

  1. que les édi­tions La Lenteur ont excel­lem­ment accom­pli à l’aide du tra­vail de Jean-Christophe Angaut et Anatole Lucet, assis­tés par Aurélien Berlan.↑
  2. Anatole Lucet, Communauté et Révolution chez Gustav Landauer, ENS de Lyon, 2018.↑
  3. On dis­po­sait ain­si, chez Sulliver, de l’essai La Révolution (1907) et de deux recueils parus aux édi­tions du Sandre, La Communauté par le retrait et Un appel aux poètes — ces der­niers ayant le mérite d’exister en dépit d’une tra­duc­tion très approxi­ma­tive. Surtout, récem­ment, un regain d’intérêt pour le par­cours et l’œuvre de Landauer s’est mani­fes­té par la paru­tion de l’excellent volume Gustav Landauer, un anar­chiste de l’envers, coédi­té en 2018 par les édi­tions de l’Éclat et la revue À contre­temps, qui mêlait études sur Landauer et tra­duc­tions ori­gi­nales magis­tra­le­ment menées par Gaël Cheptou.↑
  4. Un texte repro­duit en fin de volume dans la pré­sente édi­tion.↑
  5. Ce qu’avaient du reste déjà vu Matthieu Amiech et Julien Mattern lorsqu’ils écri­vaient en 2004 Le Cauchemar de Don Quichotte : un livre qui, dans ses grandes lignes, n’a mal­heu­reu­se­ment pas pris une ride.↑
  6. La cri­tique de la valeur, ou wert­kri­tik, entend aller au-delà de Marx en ce qui concerne la cri­tique de l’é­co­no­mie capi­ta­liste. Ce cou­rant consi­dère le capi­ta­lisme non plus seule­ment comme un rap­port social mais comme « une forme his­to­rique de féti­chisme ». L’acteur cen­tral du capi­ta­lisme y est le capi­tal lui-même (et non le pro­lé­ta­riat ou la bour­geoi­sie), que nos rap­ports sociaux ali­mentent. Il importe dès lors non plus de libé­rer le tra­vail du capi­tal, tenu pour un « fait social total », mais de se libé­rer du tra­vail [ndlr].↑
  7. Voir la tra­duc­tion récente de La Substance du capi­tal, L’Échappée, 2019.↑
  8. Ou plus-value [ndlr].↑
  9. Voir Pierre Kropotkine, Agissez par vous-mêmes, Nada, 2019.↑
  10. Voir le texte de pré­sen­ta­tion sur Landauer rédi­gé dans cette pers­pec­tive par Anatole Lucet, dans l’ouvrage Aux ori­gines de la décrois­sance, L’Échappée, Le pas de côté, Écosociété, 2017.↑
  11. Un « all­mend » désigne, pour la Suisse, une terre com­mu­nale, exploi­tée col­lec­ti­ve­ment par des pay­sans [Ndlr].↑
  12. Learning to Die in the Anthropocene : Reflections on the End of a Civilization, City Lights Publishers, 2016.↑
  13. Jean-Christophe Angaut, « Le socia­lisme cultu­rel et com­mu­nau­taire de Gustav Landauer », Actuel Marx, n° 66, août 2019, p. 114.↑

 

Gustav Landauer sur Résistance 71 :

Gustav Landauer et la société organique

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Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir !

Comprendre et transformer sa réalité, le texte:

Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »

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4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:

Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être

Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche

Manifeste pour la Société des Sociétés

Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie

 


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