
Italie 1919-20 occupation des usines
Les conseils ouvriers italiens (Turin, 1920)
Source: Matière et Révolution (2008)
http://www.matierevolution.fr/spip.php?article278
LES ORIGINES DES CONSEILS D’USINE
A Turin, le 27 octobre 1906 fut signé un contrat collectif de travail entre la F.I.O.M. (Fédération des Ouvriers de la Métallurgie) et l’usine automobile « Itala » qui instituait, pour trancher les éventuelles controverses sur l’application du contrat un organisme d’entreprise appelé : « Commission Interne » : organisme étroitement lié à la vie de l’entreprise composé d’ouvriers de l’usine et élu par le personnel ; la C.I. se plaçait donc dans une position autonome vis à vis des organisations horizontales et verticales du syndicat, même si quelquefois elle assumait un rôle encore plus collaborationniste que le syndicat lui-même.
Toutefois, c’est précisément la C.I. qui devait représenter la base organique sur laquelle se développera ensuite le Conseil d’usine.
Dans l’immédiat après-guerre, en août 1919, à Turin, dans le plus grand établissement de la Fiat, Fiat-Centre, la Commission Interne en fonction démissionne et le problème de sa réintégration se pose.
Au cours des discussions prévaut la proposition d’un élargissement de la dite Commission, réalisable à travers l’élection d’un commissaire pour chaque atelier. A la Fiat-Centre sont ainsi élus 42 commissaires correspondant aux 42 ateliers en activité. Ces 42 commissaires constituent le premier Conseil d’usine.
L’exemple est vite suivi à la Fiat-Brevets et dans toutes les autres usines de Turin. L’expérience des Conseils s’étend presque aussitôt à d’autres centres industriels, hors du Piémont.
A la mi-octobre 1919, à la première assemblée des Comités exécutifs des Conseils d’usine, sont représentés 30.000 ouvriers.
La rapide affirmation des Conseils ne s’explique cependant pas si l’on ne montre pas les principes fondamentaux sur lesquels ils reposent, c’est-à-dire la théorie qui s’échafaude autour d’eux : théorie non inventée par quelque fervent génie, mais germée sur le terrain même des faits comme nous le montrerons pas à pas.
Si, en fait, les Conseils étaient restés des « Commissions internes élargies » avec les mêmes fonctions de coopération et de concordat ils n’auraient pas pu constituer le plus efficient des instruments de classe dans cette période d’extrême tension révolutionnaire qui fut le premier après-guerre.
LA THEORIE DES CONSEILS
Schématiquement, la théorie des Conseils, qui fut élaborée par les groupes d’avant-garde du prolétariat turinois durant l’après-guerre, se fonde sur une série de thèses que l’on peut regrouper ainsi :
a) Le Conseil d’usine se forme et s’articule autour de toutes les structures complexes et vivantes de l’entreprise ; il en fouille les secrets, il en saisit les leviers et les équipements, il en enveloppe le squelette de son propre tissu. Il adhère intimement à la vie de l’établissement moderne, dans les plans et les méthodes, dans les procès de production, dans les multiples spécialisations du travail, dans la technique avancée d’organisation interne.
Par ces caractères qui lui viennent de son expression immédiate dans les secteurs-base de l’entreprise, atelier par atelier, et en plus des fonctions qui lui sont attribuées, le Conseil d’usine, à la différence des organisations syndicales, produit deux faits nouveaux d’une grande force révolutionnaire :
- En premier lieu : au lieu d’élever chez l’ouvrier la mentalité du salarié, il lui fait découvrir la conscience de producteur avec toutes les conséquences d’ordre pédagogique et psychologique que cette « découverte » comporte.
- En second lieu : le Conseil d’usine éduque et entraine l’ouvrier à la gestion, il lui donne une compétence de gestion, il lui donne jour après jour les éléments utiles à la conduite de l’entreprise. Conséquemment à ces deux faits nouveaux, même le plus modeste et le plus obscur travailleur comprend aussitôt que la conquête de l’usine n’est plus une chimère magique ou une hypothèse confuse mais le résultat de sa propre émancipation. Ainsi aux yeux des masses, l’expropriation perd ses contours mythiques, assume des linéaments précis et devient une évidence immédiate, une certitude précise en tant qu’application de leur capacité à s’autogouverner.
b) Les Conseils, à la différence des partis et des syndicats, ne sont pas des associations contractuelles ou au moins à tendances contractuelles mais plutôt des organisations naturelles, nécessaires et indivisibles.
Ce n’est pas un dirigeant ou une hiérarchie qui organise des individus grégaires dans un groupe politique déterminé ; dans les Conseils, l’organisation est ce même processus productif qui encadre fonctionnellement et organiquement tous les producteurs. Pour cela, les Conseils représentent le modèle d’une organisation unitaire des travailleurs, par delà leurs vues philosophiques ou religieuses particulières ; dans ce cas, l’unité est réelle parce qu’elle est le produit non d’une entente, d’un compromis, d’une combinaison mais d’une nécessité.
L’unité interne du Conseil d’usine est tellement forte qu’elle rompt et fond deux résistantes barrières de division entre les travailleurs : celle qui sépare les organisés des inorganisés et celle qui sépare les manuels des techniciens.
Dans le Conseil, chacun a sa place parce que le Conseil rassemble tout le monde, intéresse tout le monde jusqu’à ce qu’il s’identifie avec tout le personnel de l’usine.
C’est une organisation unitaire et générale des travailleurs de l’usine.
c) Les Conseils représentent la réelle préfiguration de la société socialiste ; le mouvement des Conseils constitue le processus de formation moléculaire de la société socialiste.
Ainsi l’avènement du socialisme n’est plus pensé comme une institution bureaucratique pyramidale mais comme une naissante et continuelle création de la base.
Les thèmes traditionnels de la rhétorique socialiste (et bolchévique en l’espèce) comme « conquête du pouvoir politique » ou « dictature du prolétariat » ou « État ouvrier » sont évidés de leur contenu mythique et remplacés par une vision moins formelle, moins mécanique et moins simpliste des problèmes révolutionnaires.
Dans la ligne des Conseils se trouve le réalisme révolutionnaire qui abat l’utopisme de propagande, qui ensevelit la « métaphysique du pouvoir ».
Et même quand dans certains groupes survit une nomenclature désormais inadéquate, c’est l’interprétation nouvelle, c’est la pratique nouvelle qui en rompt les schémas, les apriorismes, les fixations logiques et phraséologiques (et ce sont ces mêmes groupes d’éducation anarchiste qui en forcent la répudiation totale). C’est ainsi que les Conseils deviennent en même temps une expérience et un exemple, une enclave dans la société d’aujourd’hui et une semence de la société de demain.
d) Les Conseils, s’ils représentent sur le plan général de la stratégie révolutionnaire l’organisation générale, finale et permanente du socialisme (alors que le mouvement politique vaut seulement comme organisation particulière, instrumentale et contingente, « pour le socialisme »), constituent aussi sur le plan tactique une force complémentaire de masse, un instrument auxiliaire du mouvement politique.
Les Conseils possèdent en fait une grande potentialité offensive comme unités d’entreprises et développent en phase révolutionnaire la même fonction qu’accomplissent, durant une agitation, les commissions internes et les comités de grève.
D’autre part, en phase de repli et de résistance, les Conseils disposent d’une grande capacité de défense. La réaction, qui peut dissoudre sans trop de difficultés les partis et les syndicats, en fermant leurs sièges et en interdisant leurs réunions, se heurte, quand elle se trouve face aux Conseils, aux murs mêmes de l’usine, à l’organisation de l’établissement ; et ne peut les dissoudre sans abattre ces murs, sans dissoudre cette organisation. Les Conseils, sous des noms divers, ou même au stade semi-officiel, survivront toujours.

LE MOUVEMENT DES CONSEILS
Deux groupes politiques distincts contribuèrent à l’élaboration de la théorie des Conseils : un groupe de socialistes et un groupe d’anarchistes.
Aucun autre groupe politique ne fut présent dans le mouvement, même si tous les groupes politiques italiens s’intéressèrent au phénomène. Par contre furent présents de larges groupes de travailleurs sans parti, témoins du caractère d’unité prolétarienne du mouvement.
Le groupe socialiste se constitua dans les dernières années de la guerre autour du Grido del Popolo,feuille de la section turinoise du parti socialiste. La figure de premier plan était Antonio Gramsci, qui sera plus tard le leaderd’une des deux fractions qui concourront à la fondation du parti communiste d’Italie. Personnages de second plan : Tasca, Togliatti, Terracini et Viglongo.
Mais si tout ce groupe contribua à la fondation de l’hebdomadaire L’Ordine Nuovo,dont le premier numéro sortit le ler mai 1919, il n’y eut en fait que deux forces animatrices des Conseils du côté socialiste : d’une part l’esprit de Gramsci, de l’autre les groupes d’avant-garde, d’authentiques bien qu’obscurs ouvriers turinois. Et ces deux forces passeront sans tâches dans l’histoire et sauveront le nom des Conseils.
Du côté anarchiste, notons la collaboration assidue et qualifiée de Carlo Petri (pseudonyme de Pietro Mosso (3)) à L’Ordine Nuovo.Carlo Petri, assistant à la chaire de philosophie théorétique de l’Université de Turin est l’auteur d’un essai sur Le système Taylor et les Conseils des producteurs et d’autres écrits défendant le Communisme anarchiste.
Mais la contribution anarchiste se rencontre surtout dans le travail d’organisation pratique des Conseils effectué par deux anarchistes, ouvriers métallurgistes : Pietro Ferrero (4), secrétaire de la F.I.O.M., section turinoise et Maurizio Garino (5) (qui a donné un apport de souvenirs personnels et d’observations critiques à ces notes sur les Conseils), et par tout un groupe : le Groupe Libertaire Turinois (6), dont ils faisaient partie.
Le Groupe Libertaire Turinois s’était déjà distingué non seulement par sa présence dans les luttes ouvrières avant et pendant la guerre mais surtout par les lignes directrices qu’il avait données au problème de l’action des libertaires dans les syndicats. Ce groupe avait en fait soutenu la nécessité d’opérer dans les syndicats fussent-ils réformistes (et peuvent-ils ne pas l’être ? se demandait-il) afin de pouvoir y établir les plus larges contacts avec les masses laborieuses.
Sous cet aspect, la critique que L’Ordine Nuovo faisait à l’U.S.I. (organisation syndicaliste révolutionnaire) ne pouvait qu’être approuvée par ces anarchistes même si la forme de cette critique n’était pas la plus apte à convaincre les nombreux groupes d’ouvriers sincèrement révolutionnaires qui étaient à l’U.S.I.
Le Groupe Libertaire Turinois fut ainsi au centre des luttes de classes à Turin durant les quatre années de l’après-guerre et donna en la personne de Pietro Ferrero, assassiné par les fascistes le 18 décembre 1922, un de ses meilleurs militants à la résistance anti-fasciste. Nous verrons aussi plus loin quelle part notable eurent les anarchistes dans l’élaboration de la théorie des Conseils et quelles adjonctions théoriques ils apportèrent aux points énoncés au chapitre IV du présent essai.
[…]
LA CONTRIBUTION DES ANARCHISTES
La contribution des anarchistes à l’élaboration de la théorie des Conseils peut être résumée dans ces deux « adjonctions » théoriques essentielles :
a) Ce n’est que pendant une période révolutionnaire que les Conseils peuvent avoir une efficience révolutionnaire, qu’ils peuvent se constituer en outils valides pour la lutte des classes et non pour la collaboration de classes. En période contre-révolutionnaire les Conseils finissent par être « phagocités » par l’organisation capitaliste qui n’est pas toujours opposée à une cogestion morale de la part des travailleurs. C’est pourquoi avancer l’idée des Conseils dans une période contre-révolutionnaire signifie lancer des diversions inutiles et porter un préjudice grave à la formule même des Conseils d’usine en tant que mot d’ordre révolutionnaire.
b) Les Conseils résolvent à moitié le problème de l’État : ils exproprient l’État de ses fonctions sociales mais ils ne lèsent pas l’État dans ses fonctions antisociales ; ils réduisent l’État à un pléonasme mais ils n’éliminent pas ce pléonasme, ils vident l’appareil étatique de son contenu mais ils ne le détruisent pas. Mais puisqu’on ne peut vaincre l’État en l’ignorant, du fait qu’il peut faire sentir sa présence à tout moment en mettant en marche son mécanisme de contrainte et de sanction, il faut détruire aussi ce mécanisme. Les Conseils ne peuvent accomplir cette opération et pour cela ils demandent l’intervention d’une force politique organisée ; le mouvement spécifique de la classe, qui porte à terme une telle mission. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut éviter que le bourgeois, jeté à la porte dans ses vêtements d’industriel ne rentre par la fenêtre déguisé en policier.
La question soulevée dans la polémique entre L’Ordine Nuovo et le Soviet nous semble ainsi résolue. Les « ordinovistes » sous-évaluaient le problème de l’État dans le sens de son « isolement » (7) ; les « soviétistes » le sur-évaluaient dans le sens de son « occupation » ; les anarchistes le centraient correctement dans le sens de sa » liquidation » réalisée sur le terrain politique. Les occasions, les documents, les réunions dans lesquels les anarchistes répétèrent les thèses sur les Conseils, énoncées au chapitre IV, et complétèrent ces thèses avec les « additifs » résumés ci-dessus, furent multiples.
La première occasion fut offerte par le Congrès National de l’U.S.I. qui se tint à Parme en décembre 1919. Déjà avant le Congrès, dans Guerra di Classe (Guerre de Classe), l’organe de l’U.S.I., le problème des Conseils avait été examiné par Borghi, Garinei, et Giovannetti et l’Ordine Nuovo sous la plume de Togliatti (p.t.) avait souligné la méthode critique subtile avec laquelle avait été traitée la question dans ce journal.
Au Congrès de l’U.S.I., auquel les Conseils d’usine avaient envoyé leur adhésion et même un délégué, l’ouvrier Matta de Turin, on discuta longuement des Conseils en n’ayant cependant pas toujours une connaissance suffisante du sujet (ainsi les Conseils furent comparés au syndicalisme industriel des I.W.W. ; ce qui ne correspond pas à la réalité, même si théoriquement Gramsci reconnaissait avoir emprunté des idées au syndicaliste nord-américain De Leon) et avec l’intention de faire passer le mouvement des Conseils comme une reconnaissance implicite du syndicalisme révolutionnaire, alors que les Conseils en étaient au contraire une critique et un dépassement.
A la fin du Congrès, cette importante résolution dans laquelle sont condensées les observations positives du débat, fut approuvée :
« Le Congrès salue chaque pas en avant du prolétariat et des forces politiques vers la conception pure du socialisme niant toute capacité de démolition ou de reconstruction à l’institution historique, typique de la démocratie bourgeoise, qui est le parlement, coeur de l’État ;
« Considère la conception soviétiste de la reconstitution sociale comme antithétique de l’État et déclare que toute superposition à l’autonome et libre fonctionnement des soviets de toute la classe productrice, unie dans l’action défensive contre les menaces de la réaction et par les nécessités administratives de la future gestion sociale, sera considérée par le prolétariat comme un attentat au développement de la révolution et à l’avènement de l’égalité dans la liberté ;
« Déclare pour ces raisons toute sa sympathie et son encouragement à ces initiatives prolétariennes que sont les Conseils d’usine, qui tendent à transférer dans la masse ouvrière toutes les facultés d’initiative révolutionnaire et de reconstruction de la vie sociale, en mettant cependant bien en garde les travailleurs contre toutes déviations possibles et escamotages réformistes de la nature révolutionnaire de telles initiatives, contrevenant ainsi aux intentions d’avant-garde de la meilleure partie du prolétariat.
« Invite spécialement cette partie du prolétariat à considérer les nécessités de préparer les forces d’attaque révolutionnaire à l’affrontement de classes, sans quoi la prise en charge de la gestion sociale de la part du prolétariat ne sera pas possible » (8).
Le Congrès cerna ensuite dans ces termes les dangers de déviation contenus dans les Conseils d’usine :
a) « Les Conseils d’usine peuvent dégénérer en de simples commissions internes pour le bon fonctionnement de l’usine, pour l’augmentation de la production au profit de la bourgeoisie, pour dénouer les controverses internes ;
b) « On pourrait invertir la logique du processus révolutionnaire, et croire que l’anticipation des formes de la future gestion sociale suffise à faire tomber le régime actuel ;
c) « On pourrait oublier que l’usine appartient au patron parce qu’il y a l’État – le gendarme – qui la défend ;
d) « Il ne faudrait pas tomber dans l’erreur consistant à croire que la question de forme résoudra la question de la substance de la valeur idéale d’un mouvement déterminé ».
La discussion fut plus ample au sein de l’Union Anarchiste Italienne qui se préparait à tenir son Congrès National à Bologne du 1er au 4 juillet 1920.
Déjà dans la première moitié de juin, les camarades Ferrero et Garino avaient présenté la motion défendue auparavant à la Bourse du Travail de Turin, au Congrès anarchiste piémontais. Celui-ci l’approuva et délégua le camarade Garino pour la soutenir au Congrès national (9). Le 1er juillet parut dans Umanità Novaun long et exhaustif rapport du camarade Garino, dans lequel sont exposés les principes inspirateurs du mouvement et de l’action des Conseils (10). Au Congrès, le camarade Garino, sur la base du rapport déjà publié illustra la motion approuvée par le Congrès anarchiste piémontais. Après des interventions remarquables de Borghi, Sassi, Vella, Marzocchi, Fabbri, une résolution fut adoptée, qui malgré l’ingénuité de certaines expressions, reprend les thèmes essentiels de la motion de Turin.
En voici le texte :
« Le Congrès – tenant compte que les Conseils d’usine et d’atelier tirent leur importance principale du fait de l’imminente révolution et qu’ils pourront être les organes techniques de l’expropriation et de la nécessaire et immédiate continuation de la production, et sachant que tant que la société actuelle existera ils subiront l’influence modératrice et conciliatrice de celle-ci ; « Considère les Conseils d’usine comme étant des organes aptes à encadrer, en vue de la révolution, tous les producteurs manuels et intellectuels, sur le lieu même de leur travail, et en vue de réaliser les principes anarchistes-communistes. Les Conseils sont des organes absolument anti-étatiques et sont les noyaux possibles de la future gestion de la production industrielle et agricole ;
« Le considère en outre comme étant aptes à développer chez l’ouvrier salarié la conscience du producteur, et comme étant utiles à l’acheminement de la révolution en favorisant la transformation du mécontentement de la classe ouvrière et de la paysanerie en une claire volonté expropriatrice ;
« Invite donc les camarades à appuyer la formation des Conseils d’usine et à participer activement à leur développement pour les maintenir, aussi bien dans leur structure organique que dans leur fonctionnement, sur ces directives, en combattant toute tendance de déviation collaborationniste et en veillant à ce que tous les travailleurs de chaque usine participent à leur formation (qu’ils soient organisés ou non) ».
En outre, au Congrès de Bologne fut votée une seconde motion sur les Soviets qui réaffirmait selon des principes identiques l’impossibilité historique et politique d’expériences libertaires en phase de ressac contre-révolutionnaire.
Un autre document important se ressentant largement de l’influence des anarchistes est le manifeste lancé dans L’Ordine Nuovo du 27 mars 1920 (11) qui est adressé aux ouvriers et paysans d’Italie pour un Congrès national des Conseils et qui est signé par la rédaction du journal, par le Comité exécutif de la section turinoise du Parti Socialiste, par le Comité d’étude des Conseils d’usine turinois et par le Groupe Libertaire Turinois.
Mais le Congrès n’eut pas lieu car d’autres événements pressaient.
[…]

AUX OUVRIERS METALLURGISTES !
Errico Malatesta
Umanita Nova, 10 septembre 1920
Vous vous êtes emparés des usines, vous avez fait ainsi un pas important vers l’expropriation de la bourgeoisie et la mise à la disposition des travailleurs des moyens de production. Votre acte peut être, doit être le début de la transformation sociale. Le moment est plus propice que jamais. Le gouvernement est impuissant et n’ose vous attaquer. Tout le prolétariat, des villes et des campagnes, vous regarde avec une fébrile anxiété et est prêt à suivre votre exemple.
Si vous demeurez unis et fermes vous pourrez avoir fait la révolution sans qu’une goutte de sang ne soit versée. Mais pour que cela soit réalité, il faut que le gouvernement sente que vous êtes fermement décidés à résister en utilisant s’il le faut les moyens les plus extrêmes. Si au contraire il vous croit faibles et hésitants, il se tiendra sur ses gardes et tentera d’étouffer le mouvement en massacrant et en persécutant. Mais même si le gouvernement tente de réprimer, en particulier s’il essaie, tout le prolétariat s’insurgera pour vous défendre. Cependant un danger vous menace : celui des transactions et des concessions.
Sachant qu’ils ne peuvent vous attaquer de front, les industriels vont essayer de vous leurrer. Ne tombez pas dans le piège.
Le temps n’est plus aux pourparlers et aux pétitions. Vous jouez le tout pour le tout, tout comme les patrons. Pour faire échouer votre mouvement, les patrons sont capables de concéder tout ce que vous demandez. Et lorsque vous aurez renoncé à l’occupation des usines et qu’elles seront gardées par la police et l’armée, alors gare à vous !
Ne cédez donc pas. Vous avez les usines, défendez-les par tous les moyens.
Entrez en rapport d’usine à usine et avec les cheminots pour la fourniture des matières premières ; mettez-vous d’accord avec les coopératives et les gens. Vendez et échangez vos produits sans vous occuper des ex-patrons.
Il ne doit plus y avoir de patrons, et il n’y en aura plus, si vous le voulez.
SANS REPANDRE UNE SEULE GOUTTE DE SANG
Nous avons dit que la nouvelle méthode d’action révolutionnaire entreprise par les ouvriers métallurgistes de prendre possession des usines, si elle était suivie par toutes les autres catégories de travailleurs, de la terre, des mines, du bâtiment, du chemin de fer, des dépôts de marchandises de tout genre, des moulins, des fabriques de pâtes alimentaires, des magasins, des maisons, etc., amènerait la révolution, qui se ferait même sans répandre une seule goutte de sang. Et ce qui semblait être jusqu’à hier un rêve, commence aujourd’hui à être une chose possible, étant donné l’état d’âme du prolétariat et la rapidité par laquelle les initiatives révolutionnaires se propagent et s’intensifient.
Mais cet espoir que nous avons ne signifie pas que nous croyons au repentir des classes privilégiées et à la passivité du gouvernement. Nous ne croyons pas aux déclins paisibles. Nous connaissons toute la rancoeur et toute la férocité de la bourgeoisie et de son gouvernement. Nous savons qu’aujourd’hui, comme toujours, les privilégiés ne renoncent que s’ils sont obligés par la force ou par la peur de la force. Et si pour un instant nous pouvions l’oublier, la conduite quotidienne et les propos exprimés tous les jours par les industriels et par le gouvernement avec leurs gardes royales, leurs carabiniers, leurs sbires soudoyés en uniforme ou non, sont là pour nous le rappeler. Il y aurait là pour nous le rappeler, le sang des prolétaires, le sang de nos camarades assassinés.
Mais nous savons aussi que le plus violent des tyrans devient bon s’il a la sensation que les coups seront tous pour lui.
Voilà pourquoi nous recommandons aux travailleurs de se préparer à la lutte matérielle, de s’armer, de se montrer résolus à se défendre et à attaquer.
Le problème est, et reste, un problème de force.
La phrase sans une seule goutte de sang, prise au pied de la lettre, restera, malheureusement !, une façon de dire. Mais il est certain que plus les travailleurs seront armés, plus ils seront résolus à ne s’arrêter devant aucune extrémité, et moins la révolution répandra de sang.
Cette noble aspiration de ne pas répandre de sang ou d’en répandre le moins possible, doit servir comme encouragement à se préparer, à s’armer toujours plus. Parce que plus nous serons forts et moins de sang coulera.
[…]
= = =
Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir !
Comprendre et transformer sa réalité, le texte:
Paulo Freire, « La pédagogie des opprimés »
+
4 textes modernes complémentaires pour mieux comprendre et agir:
Guerre_de_Classe_Contre-les-guerres-de-l’avoir-la-guerre-de-l’être
Francis_Cousin_Bref_Maniffeste_pour _un_Futur_Proche
Manifeste pour la Société des Sociétés
Pierre_Clastres_Anthropologie_Politique_et_Resolution_Aporie
