Résistance politique: Prisonnier d’un seul monde (GAI Malatesta)

Une prise de position d’un groupe anarchiste italien qui est très intéressante en bien des points et que nous commentons là où nous le pensons nécessaire.

Voir en lecture complémentaire notre compilation “d’écrits choisis d’Errico Malatesta”.

~ Résistance 71 ~

 

Prisonnier d’un seul monde

 

Gruppo anarchico insurrezionalista « E. Malatesta »

1996

 

« Le fait est que l’État ne serait pas si maléfique si celui qui le désire pouvait l’ignorer et vivre sa vie à sa façon, à côté de ceux avec qu’il s’entend bien. Mais il a envahi toutes les fonctions de la vie sociale, domine tous les actes de notre vie et nous empêche même de nous défendre, lorsque nous sommes attaqués. Il faut le subir ou l’abattre. »

Errico Malatesta

Si nous n’étions pas profondément insatisfaits par ce monde, nous n’écririons pas dans ce journal, et vous ne liriez pas cet article. Cela est donc inutile d’employer davantage de mots pour réaffirmer notre aversion envers le pouvoir et ses expressions. Ce qui, en revanche, ne nous paraît pas inutile est d’essayer de comprendre si une révolte qui ne se pose pas ouvertement, résolument contre l’État et le pouvoir est-elle possible.

Cette question ne doit pas paraître bizarre. Il y a en effet des personnes qui ne voient, dans la lutte contre l’État, rien d’autre qu’une confirmation ultérieure de combien il a pu entrer à l’intérieur de nous-mêmes, au point de déterminer, même en négatif, nos actions. Avec son encombrante présence, l’État nous distrairait de celui qui devrait être notre véritable objectif : vivre notre vie à notre façon. Si on pense à abattre l’État, à l’entraver, à le combattre, on n’a pas le temps de réfléchir à ce que nous voulons faire. Au lieu d’essayer de réaliser nos désirs et nos rêves ici et maintenant, nous suivons l’État partout, devenons son ombre et repoussons à l’infini la concrétisation de nos projets. A force d’être antagonistes, d’être contre, on finit par ne plus être protagonistes, ne plus être pour quelque chose. Du coup, si on veut être soi-même, il faut arrêter de s’opposer à l’État et commencer à le considérer non plus avec hostilité, mais avec indifférence. 

(Note de R71: nous ne disons pas autre chose depuis des années et l’avons détaillé dans notre “Manifeste pour la société des sociétés”… Tout est basé sur un changement d’attitude d’abord individuel puis collectif vis à vis de l’Etat et de toute institution. Les associations libres confédérées lâchant prise de l’ancien, créent la nouvelle société sur la base résurgente de ce qui nous est commun et complémentaire…)

Plutôt que s’affairer à détruire son monde, le monde de l’autorité, il vaut mieux construire le notre, celui de la liberté. Il faut arrêter de penser à l’ennemi, à ce qu’il fait, où il se trouve, comment faire pour le frapper, afin de se consacrer à nous-mêmes, à notre « vécu quotidien », à nos rapports, à nos espaces qu’il faut élargir et améliorer de plus en plus. Sinon, on ne fera jamais rien d’autre que de suivre les échéances du pouvoir.

Aujourd’hui, de tels arguments foisonnent au sein du mouvement anarchiste, à la recherche perpétuelle de justifications déguisées en analyses théoriques, pour excuser sa propre inaction totale. Il y en a qui ne veulent rien faire parce que sceptiques, d’autres parce qu’ils ne veulent rien imposer à autrui, d’autres qui pensent que le pouvoir est trop fort pour eux et enfin d’autres qui ne veulent pas en suivre les rythmes et les temporalités ; tout prétexte est bon. Mais est ce que ces anarchistes ont-ils un rêve capable de leur enflammer le cœur ?

Pour débarrasser le camp de ces excuses minables, ce n’est pas inutile de rappeler deux-trois choses. Il n’y a pas deux mondes, le leur et le nôtre, et même si ces deux mondes existaient, ce qui serait absurde, comment pourraient-ils cohabiter ? Il y a un seul monde, le monde de l’autorité et de l’argent, de l’exploitation et de l’obéissance : le monde dans lequel nous sommes obligés de vivre. Il n’est pas possible d’en sortir.Voilà pourquoi on ne peut pas se permettre l’indifférence, voilà pourquoi on n’arrive pas à l’ignorer. Si on s’oppose à l’État, si on est toujours prêt à saisir l’occasion pour l’attaquer, cela n’est pas parce qu’on en est indirectement façonnés, cela n’est pas parce qu’on a sacrifié nos désirs sur l’autel de la révolution, mais parce que nos désirs seront irréalisables aussi longtemps que l’État existera, aussi longtemps qu’existera un quelconque pouvoir. 

Note de R71: là nous ne sommes pas d’accord avec la toute dernière partie de l’argument, pour la simple raison qu’il est impossible d’envisager la société humaine sans “pouvoir”, c’est à dire sans faculté, capacité décisionnaire, de prise de décision quant au « faire ».
Par contre, il y a deux formes de pouvoir: le pouvoir non-coercitif, celui qui a régi la société humaine pendant des centaines de milliers d’années et toujours aujourd’hui dans certaines communautés, fait de décision prise dans le consensus collectif d’une société non divisée politiquement où le pouvoir demeure dilué dans le corps social ; et le pouvoir coercitif suite à une scission créant le rapport dominant/dominé et qui voit le pouvoir sortir du corps social et être monopolisé par une caste de privilégiés. Ceux-ci pour conserver le pouvoir utilisent uns structure politique centralisée et bureaucratique, outil du maintien du consensus aristocratique voire oligarchique: l’État.

Si nous ne pouvons pas échapper à une de ces deux formes de pouvoir, nous pouvons choisir de maintenir le pouvoir intégré au corps social et à être non-coercitif, donc non répressif, donc non-étatique. La relation dominant/dominé, maître/sujet-esclave étant abolie, le capitalisme et tout mode de production similaire devient également impossible.

Ceci constitue l’avenir de l’humanité, le seul viable. Il suffit d’adapter notre vécu ancestral au monde moderne, ce n’est en rien une “utopie”, par contre penser pouvoir accommoder l’État et le capitalisme, les rendre plus vertueux et les faire agir pour le bien commun, ça, par contre… c’est une véritable utopie, un conte à dormir debout !

Il est important de bien réfléchir à cela…

La révolution ne nous détourne pas de nos désirs, mais au contraire elle est la seule possibilité qui donne les conditions pour leur réalisation. Nous voulons subvertir ce monde, le plus tôt possible, ici et maintenant, car c’est ici et maintenant qu’il y a casernes, tribunaux, banques, béton, supermarchés, taules. Ici et maintenant, il n’y a qu’exploitation. Tandis que la liberté, ce qu’on entend par liberté, elle n’existe pas du tout.

Ceci ne veut pas dire qu’on doit négliger la création d’espaces à nous où expérimenter les rapports que nous préférons. Il signifie simplement que ces espaces, ces relations, ne correspondent pas à la liberté absolue que nous voulons, pour nous ainsi que pour tout le monde. Ce sont un pas, un premier pas, mais pas le dernier, encore moins le pas définitif. Une liberté qui se termine sur le seuil de notre squat, de notre commune « libre », ne nous suffit pas, ne nous satisfait pas. Une telle liberté est illusoire car elle ne nous rendrait libres que de rester chez nous, de ne pas sortir des limites qu’on s’est données. Si on ne considère pas la nécessité d’attaquer l’État (et sur ce concept d’ « attaque » il y a aurait beaucoup à dire), au fond nous ne faisons que lui permettre de faire davantage et à jamais ce qui lui plaît, nous limitant à survivre dans la petite « île heureuse » qu’on se sera construite. Rester à distance de l’État signifie garder sa vie, l’affronter signifie vivre.

Dans l’indifférence envers l’État se trouve, implicitement, notre capitulation. C’est comme si on admettait que l’État est le plus fort, il est invincible, il est irrésistible, donc autant déposer les armes et penser à cultiver son jardin. Comment appeler cela révolte ? Il nous semble plutôt une attitude toute intérieure, limitée à une sorte de méfiance, d’incompatibilité et de désintérêt pour ce qui nous entoure. Mais dans une telle attitude demeure, implicitement, la résignation. Une résignation dédaigneuse, si l’on veut, mais toujours de la résignation.

Tel un boxeur sonné qui se limite à parer les coups, sans même essayer d’abattre l’adversaire, que pourtant il haït. Mais notre adversaire ne nous donne pas de répit. On ne peut pas descendre de ce ring et il continue à nous prendre pour cible. Il faut subir ou abattre l’adversaire : l’esquiver ou lui signifier notre mécontentement ne suffit pas.

= = =

Lectures complémentaires:

Ricardo_Flores_Magon_Textes_Choisis_1910-1916

Marshall-Sahlins-La-nature-humaine-une-illusion-occidentale-2008

James-C-Scott-Contre-le-Grain-une-histoire-profonde-des-premiers-etats

James_C_Scott_L’art_de_ne_pas_être_gouverné

Manifeste pour la Société des Sociétés

David Graber Fragments Anthropologiques pour Changer l’histoire de l’humanité

Entraide_Facteur_de_L’evolution_Kropotkine

Manifeste contre le travail

Un monde sans argent: le communisme

Que faire ?

Le_monde_nouveau_Pierre_Besnard

Appel au Socialisme Gustav Landauer

Errico_Malatesta_écrits_choisis

 

3 Réponses vers “Résistance politique: Prisonnier d’un seul monde (GAI Malatesta)”

  1. 1996…

    Pétard, j’ai parfois eu l’impression de me lire, surtout là : Avec son encombrante présence, l’État nous distrairait de celui qui devrait être notre véritable objectif : vivre notre vie à notre façon. Si on pense à abattre l’État, à l’entraver, à le combattre, on n’a pas le temps de réfléchir à ce que nous voulons faire. Au lieu d’essayer de réaliser nos désirs et nos rêves ici et maintenant, nous suivons l’État partout, devenons son ombre et repoussons à l’infini la concrétisation de nos projets. A force d’être antagonistes, d’être contre, on finit par ne plus être protagonistes, ne plus être pour quelque chose. Du coup, si on veut être soi-même, il faut arrêter de s’opposer à l’État et commencer à le considérer non plus avec hostilité, mais avec indifférence.

    C’est aussi ce qu’affirmait Vaneigem dans son style avec son « L’État n’est rien = Soyons TOUT ! »

    Vraiment y’a pas de hasard et c’est d’ailleurs ce que je disais quasi à l’instant à un intervenant sur mon blog…

    On s’est maintes fois dit, qu’il fallait arrêter de se préoccuper de choses auxquelles on ne peut rien et se concentrer sur les SOLUTIONS…

    Et donc, c’est la confirmation que notre démarche est et ne peut-être qu’anti-étatiste, antiauroritaire, égalitaire et communaliste (non pas communautariste) qui est le piège dans lequel l’oligarchie régnante veut nous faire tomber, nous les peuples…

    Et donc, une fois compris et intégré = on a vaincu cette foutue inertie de départ !

    Et ils le savent…

    Donc on lâche rien, c’est pas le moment !
    Comme je dis souvent, on se reposera quand on sera mort, et encore, c’est pas sur…

    😉

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