Réflexions (optimistes) sur l’histoire et son sens… (Howard Zinn)

Ce qui suit est la traduction par nos soins d’extraits de réflexions, d’interventions publiques et d’entretiens de l’historien américain Howard Zinn, publiés dans son livre “Failure to Quit, Reflections of an Optimistic Historian”, ouvrage paru en 1993 aux éditions CCP (Common Courage Press)

Nous laissons nos lecteurs absorber ces pertinentes réflexions d’un grand historien et nous nous éclipsons de nouveau jusqu’au 10 septembre prochain environ…

Les PDF à lire et partager sans modération

Bonne lecture et à bientôt !…

~ Résistance 71 ~

 

“Ne pas connaître l’histoire, c’est comme être né hier.”
 » On ne peut pas être neutre dans un train en marche. »
(Howard Zinn)

 

Quelques réflexions d’un historien optimiste (1972-1993)

 

Howard Zinn

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 (août 2017) ~

 

Extrait d’un entretien avec David Barsamian (DB), journaliste, hôte d’émission de radio alternative politique émettant depuis Boulder, Colorado, en 1992…

DB: Vous êtes très friand de citer souvent la fameuse phrase de George Orwell: “Qui contrôle le passé contrôle le futur. Qui contrôle le présent, contrôle le passé.”

HZ: […] Ce que je pense qu’Orwell veut dire est l’observation très importante que si vous pouvez contrôler l’histoire, le narratif, ce que les gens savent de l’histoire, si vous pouvez décider de ce qui sera (ou non) dans l’histoire des gens, alors vous pouvez ordonner leur façon de penser ; vous pouvez ordonner leurs valeurs. Vous pouvez de facto organiser les cerveaux en contrôlant la connaissance. Les gens qui peuvent faire cela, qui peuvent contrôler le passé sont de fait les gens qui contrôlent le présent. Les gens qui dominent les médias, qui font publier les livres scolaires et universitaires, qui décident de ce que sont et seront les idées dominantes de notre culture, ce qui sera dit et ce qui ne le sera pas.

DB: Qui sont-ils ? Qui sont ces “gardiens du passé” ? Pouvez commenter là-dessus…

HZ: Ils sont essentiellement riches et blancs. Parfois on réfère à l’histoire des riches hommes blancs. Il y a une histoire qui est faite, écrite par des hommes blancs riches. Non pas que les historiens soient riches et blancs, mais les gens qui font publier les livres le sont, les gens qui contrôlent les médias qui décident quel historien inviter sur les chaînes de grande écoute. Tous ces gens qui contrôlent les grands médias sont riches. […]

DB: Vous avez fait cet époustouflant commentaire disant que l’objectivité et l’érudition dans les médias et ailleurs ne sont pas seulement “dangereuses et trompeuses, mais qu’elles ne sont pas désirables”.

HZ: J’ai en fait dit deux choses à ce sujet que un, elles n’étaient pas possibles et deux elles n’étaient pas désirables.. Pas possible parce que toute l’histoire est une sélection d’un nombre infinis de faits. Dès que vous commencez à sélectionner, vous sélectionnez en rapport avec ce que vous croyez qui est important. Ce n’est déjà plus objectif. […]

Certaines personnes affirment être objectives. C’est la pire des choses à affirmer. Pourquoi ? Parce que vous ne pouvez pas l’être. […] Devant l’étendue des faits historiques, il n’est pas possible d’être objectif et quand bien même cela soit possible, ce n’est pas désirable. […] Nous devrions avoir l’histoire qui mette en valeur l’humain, les valeurs humaines et de fraternité, de paix, de justice et d’égalité. […]

DB: Comment filtrez-vous ces biais ? Le pouvez-vous ?

HZ: Comme je l’ai dit je possède mes propres penchants, ainsi si je parle ou écris quelque chose au sujet de Christophe Colomb, je vais essayer de ne pas cacher le fait que Colomb a fait une chose remarquable en traversant l’Atlantique et en s’aventurant dans des eaux et endroits inconnus. Cela demandait un grand courage physique à cette époque et de grandes qualités de marin et de navigation. L’évènement fut remarquable en bien des points. Je dois dire tout cela  afin de ne pas omettre ce que la plupart des gens voient de positif en Colomb, mais je dois aussi continuer pour dire et expliquer certaines choses à son propos qui sont bien plus importantes que ses qualités de marin, que le fait qu’il ait été très religieux. Je dois parler du traitement qu’il réserva aux gens qu’il trouva sur ce continent. La mise en esclavage, la torture, les exécutions, les assassinats gratuits, la déshumanisation de ces peuples. C’est aussi une chose très importante.

Il y a une façon très intéressante par laquelle vous pouvez formuler une phrase et qui va montrer ce sur quoi vous mettez plus d’importance et ceci aura deux résultats bien différents. Vous pouvez cadrer l’affaire Christophe Colomb de la façon dont l’a fait l’historien de Harvard Samuel Elliot Morison: Colomb a commis un génocide, mais c’était un marin extraordinaire. Il a accompli une chose absolument remarquable en trouvant ces îles de ce nouveau continent. Où est placée l’emphase ici ? Il a commis un génocide mais…. c’était un excellent marin. Moi je dis, il fut un bon marin, mais il a traité les autochtones avec la plus grande des cruautés et a commis un vaste génocide. Ceci représente deux façons bien différentes de narrer le même évènement. Tout dépend de quel côté du “mais” vous vous trouvez, vous montrez là votre penchant. Je pense qu’il est bon pour nous de mettre nos biais, nos penchants en direction d’une vision humaine de l’histoire.

DB: En plus d’annihiler la population indigène, les Européens ont dû mettre en place le marché des esclaves et amener des Africains pour travailler la terre.

HZ: Lorsque les Indiens furent décimés comme esclaves, c’est alors que le marché intercontinental prit place et qu’un autre génocide eut lieu, des dizaines de millions d’esclaves noirs furent amenés, mourant par millions dans le trajet au gré du temps, mourant aussi en grand nombre une fois à destination.

DB: Dans un article de l’intellectuel Alan Dershowitz, celui-ci parle de l’unicité de l’holocauste juif en termes de génocide, qu’il est la référence. Acceptez-vous cela ?

HZ: Chaque génocide est unique. Chaque génocide possède ses propres caractéristiques historiques. Mais je pense que c’est faux et nous devrions tous comprendre cela ; prendre un génocide et se concentrer dessus au prix de négliger les autres et agir comme s’il n’y avait eu qu’un seul grand génocide dans l’histoire du monde et que personne ne devrait rapporter les autres sous prétexte que c’est une pauvre analogie. […]

Il y a un point de vue qui perpétue une vision, une notion élitistes de l’histoire, l’idée que l’histoire est faite par le haut et que si nous voulons faire des changements, nous devons dépendre et faire confiance à nos présidents, à nos tribunaux, conseils d’état, notre congrès d’élus. Si l’histoire me montre quelque chose, c’est bien que nous ne pouvons en aucun cas dépendre de ces gens du haut de la pyramide pour qu’ils opèrent les changements nécessaires vers la justice, la paix ; non,  pour cela nous devons dépendre des mouvements sociaux, c’est ce que l’histoire nous enseigne.

Objections à l’objectivité (1989)

[…] Je ne pouvais possiblement pas étudier l’histoire de manière neutre. Pour moi, l’histoire a toujours été une bonne manière de comprendre et d’aider à changer ce qui n’allait pas dans le monde.

[…] Ainsi, le grand problème au sujet de l’honnêteté historique n’est pas le mensonge éhonté ; mais c’est l’omission ou la mise sous étiquette de trivialité de données importantes. Et là, de la définition du mot “important” va bien entendu dépendre des valeurs de chacun. […] Ainsi les historiens n’ont-ils pas été “objectifs” en regard de la guerre. […] Un bon nombre d’historien, dans l’atmosphère frigorifique de la guerre froide dans les années 1950, sélectionnèrent leurs faits historiques pour se conformer à la position du gouvernement.

[…] Ainsi, dans le cas des Etats-Unis, l’assassinat de plus d’un million de Vietnamiens et le sacrifice de la vie de 55 000 jeunes Américains furent perpétrés par des hommes hautement éduqués gravitant autour de la Maison Blanche, des gens qui auraient impressionné lors de l’examen du New York Times. Ce fut un Phi Beta Kappa McGeorge Blundy, qui fut un des chefs responsables du bombardement des civils en Asie du Sud-Est. Ce fut un professeur de Harvard, Henry Kissinger, qui fut le stratège derrière la guerre de bombardement secrète de pauvres villages paysans au Cambodge.

Arrières pensées sur le premier amendement de la constitution (1989)

Une des choses que j’ai vraiment tirée en lisant et étudiant l’histoire fut de commencer à être sérieusement désabusé par la notion de ce qu’est la démocratie. Plus je lis l’histoire, et plus il me semble que clairement quelque soit le progrès qui a été fait dans ce pays sur bien des points, quoi qu’il ait été fait pour le peuple, quelque droit qui ait été gagné, ceci n’a pas été fait par la délibération et la vision du congrès du peuple ni par la sagesse des différents présidents, ni des décisions ingénieuses de la Cour Suprême. Tout progrès accompli dans ce pays l’a été par les actions des gens ordinaires, par les citoyens, les mouvements sociaux. Pas de la Constitution…

En fait la constitution n’a eu aucune importance. Elle fut ignorée pendant plus d’un siècle. Le 14ème amendement (NdT: celui sur l’égalité des droits raciaux, qui n’existait pas dans la constitution originale puisque tous ceux qui l’ont écrite, à de très rares exceptions près, étaient blancs, riches et propriétaires d’esclaves…) n’a eu quasiment aucune signification jusqu’à ce que les noirs américains se soulèvent dans les années 1950 et 1960 dans le sud et créèrent des mouvements de masse dans les endroits les plus difficiles, plus durs, plus dangereux pour quiconque de se soulever, où que ce soit.

[…] En fait voilà ce qu’est la démocratie. C’est ce que des gens font au nom de besoins humains en dehors, parfois même contre la loi, même contre la constitution. Lorsque la constitution était en faveur de l’esclavage, les gens durent aller non seulement contre la loi mais aussi contre la constitution elle-même dans les années 1850 lorsqu’ils pratiquaient toute cette désobéissance civile contre la loi sur les esclaves fugitifs. Les gens doivent créer le désordre, ce qui va à l’encontre de ce qu’on nous a appris au sujet de la loi et de l’ordre dans la société  car “vous devez obéir à la loi” et “force reste à la loi”. Obéissez à la loi, obéissez à la loi. C’est une merveilleuse façon de contenir les choses n’est-ce pas ?…

[…] Au sujet de la liberté de parole (1er amendement de la constitution américaine), où allez-vous obtenir votre information ? Le gouvernement vous ment. Il dissimule l’information, la maquille, vous induit en erreur. Vous devez toujours avoir quelque chose à dire. Vous devez avoir des sources indépendantes d’information (NdT: Zinn écrivait ceci en 1989, si l’internet existait, il n’en était qu’à ses balbutiements et n’avait pas l’audience d’aujourd’hui. L’info indépendante était très rare. L’internet est la presse de Gütemberg 2.0, une seconde révolution de l’information…)

Il y a encore beaucoup à faire pour parler, dire ce que nous pensons… Nous avons besoin d’une information. Les gens doivent savoir, s’informer. Les gens doivent répandre l’information. C’est un boulot qui doit nous engager individuellement, tous autant que nous sommes, quotidiennement et non pas seulement de temps en temps.

C’est çà le boulot de la démocratie.

A quel point l’enseignement supérieur est-il libre ? (1991)

[…] L’environnement de l’éducation supérieure est unique dans notre société. C’est la seule situation où un adulte, qu’on regarde comme un mentor, est seul avec un groupe de jeunes gens pour une période de temps établie, définie, agréée et peut assigner n’importe quelle lecture qu’il ou elle choisit aussi bien que de discuter avec ces jeunes gens de quelque sujet que ce soit sous le soleil. Il est vrai que le sujet peut être défini dans le cadre d’un curriculum, par le catalogue de la description du cours et des prérogatives éducatives, mais ceci est bien peu de chose comme obstacle pour un enseignant direct et imaginatif, spécifiquement en littérature, philosophie et en sciences sociales comme l’histoire, qui offrent des possibilités illimitées de discussions libres sur des sujets d’ordre politique et social. Pourtant, c’est exactement cette situation, dans les salles de classe de l’enseignement supérieur, qui effraie au plus haut point les gardiens, les cerbères du statu quo.

Et pourtant, lorsque les professeurs utilisent de facto cette liberté, introduisant de nouveaux sujets, de nouvelles lectures, des idées folles, défiant l’autorité, critiquant la “civilisation occidentale”, perturbant la classification des “grands livres de la littérature occidentale” comme établie par certaines autorités éducatives du passé, alors les “gardiens de la haute culture” auto-proclamés deviennent des chiens enragés.

[…] Lorsque j’ai enseigné l’histoire américaine, j’ai ignoré les canons de l’orthodoxie, ces livres dans lesquels les personnes héroïques étaient systématiquement les présidents, les généraux, les industriels, les grands entrepreneurs. Dans ces manuels, les guerres étaient traitées comme des problèmes de stratégie militaire et aucunement des problèmes moraux. Christophe Colomb, Andrew Jackson et Theodore Roosevelt étaient vus comme des héros de la “démocratie” en marche, sans un mot sur les objets de leur violence.

J’ai suggéré que l’on approche Colomb et Jackson du point de vue de leurs victimes, que nous regardions plus en détail la réussite magnifique du chemin de fer transcontinental du point de vue des ouvriers irlandais et chinois, qui moururent par milliers en le construisant.

Commettais-je alors ce terrible pêché qui fait bouillir les fondamentalistes d’aujourd’hui: “politiser le programme d’histoire ?..” Y a t’il un seul rendu d’une loi constitutionnelle, une seule narration d’un fait historique ayant trait aux Etats-Unis, qui puissent échapper à être vu depuis un angle politique ?

[…] Dans mon enseignement, je n’ai jamais caché mes vues politiques: mon dégoût de la guerre et du militarisme, ma colère contre l’inégalité raciale, ma croyance en un socialisme démocratique, en une distribution juste de la richesse du monde. Prétendre à une “objectivité” qui soit à la fois impossible et indésirable me semblait être malhonnête.

Je disais le plus clairement du monde au début de chaque cours que je donnerai mon point de vue sur le sujet que nous discuterions, que je serai le plus équitable possible avec les autres points de vue et que je respecterai au plus haut point le droit des élèves d’être en désaccord avec moi…

L’éducation supérieure, bien qu’ayant quelques privilèges spéciaux, est toujours bien entendu partie intégrante du système américain, qui est un système de contrôle ingénieux et très sophistiqué. Il n’est pas totalitaire ; ce qui permet toujours de l’appeler une “démocratie” est qu’il permet des fenêtres de liberté sur la base établie que rien ne mettra en danger la forme générale que prend le pouvoir et la richesse dans la société… Et oui, il y a en fait une certaine liberté d’expression dans le monde universitaire et académique. Comment puis-je à l’université de Boston ou Noam Chomsky au MIT ou David Montgomery à Yale, nier que nous avons plus de liberté à l’université que n’en aurions jamais eu dans le monde des affaires ou toute autre profession ? Mais ceux qui nous tolèrent savent très bien que nous sommes peu nombreux, que nos élèves aussi excité(e)s soient-ils/elles par les idées nouvelles, sortiront de l’université pour affronter un monde fait de pression et d’exhortations à la prudence. Ils savent aussi qu’ils peuvent nous citer comme des exemples de l’ouverture d’esprit du monde académique et du système à toutes les idées possibles.

[…] Ai-je eu une liberté d’expression dans mes salles de classes ? J’en ai eu une parce que j’ai suivi le précepte d’Aldous Huxley: “Les libertés ne sont pas données, elles sont saisies.”

Guerres justes et injustes (1991)

[…] Ce qui souvent se cache derrière cette affaire du “on ne peut rien faire au sujet de la guerre…” et du “la guerre, soyez réalistes, acceptez-la, essayez juste de rester en périphérie…” Le plus souvent, quelques minutes dans une discussion au sujet de la guerre ou d’une guerre, quelqu’un va dire: “de toute façon, c’est dans la nature humaine.” N’entendez-vous pas cela souvent ? Vous mettez un groupe de gens à parler de la guerre et à un moment donné, quelqu’un va dire: “c’est la nature humaine.” Il n’y a de fait absolument aucune preuve de cela. Il n’y a aucune évidence, aucune preuve génétique, pas de preuve biologique. Tout ce que nous avons ce sont des faits historiques et ceci n’est en rien la preuve d’une quelconque “nature humaine”, par contre c’est la preuve de circonstances.

Il n’y a pas de preuve biologique, génétique ni anthropologique. Quelle est la preuve anthropologique ? Vous étudiez ces “tribus primitives” comme les anthropologues les appellent, regardez ce qu’elles font et dites: “ah ! ces tribus sont féroces”, ou “ah ces tribus sont gentilles et pacifiques.” Rien n’est clair.

Et l’histoire alors ? Et bien il y a une histoire des guerres et il y a aussi une histoire de la gentillesse et de la compassion, de l’empathie.

[…] On n’a pas besoin d´étudier longtemps l’histoire des Etats-Unis pour voir et comprendre qu’elle est une longue histoire d’agression. De fait, une longe histoire d’agression ouverte et sans fioritures. […]

Christophe Colomb, les Indiens et le progrès humain de 1492 à 1992

George Orwell, qui était d’une grande sagesse, écrivit: “Qui contrôle le passé contrôle le futur et qui contrôle le présent contrôle le passé.” En d’autres termes, ceux qui dominent notre société sont en position de faire écrire nos histoires. Et s’ils peuvent faire cela, ils peuvent alors décider de nos futurs. Voilà pourquoi l’histoire, le narratif de l’affaire Christophe Colomb est très important.

Laissez-moi faire une confession. J’en savais très peu au sujet de Colomb jusqu’à il y a environ 12 ans quand j’ai commencé à écrire mon livre “Une histoire populaire des Etats-Unis de 1492 à nos jours”. J’avais un doctorat en histoire de l’université de Colombia, c’est à dire que j’avais l’entraînement et la formation adéquats d’un historien, mais ce que je savais de Colomb était grosso modo ce que je savais de lui depuis l’école primaire. Quand j’ai décidé d’écrire “Une histoire populaire des Etats-Unis de 1492 à nos jours”, j’ai aussi décidé d’en savoir plus sur lui. J’avais déjà conclus que je ne voulais pas écrire un survol de plus de l’histoire des Etats-Unis, je savais que mon angle d’approche serait différent. J’allais écrire au sujet des Etats-Unis depuis l’angle de vue de ces gens qui avaient été largement négligés par l’histoire classique et ses livres d’histoire: les indigènes de l’endroit, les esclaves africains importés, les femmes, les ouvriers et paysans, qu’ils soient natifs ou immigrants.

Je voulais raconter l’histoire du progrès industriel de la nation non pas du point de vue des Rockefeller, Carnegie et des Vanderbilt, mais du point de vue de ces gens qui travaillaient pour eux, dans leurs mines, dans leurs champs pétroliers et qui ont perdu leurs membres, leur santé ou leur vie en construisant leurs chemins de fer.

[…] Ainsi donc, comment devais-je raconter l’histoire de Colomb ? J’en conclus alors que je devais la raconter vue des yeux de ceux qui étaient là lorsqu’il arriva, ces gens qu’on appela “Indiens” parce qu’il croyait qu’il était en Asie.

[à lire pour plus de détails, notre traduction d’Howard Zinn: “Christophe Colomb et la civilisation occidentale” en deux parties, publiées en Septembre 2012 ~ https://resistance71.wordpress.com/2012/09/12/howard-zinn-ou-lhistoire-sous-bonne-influence-christophe-colomb-et-la-civilisation-occidentale1ere-partie/ )

[…] Les expéditions de Colomb ont-elles marqué la transition de la sauvagerie à la civilisation ? Quid de la civilisation amérindienne qui s’est construite au cours des millénaires avant l’arrivée de Colomb (NdT: dans la période dite “pré-colombienne”…) ? Las Casas et autres se sont émerveillés de l’esprit de partage et de générosité qui marqua les sociétés indiennes, les bâtiments communaux dans lesquels ils vivaient, leur sensibilité esthétique, l’égalitarisme notamment entre les hommes et les femmes.

Les colons britanniques d’Amérique du Nord furent stupéfaits du niveau de démocratie de la confédération des nations iroquoises, qui occupaient les terres de ce qui est aujourd’hui les états de New York et de Pennsylvanie, (NdT: l’Ontario et le Québec dans leurs parties aujourd’hui canadiennes). L’historien américain Gary Nash décrit la culture iroquoise: “Pas de lois ni de décrets ni d’ordonnances, pas de sheriffs ni de policiers, pas de juges no de jurés, pas de tribunaux ni de prisons, cet appareil autoritaire des sociétés européennes, ne pouvaient être trouvés dans les forêts du nord-est avant l’arrivée des Européens. Et pourtant, des limites de comportement acceptable étaient bien établies. Bien qu’étant très fiers de l’autonomie individuelle, les Iroquois maintenaient néanmoins un strict sens du bon et du mauvais…

Au cours de son expansion territoriale vers l’Ouest, la nouvelle nation des Etats-Unis vola les terres indiennes, massacra les indigènes lorsqu’ils résistèrent, détruisit leurs ressources en nourriture et leurs abris, les poussa dans des sections territoriales de plus en plus petites et organisa la destruction systémique de la société indienne.

[…] Ainsi, regarder le passé et Colomb de manière critique, c’est lever toutes ces questions au sujet du progrès, de la civilisation, de nos relations les uns avec les autres, de notre relation avec le monde naturel.

Vous avez probablement déjà entendu, comme cela m’est souvent arrivé, qu’il est en fait mal pour nous de traiter l’histoire de Colomb de la façon dont nous le faisons. Ce qu’ils nous disent en substance est ceci: “Vous prenez Colomb hors de son contexte, vous le regardez et l’analysez avec vos yeux et votre pensée du XXème siècle. Vous ne devez pas superposer les valeurs de notre temps sur des évènements qui ont eu lieu il y a plus de 500 ans. C’est a-historique.

Je trouve cet argument bizarroïde. Veut-il dire que la cruauté, l’exploitation, la veulerie, la mise en esclavage, la violence systémique contre des peuples sans défense ou presque, sont des valeurs péculières au XVème et XVIème siècles ? Que nous au XXème siècle sommes bien au-delà de tout çà ?… N’y a t’il pas certaines valeurs qui sont communes de l’époque de Colomb et de la nôtre ? La preuve de cela est que de son temps comme du nôtre, il y a eu des esclavagistes, des exploiteurs, de son temps comme du nôtre, il y a aussi eu ceux qui ont protesté contre ces ignominies, au nom de la dignité et des droits humains.

[…] Nous devons faire tout ce que nous pouvons pour regarder le monde et son histoire d’un autre point de vue que celui sans cesse proposé. Nous devons le faire si nous voulons ce nouveau siècle qui vient être différent, si nous ne voulons pas qu’il soit un siècle américain, ou un siècle occidental ou un siècle blanc, ou un siècle mâle ou celui de quelque nation ou quelque groupe que ce soit, mais enfin un siècle de l’humanité.

Refus d’abandonner (1990)

Je peux comprendre le pessimisme, mais je n’y crois pas. Ce n’est pas simplement une affaire de croyance, mais de preuve historique. Juste suffisamment pour donner espoir, car pour l’espoir nous n’avons pas besoin de certitude mais seulement de possibilité.

[…] Il est certain que l’histoire ne recommence pas avec chaque décennie qui passe. Les racines d’une ère poussent et fleurissent dans des ères subséquentes. Des êtres humains, des écrits, des transmissions invisibles de toutes sortes, portent des messages au travers des générations. J’essaie d’être pessimiste pour faire comme certains de mes amis. Mais je pense aux décennnies passées et regarde autour de moi et là il m’apparaît que si le futur n’est pas certain, il est néanmoins possible.

= = =

Repose en paix Howard Zinn, grand historien de notre temps, ton héritage de pensée critique et humaniste est intarissable. 

Résistance 71

“Ce que l’histoire révisionniste nous enseigne est que notre inertie de citoyens à abandonner le pouvoir politique à une élite a coûté au monde environ 200 millions de vies humaines entre 1820 et 1975. Ajoutons à cela la misère non dite des camps de concentration, des prisonniers politiques, de l’oppression et de l’élimination de ceux qui essaient de faire parvenir la vérité en pleine lumière… Arrêtons le cercle infernal du pillage et des récompenses immorales et les structures élitistes s’effondreront. Mais pas avant que le majorité d’entre nous trouve le courage moral et la force intérieure de rejeter le jeu frauduleux qu’on nous fait jouer et de le remplacer par les associations volontaires ou des sociétés décentralisées, ne s’arrêteront le pillage et le massacre.”

~ Antony Sutton, historien, et professeur de sciences politiques, Stanford U, 1977 ~

16 Réponses vers “Réflexions (optimistes) sur l’histoire et son sens… (Howard Zinn)”

  1. Ma-gni-fique !
    Et la conclusion de Sutton…
    Zinn, par ses propos, introduit les travaux de recherche de Marylène Patou-Mathis ; Docteur en préhistoire, directrice de recherche au CNRS, vice-présidente du conseil scientifique du Muséum national d’histoire naturelle à Paris. Elle est paléontologue spécialiste du Paléolithique Moyen et de l’homme de Néanderthal. Elle est l’auteure d’un ouvrage de référence sur celui-ci : “Néanderthal, une autre humanité”, Perrin, 2006, réédition 2011, ouvrage qui a battu en brèche tous les préjugés tenus sur notre ancêtre néandertalien, elle a publié 4 autres ouvrages.

    Qui ont absolument confirmé que l’homme n’est pas un loup pour l’homme et qu’il ne descend nullement d’un singe tueur et que, contrairement à ce que les zélites veulent nous faire croire (pour justifier la guerre perpétuelle) la violence, la guerre, n’est pas dans nos gènes… Pas du tout !
    Je vais le maturer celui-ci pour le relayer de la manière la plus complète possible.
    Zinn dit un truc capital à mon sens ; Il y a encore beaucoup à faire pour parler, dire ce que nous pensons… Nous avons besoin d’une information. Les gens doivent savoir, s’informer. Les gens doivent répandre l’information. C’est un boulot qui doit nous engager individuellement, tous autant que nous sommes, quotidiennement et non pas seulement de temps en temps. C’est çà le boulot de la démocratie.
    =*=
    Et c’est, tout comme vous je crois, très exactement ce que je pense et c’est ce qui m’a poussée, physiquement, intellectuellement, à sauter le pas en créant mon propre blog.

    Sur la référence à Patou-Mathis, grâce à vous en juillet 2016 dans mon blog ► https://jbl1960blog.wordpress.com/2016/07/17/faire-appel-a-nos-plus-bas-instincts-primaires/

    Et déjà, j’avais mis le lien vers le PDF de l’Entraide, un facteur d’évolution de Pierre Kropotkine source fichier-pdf.fr.

    Oui, l’Internet est notre presse Gutenberg 2.0 ne l’oublions jamais, car ils le savent qu’ils font tout pour nous en limiter l’accès et nous y fliquer à donf !

    Merci, A+ Jo

  2. Zinn et Sutton se répondent totalement, c’est pourquoi votre conclusion claque vraiment !

    Lorsque j’ai présenté les 3 PDF de Sutton que j’ai réalisés à votre demande, je suis allée chercher Howard Zinn : On ne peut pas rester neutre dans un train en marche ! Qui dans « Qu’est-ce que l’histoire radicale ? » en 1970 écrivait ceci : Plus l’éducation est répandue dans une société, plus la mystification pour cacher ce qui ne va pas doit être importante ; la religion, l’école et l’écriture travaillent ensemble à cet effet. Ceci n’est pas une conspiration à l’œuvre, les privilégiés de la société sont aussi victimes de la mythologie ambiante que les enseignants, les prêtres et les journalistes qui la diffusent. Tous ne font que ce qui vient naturellement et ce qui vient naturellement est de dire ce qui a toujours été dit et de croire ce qui a toujours été cru.

    Aussi, bien avec Zinn ici, qu’avec Sutton là ► https://jbl1960blog.wordpress.com/2017/04/23/pr-antony-c-sutton-en-francais-par-resistance71-versions-pdf-par-jbl1960/ Par leurs écrits, publications, conférences et interventions nous pouvons dédire ce qui a toujours été dit pour et ne plus croire ce qui a toujours été cru…

    • Absolument !… Les 2 font la paire..
      Attention à une chose, tout ce qui est dit dans la doua du système n’est pas que conneries, autrement ce serait déjà fin de partie… Ils sont obligés de dire certaines vérités, prises sous un angle porteur, et de là broder les fadaises, ce qui les rend plus crédibles et difficile à critiquer en superficie…
      C’est aussi pour ça qu’on a insisté sur la partie où Zinn explique la différence entre les angles narratifs d’une même histoire, d’un même évènement, son exemple de Colomb et la différence entre le narratif de Morison et le sien est excellent, car c’est exactement de cela qu’il s’agit. En France Annie Lacroix-Riz, l’historienne marxiste, l’a aussi très bien expliqué. C’est son (très) bon côté…

        • Une chose qu’il faut rappeler parce que tu mentionnes Sutton, nous l’avons déjà dit ici et ailleurs, mais Sutton est un cas emblématique, car si Zinn a toujours été socialiste (dans le sens anar et non pas libéral d7aujourd’hui…), Sutton lui était un conservateur bon teint, issus de la société bien pensante britannique, fraîchement diplômé d’une bonne université anglaise, il arrive aux States et c’est en bossant au Hoover Institute de l’u de Stanford, pas vraiment un nid d’anars là-bas, qu’il tombe sur de la doc durant ses recherches, doc dont il a accès car nul ne peut soupçonner, pas même lui, qu’il va basculer et dénoncer les mensonges et les supercheries, complicités de l’oligarchie avec les pires dictateurs. Il faut dire que c’est au Hoover Institute que sont conserver toutes les archives microfilmées du procès de Nuremberg !… Il a accès à des tonnes de documents inédits…
          Suite à ses recherches et la publication de sa trilogie historique (en tous points) sur Wall Street et la révolution bolchévique, sur la montée d’Hitler et sur Franklin Delano Roosevelt et sa politique du New Deal, il est viré et devient un paria de l’establishment et de l’intelligentsia de l’époque (fin des années 70 et années 80).
          La citation que nous avons utilisé est pour nous exemplaire, car Sutton, de conservateur honnête se posant des questions et allant au bout de son honnêteté intellectuelle et d’historien, conclut dans ce dernier paragraphe de sa conclusion de Wall Street et la Montée d’Hitler, que seule un monde des associations libres (anarchiste, même s’il ne prononce pas ce mot, sa description est sans équivoque…) pourra venir à bout des turpitudes oligarchiques. Sutton au bout de son parcours de recherche atteint un « nirvana » politique… Grandiose ! On ne s’en lasse pas de le citer !… 😉

  3. On le met ici parce qu’avec Zinn, il est très bien…
    Excellent entretien de plus de 2 heures d’Etienne Chouard sur ThinkerView. Un Chouard qui parle de plus en plus d’anarchie, se qualifie lui-même d’anarchiste à un moment de l’entretien. Il est maintenant plus explicite pour situer son concept de « citoyen constituant » et définit plus une société fédéraliste de style proudhonien, tout en restant malgré tout réformiste sur des questions essentielles comme la question « monétaire »… Nous sommes plus radicaux que lui, mais il y vient gentiment… 😉
    Très bon entretien avec un hôte en « off » aux questions pertinentes et parfois truculentes.
    1000 fois mieux que de se vautrer devant la télé…
    A voir et diffuser sans aucune modération…

    https://thinkerview.com/etienne-chouard/

  4. Tenez, en traduisant cet article de Mohawk Nation News ► https://jbl1960blog.wordpress.com/2017/09/01/minorite-blanche-par-mohawk-nation-news-traduction-analyse-de-jbl1960/

    Dans lequel j’ai intégré le lien vers le dernier Kunstler et le dernier PCR, et pour démonter leur rêve américain, j’ai fait appel aussi bien à MNN, qu’à Newcomb qu’à Zinn l’entretien de 2002 à Boulder Colorado que vous aviez traduit par extraits en 2014 et qui est, comme toujours, éclairant !
    Bien sûr, j’ai intégré la petite précision sur le « peach stone game » le « 421 » iroquois et ancêtre du casino pourrait on dire.
    Jo

  5. J’ai traduit la vidéo du Dr. Ashraf Ezzat « L’histoire de Joseph est un ancien conte populaire arabe » ► https://jbl1960blog.wordpress.com/2017/09/03/lhistoire-de-joseph-est-un-ancien-conte-populaire-arabe-video-da-ezzat-traduit-en-francais-par-jbl1960/

    En lien, ma traduction d’hier, d’Ezzat en quelle langue Dieu a t-il écrit les 10 commandements ?

    J’en ai bavé des ronds de chapeau, quand même !
    Hi hi…
    Mais quel bonheur !
    Jo

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