Le changement organisationnel politique passe par balayer les vieux poncifs…

Ceci fut écrit par Bookchin en 1971… Une lucidité commandant le respect sachant qu’il fut lui-même un marxiste sclérosé…

— Résistance 71 —

 

Les limites historiques du marxisme

Murray Bookchin

De “Post Scarcity Anarchism” (1971)

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

Mai 2016

L’idée qu’un homme, dont les plus grandes contributions théoriques furent faites entre 1840 et 1880, puisse “prévoir” la dialectique complète du capitalisme est, quand on y réfléchit bien, absolument irraisonnée. Si nous pouvons toujours apprendre certaines choses des analyses de Marx, on peut apprendre encore plus des erreurs inévitables d’un homme qui fut limité dans une ère de scarcité matérielle et une technologique qui utilisa à peine l’électricité. Nous pouvons apprendre comment notre propre époque est différente de celle de l’histoire passée, comment les potentialités que nous confrontons sont qualitativement nouvelles, comment uniques sont les problèmes, les analyses et la praxis auxquels nous devons faire face si nous voulons réellement faire une révolution et non pas un nouvel avortement historique.

Le problème ne réside pas dans le fait que le marxisme est une “méthode” qui doit être réappliquée à de “nouvelles situations” ou que le “néo-marxisme” doit se développer pour dépasser les limites du “marxisme classique”. La tentative de sauver le pédigré du marxisme en insistant sur la méthode plutôt que sur le système ou en ajoutant le préfixe “néo” à un mot sacré, est une véritable mystification si toutes les conclusions pratiques du système contredisent platement ces efforts. Et pourtant, ceci est exactement la situation dans laquelle l’exégèse marxienne se trouve aujourd’hui. Les marxistes s’appuient sur le fait que le système fournit une brillante interprétation du passé tout en ignorant volontairement ses caractéristiques menant finalement à faire fausse route en ce qui concerne à la fois le présent et le futur.

Ils citent la cohérence que le matérialisme historique et l’analyse de classe donnent à l’interprétation de l’histoire, la vision économique du capital amène au développement industriel du capitalisme et la brillance de Marx dans son analyse des révolutions précédentes, couplée aux conclusions tactiques qu’il a établies, le tout sans jamais reconnaître que qualitativement, de nouveaux problèmes sont apparus qui n’ont jamais existé jusqu’à ce jour. Est-ce bien concevable que les problèmes historiques et les méthodes d’analyse de classe fondés entièrement sur une rareté/scarcité inévitable puissent être transposés dans une nouvelle ère d’abondance potentielle ? Est-ce concevable qu’une analyse économique focalisée principalement sur un système de “concurrence libre” du capitalisme industriel puisse être transféré à un système de capitalisme géré, où l’État et les monopoles se combinent pour manipuler la vie économique ? Est-il concevable qu’un répertoire stratégique et tactique formulé dans une période où le charbon et l’acier constituaient la base fondamentale de la technologie industrielle, puisse être transféré dans un âge basé sur des sources d’énergie radicalement nouvelles, sur l’électronique, sur la cybernétique ?

En résultat de ce transfert, un corps théorique qui était libérateur il y a un siècle, devient une camisole de nos jours. On nous demande de nous concentrer sur la classe ouvrière comme étant “l’agent” du changement révolutionnaire dans une époque où le capitalisme est visiblement en train d’antagoniser et virtuellement produit des révolutionnaires depuis toutes les strates de la société, particulièrement dans la jeunesse. On nous demande de guider nos méthodes tactiques par la vision d’une “crise économique chronique” malgré le fait qu’aucune crise de la sorte ne s’est produite ces trente dernières années. On nous demande d’accepter une “dictature du prolétariat”, cette longue “période de transition” dont la fonction n’est pas de se débarrasser de la contre-révolution, mais avant tout de développer une technologie de l’abondance, dans une période où une technologie de l’abondace se présente quoi qu’il en soit. On nous demande d’orienter nos “stratégies” et nos “tactiques” autour de la pauvreté et de l’appauvrissement économique dans une période où le sentiment révolutionnaire est généré par la banalité de la vie dans des conditions d’abondance matérielle. On nous demande d’établir des partis politiques, des organisations centralisées, des “hiérarchies révolutionnairs” et des “élites” ainsi qu’un nouvel état dans une période où les institutions politiques en tant que telles pourissent et alors que le centralisme, l’élitisme et l’État lui-même sont sévèrement questionnés et remis en cause et ce à une échelle encore jamais vue dans l’histoire des sociétés hiérarchisées.

En bref, on nous demande de retourner dans le passé, de nous contracter au lieu de nous étendre, de forcer la réalité probante de notre époque avec ses espoirs et ses promesses, dans les préconceptions mortifères d’un âge révolu.

On nous demande de fonctionner avec des principes qui ont été transcendés pas seulement théoriquement mais aussi par le développement de la société elle-même. L’histoire ne s’est pas arrêtée depuis Marx, Engels, Lénine et Trotski ; elle n’a pas non plus suivi la direction simpliste qui fut programmée par des penseurs, aussi brillants soient-ils et dont les esprits étaient toujours enracinés dans le XIXème siècle ou au début du XXème. Nous avons vu le capitalisme lui-même faire bien des taches (incluant le développement d’une technologie d’abondance) qui furent considérées comme socialistes, nous l’avons vu nationaliser la propriété, fusioner l’économie avec l’État à chaque fois que c’était nécessaire. Nous avons été les témoins de la neutralisation de la “classe ouvrière” comme “agent du changement révolutionnaire”, bien que luttant toujours contre le cadre bourgeois pour l’augmentation des salaires, la diminution de la journée de travail et des bénéfices périphériques. La lutte des classes dans son sens classique n’a pas disparu ; elle a subi un destin bien plus mortifère en étant cooptée, phagocytée par le capitalisme pour en devenir une partie intégrante.

La lutte révolutionnaire au sein des pays capitalistes avancés a glissé sur un nouveau terrain historique : elle est devenue une lutte entre la génération de la jeunesse qui n’a connu aucune crise économique chronique et la culture, les valeurs et les institutions d’une génération plus âgée, plus conservatrice dont la perspective sur la vie a été façonnée par la rareté, la culpabilité, la renonciation, le travail éthique et la poursuite incessante de la sécurité matérielle. Nos ennemis ne sont pas seulement la bourgeoisie visiblement retranchée et l’appareil d’état, mais aussi un résultat trouvant son soutien parmi les libéraux, les socio-démocrates, les mignons des médias corrompus, de partis politiques “révolutionnaires” appartenant au passé et aussi douloureux que cela soit pour les acolytes du marxisme, l’ouvrier dominé par la hiérarchie de l’usine, par la routine industrielle et par l’éthique du travail. Le point important est que les divisions se situent maintenant à travers virtuellement toutes les lignes de classes traditionnelles et qu’elles soulèvent un vaste spectre de problèmes qu’aucun des marxistes, se reposant sur des analogies dans des sociétés basée sur la rareté, n’ont pu prévoir.

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A lire sur Résistance 71: Murray Bookchin et le municipalisme libertaire (2 parties)

https://resistance71.wordpress.com/2013/02/15/vision-politique-pour-demain-entretien-sur-le-municipalisme-libertaire-1ere-partie/

3 Réponses vers “Le changement organisationnel politique passe par balayer les vieux poncifs…”

  1. ratuma Says:

    je ne vous souhaite pas d’avoir affaire avec les fonctionnaires de la mairie ou de la préfecture …….

  2. ratuma Says:

    MERCI – je vais relire

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