Résistance et harangue politique: La défense du drapeau noir de l’anarchie (Louise Michel 1883)

“L’État est une société d’assurance mutuelle entre le propriétaire terrien, le général militaire, le juge, le prêtre et plus tard, le capitaliste, afin de soutenir l’autorité de l’un l’autre sur le peuple et pour exploiter la pauvreté des masses tout en s’enrichissant eux-mêmes.
Telle fut l’origine de l’État, telle fut son histoire et telle est son essence actuelle.”

~ Pierre Kropotkine ~

 

Texte de défense du drapeau noir

Louise Michel

Texte de la Défense de Louise Michel, prononcée le 22 juin 1883*, devant la Cour d’Assise de la Seine.

Il y a quelque chose de plus important, dans ce procès, que l’enlèvement de quelques morceaux de pain. II s’agit d’une idée qu’on poursuit, il s’agit des théories anarchistes qu’on veut à tout prix condamner.

On insiste sur la fameuse brochure : « A l’armée ! » à laquelle le ministère public semble s’être appliqué à faire une publicité à laquelle on ne s’attendait guère.
 On a agi autrement durement envers nous en 1871. 
J’ai vu les généraux fusilleurs ; j’ai vu M. de Gallifet faire tuer, sans jugement, deux négociants de Montmartre qui n’avaient jamais été partisans de la Commune ; j’ai vu massacrer des prisonniers, parce qu’ils osaient se
 plaindre. On a tué les femmes et les enfants ; on a traqué les fédérés comme des bêtes fauves ; j’ai vu des coins de rue remplis de cadavres. Ne vous étonnez pas si vos poursuites nous émeuvent peu.

Ah, certes, monsieur l’avocat général, vous trouvez étrange qu’une femme ose prendre la défense du drapeau noir. Pourquoi avons-nous abrité la manifestation sous le drapeau noir ? Parce que ce drapeau est le drapeau des grèves et qu’il indique que l’ouvrier n’a pas de pain.

Si notre manifestation n’avait pas dû être pacifique, nous aurions pris le drapeau rouge ; il est maintenant cloué au Père-Lachaise, au-dessus de la tombe de nos morts. Quand nous l’arborerons nous saurons nous défendre.
 Nous n’avons pas fait appel à l’Internationale morte parce qu’on n’a pu en réunir les tronçons et parce que l’Internationale est un pouvoir occulte et qu’il est temps que le peuple se montre au grand jour.

On parlait tout à l’heure de soldats tirant sur les chefs : Eh bien ! à Sedan, si les soldats avaient tiré sur les chefs, pensez-vous que c’eût été un crime ? L’honneur au moins eût été sauf. Tandis qu’on a observé cette
 vieille discipline militaire, et on a laissé passer M. Bonaparte, qui allait livrer la France à l’étranger.
 Mais je ne poursuis pas Bonaparte ou les Orléans ; je ne poursuis que l’idée.
 J’aime mieux voir Gautier, Kropotkine et Bernard dans les prisons qu’au ministère. Là ils servent l’idée socialiste, tandis que dans les grandeurs on est pris par le vertige et on oublie tout.

Quant à moi, ce qui me console, c’est que je vois au-dessus de vous, au-dessus des tribunaux se lever l’aurore de la liberté et de l’égalité humaine.

Nous sommes aujourd’hui en pleine misère et nous sommes en République. Mais ce n’est pas là la République. La République que nous voulons, c’est celle où tout le monde travaille, mais aussi où tout le monde peut consommer ce
qui est nécessaire à ses besoins…

On nous parle de liberté : il y a la liberté de la tribune avec cinq ans de bagne au bout. Pour la liberté de réunion c’est la même chose En Angleterre le meeting aurait eu lieu ; en France, on n’a même pas fait les sommations de la loi pour faire retirer la foule qui serait partie sans résistance Le peuple meurt de faim, et il n’a pas même le droit de dire qu’il meurt de faim. Eh bien, moi, j’ai pris le drapeau noir et j’ai été dire que le peuple était sans travail et sans pain. Voilà mon crime ; vous le jugerez comme vous voudrez.

Vous dites que nous voulons faire une révolution. Mais ce sont les choses qui font les révolutions : c’est le désastre de Sedan qui a fait tomber l’empire, et quelque crime de notre gouvernement amènera aussi une révolution.
Cela est certain. Et peut-être vous-mêmes, à votre tour, vous serez du côté des indignés si votre intérêt est d’y être. Songez-y bien.

S’il y a tant d’anarchistes c’est qu’il y a beaucoup de gens dégoûtés de la triste comédie que depuis tant d’années nous donnent les gouvernements. Je suis ambitieuse pour l’humanité moi je voudrais que tout le monde fût assez
 artiste, assez poète pour que la vanité humaine disparût. Pour moi, je n’ai plus d’illusion. Et tenez, quand M. l’avocat général parle de ma vanité. Et bien ! j’ai trop d’orgueil même pour être un chef : il faut qu’un chef à des
moments donnés, s’abaisse devant ses soldats, et puis, tout chef devient un despote.

Je ne veux pas discuter l’accusation de pillage que l’on me reproche, cela est trop ridicule. Mais, si vous voulez me punir, je commets tous les jours des délits de presse, de parole, etc. Eh bien ! Poursuivez-moi pour ces délits.

En somme, le peuple n’a ni pain ni travail, et nous n’aurons en perspective que la guerre. Et nous, nous voulons Ia vie en paix de l’humanité par l’union des peuples.
Voilà les crimes que nous avons commis.
Chacun cherche sa route ; nous cherchons la nôtre et nous pensons que le jour où le règne de la liberté et de l’égalité sera arrivé, le genre humain sera heureux.

= = =

(*) Cette même année 1883 où était jugée encore une fois Louise Michel, Friedrich Nietzsche publiait “Ainsi parlait Zarathoustra” dans lequel il disait ceci à propos de l’État:

“L’État, c’est ainsi que s’appelle le plus froid des monstres froids et il ment froidement et le mensonge que voici sort de sa bouche: ‘Moi, l’État, je suis le peuple !’… Là où le peuple existe encore, il ne comprend pas l’État et il le hait comme un mauvais œil et comme un pêché contre les coutumes et les droits… L’État, lui, ment dans tous les idiomes du bien et du mal ; et quoi qu’il dise, il ment et ce qu’il possède il l’a volé. Tout est faux en lui, il mord avec des dents volées, lui qui mord si volontiers. Fausses sont même ses entrailles… ‘Sur Terre il n’est rien de plus grand que moi: je suis le doigt qui crée l’ordre, le doigt de dieu’, voilà ce que hurle ce monstre…”

8 Réponses to “Résistance et harangue politique: La défense du drapeau noir de l’anarchie (Louise Michel 1883)”

  1. Wouaouhh ! Du préambule, à la conclusion ; Ça fout les poils !

    « L’État, lui, ment dans tous les idiomes du bien et du mal ; et quoi qu’il dise, il ment et ce qu’il possède il l’a volé. Tout est faux en lui, il mord avec des dents volées, lui qui mord si volontiers. Fausses sont même ses entrailles… »

    Ce qui est fort, c’est que cette phrase s’applique à tout état, quel qu’il soit ! Zunien et autre vassal… Très fort, vraiment, je me l’enregistre sous word. Merci R71 pour ce rappel de l’histoire.

    • Ah ! On t’avait dit que t’allais aimer le « prochain Louis Michel »… 😉 😀

      • Oui, vous avez vu juste…

        • La plaidoirie de Louise Michel est d’une actualité époustouflante !… Ceci pourrait être dit aujourd’hui dans la France de cette foutaise « d’état d’urgence » provisoire à perpétuité par n’importe quel activiste qui passerait devant les tribunaux.
          L’histoire, tronquée par le pouvoir est là pour nous le rappeler: La Commune de Paris de 1871 a été réprimée dans un bain de sang innommable. Ce ne fut pas une répression exercée par une monarchie rétrograde et sanguinaire, mais par la république française, celle de Thiers et des Versaillais, celle de ces lâches oligarques qui après avoir fuit comme des rats Paris assiégé, firent un pacte avec les occupants vainqueurs pour que ceux-ci rendent leurs armes à la bidasserie française vaincue pour qu’elle réprime son peuple insurrectionnel dans un bain de sang (27 000 fusillés ou massacrés femmes et enfants compris plus de 20 000 déportés) sous l’œil tant goguenard qu’incredule des troupes prussiennes.
          Ce massacre en règle fut perpétré par une « république » dite modérée, la même qui se lança dans la conquête coloniale la plus brutale sur le sol africain, une république issue du « gouvernement de défense nationale » de 1870, impliquant les sbires comme trochu, favre, gambetta, crémieux, jules ferry… Ce même Ferry qui déclara par la suite le devoir des races supérieures, ce même Ferry sous lequel cette ordure de Hollande/Flanby, faux-nez socialo, vrai facho nouveau con, a placé son « mandat » présidentiel…
          Effarant ! Effarant aussi de voir que la Commune de Paris (ainsi que les autres insurrections concomitantes dans d’autres villes de France) est résumée en un paragraphe lapidaire dans la plupart des livres d’histoire ! Honte et traîtrise !
          L’État est un monstre froid, une machine répressive, faite pour maintenir le statu quo et l’ordre oligarchique.
          Qu’on puisse encore vouloir voter et participer à cette mascarade criminelle tient autant de la complicité d’assassinat que d’ignorance des faits historiques.
          Boycott de cette fange étatique institutionnelle !
          Laissons donc l’État dans les WC où on l’a trouvé en entrant !…

  2. Tenez, voici ma dernière publication en intégrant le texte de Louise Michel. Ce texte m’a bouleversé… Merci à vous. https://jbl1960blog.wordpress.com/2016/01/19/essayons-car-il-est-temps/

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