Colonialisme d’hier et d’aujourd’hui… En sortir par et pour les peuples (analyse Taiaiake Alfred)
Cette excellente analyse du professeur de science politique Taiaiake Alfred de l’université de Victoria (Canada) nous sensibilise à la vision de l’autre côté de la barrière coloniale. Le but étant de détruire cette « barrière » qui divise et détruit peuples et nature.
Notre dossier « colonilaisme et luttes indigènes«
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— Résistance 71 —
Ce que la terre veut dire pour nous
13 décembre 2013
url de l’article:
http://nationsrising.org/what-does-the-land-mean-to-us/
~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~
Un guerrier est celui qui peut utiliser les mots de façon à faire penser que tous font partie d’une même famille. Un guerrier dit ce qui est dans le cœur des gens, parle de la signification de la terre pour eux, les rassemble afin qu’ils combattent pour elle.
– Bighorse, Diné
Si les buts de la décolonisation sont la justice et la paix, comme cela est souvent explicité par les gouvernements et les gens dans la politique autochtone, alors le processus de parvenir à ces buts doit refléter une clause fondamentale à la fois de la part des Onkwehonwe (NdT: Les autochtones, littéralement les habitants de l’île de la Grande Tortue) et des colons afin d’honorer l’existence de l’un l’autre. Cet honnorification ne peut pas se produire lorsqu’on demande à une des parties de sacrifier son héritage et son identité en échange de la paix. C’est pourquoi la seule possibilité d’une relation juste entre les Onkwehonwe et la société des colons est la conception d’une relation de nation à nation entre les peuples, le type de relation reflétée dans les anciens traités de paix et l’amitié consacrée entre les peuples indigènes et les nouveaux venus, lorsque les hommes blancs commencèrent à arriver sur nos territoires.
Les colons réfutent les tentatives de raisonnement logique du problème. Des disputes courantes au sujet de la restitution (payer pour les crimes et restituer les terres) et de la réconciliation (créer la paix), se sont toujours terminées en la défense conservatrice des injustices pourtant évidentes et ce contre les arguments les plus fondés et objectifs en faveur d’une restitution. Tolérer le crime encourage la criminalité. Mais l’argument des colons actuels présume que comme les injustices sont historiques et le passage du temps a mené au changement de circonstances pour les perpétrateurs des crimes et leurs victimes, et donc que le crime s’est estompé, effacé et qu’il n’y a plus d’obligation de payer pour celui-ci. Ceci est la version sophistiquée du sentiment commun du colon: “Les Indiens l’ont eu certes dur, mais ce n’est pas de ma faute: je n’étais pas ici il y a plus de 100 ans”, ou “J’ai acheté mon ranch légalement au gouvernement, tout est carré, boulon…”
Mais cette idée, si communément tenue par les blancs est fausse ; cela assume que le passage du temps mène à un changement de circonstances. Ceci est fonfamentalement faux, spécifiquement lorsqu’on a affaire à la relation entre Onkwehonwe et les sociétés colonisatrices et ce qu’il s’est passé entre nous. Entre le début de ce siècle et le début du siècle dernier, les vêtements des gens ont peut-être changés, leur nom est peut-être différent, mais les jeux joués sont les mêmes. Sans un véritable changement des réalités de notre relation, il n’y a aucune manière pour que nous considérions les mauvaises choses qui ont été faites et qui sont devenues faits historiques. Le crime du colonialisme perdure aujourd’hui et ses perpétrateurs sont présents parmi nous.
Où en sommes-nous sur ces questions maintenant en tant qu’Onkwehonwe ? Quand nos demandes sont avancées devant les gouvernements colons de manière précise, et non pas de manière cooptée ou adoucies par les collaborateurs autochtones avec le pouvoir blanc, Onkwehonwe au travers de tout le continent des Amériques a trois demandes essentielles:
1. La gouvernance sur un territoire bien défini.
2. Le contrôle des ressources au sein de ce territoire, avec l’attente de partager les dividendes du développment avec l’état et
3. La reconnaissance légale et politique des croyances cultureles d’Onkwehonwe et ses façons d’étre et de se comporter sur ce territoire.
Qui a t’il de si radical là-dedans ? Il n’est que juste et correct qu’Onkwehonwe soit reconnu dans notre patrie même.
Mais “radical” est le comment les colons ont répondu à nos demandes. Leurs réponses aux demandes d’Onkwehonwe ont été les mêmes au-delà des frontières parmi mêmes les états colons soi-disant “progressistes” comme le Canada et les Etats-Unis. Ces gouvernements ont refusé d’arrêter l’érosion de notre base territoriale ; ils insistent à bénéficier financièrement de toutes les ressources au sein des territoires d’Onkwehonwe, ils défendent la suprématie légale et constitutionnelle de leurs gouvernements sur les notres et ils insistent sur l’équivalence des droits entre nous et les colons sur nos territoires ancestraux.
De Nunavut dans l’Arctique (NdT: pays et terres Inuits) à la Terre de Feu (du Chili) et au travers du Pacifique sur Aotearoa (NdT: “pays du long nuage blanc” ou appelée du nom colonial de Nouvelle-Zélande…), il y a constance dans ce schéma de demande et de réponse.
Certains peuvent penser que la lutte de nos peuples a changé ces dernières années. Mais non, frères et sœurs, c’est toujours la même chose. La terre, la culture, la communauté… Ce sont les champs de bataille de notre survie. Les colons le savent pertinemment et nous nous le rappellerons ou bien ils réussiront dans leur ancienne mission de nous déposséder de nos terres, de notre héritage et de de l’histoire.
Mais il y a danger que de laisser la colonisation n’être que la seule histoire des vies indigènes.
Le colonialisme est un cadre analytique efficace, mais il est limité en tant que théorie de la libération. C’est un narratif dans lequel le pouvoir du colon est fondamental et n’est pas remis en cause ; il limite la liberté des colonisés en cadrant, définissant leurs mouvements comme actes de résistance ou des résultats du pouvoir colonial. Pour les autochtones, les systèmes coloniaux ont toujours été des méthodes pour contrôler et maintenir le contrôle sur des peuples indigènes et sur leurs terres pour le bien des notions occidentales de progrès et des intérêts des colons. Nous vivons maintenant dans une époque de manipulation coloniale post-moderne ; les instruments de la domination ont évolué et les élites inventent de nouvelles méthodes pour effacer les identités indigènes et leurs présences. Bien que subtiles et non-violentes en surface, ces stratégies refusent la capacité aux peuples indigènes d’agir sur leurs identités authentiques, coupant les vies autochtones de leurs connexions vitales avec la terre, la culture et la communauté en n’offrant aux autochtones qu’une seule option: dépendence ou destruction.
Loin d’être dans une ère post-coloniale, la survie même des nations indigènes est menacée aujourd’hui tout comme auparavant, dans ces ères plus brutales d’oppression coloniale. Le discours actuel est le cadrage des peuples indigènes du Canada est un exemple de cette nouvelle réalité. On utilise une “façade” de “réconciliation” afin de renforcer, de consolider la suprématie blanche, de pacifier et de coopter le leadership indigène et de faciliter un accès total aux terres autochtones afin d’en extraire les ressources. Contre cela, un mouvement ancestral a re-émergé parmi les autochtones et leurs alliés penseurs et activistes colons d’Amérique du Nord: la résurgence indigène.
Nous nous dédions à la refonte de l’identité et de l’image des peuples indigènes en termes qui soient authentiques et sensés afin de régénérer et d’organiser une conscience politique radicale, de réoccuper la terre et obtenir la restitution, de protéger l’environnement naturel et de restaurer une relation de nation à nation entre les nations indigènes et celles des colons établis.
Ce recadrage de l’indigénéité comme Résurgence fournit les bases éthiques, culturelles et politiques pour un mouvement de transformation qui a le potentiel d’enlever la marque du colonialisme de la terre et de pareillement libérer les esprits des Peuples Originaux et des Nouveaux-Venus.
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Taiaiake Alfred est un membre du clan de l’Ours de la nation Mohawk de Kahnawake. Il est professeur titulaire de Gouvernance Indigène de la faculté de sciences politiques de l’université de Victoria en Colombie Britannique. Il a publié trois ouvrages :Wasáse: indigenous pathways of action and freedom (Broadview, 2005); Peace, Power, Righteousness (Oxford University Press, 1999/2009); and Heeding the Voices of Our Ancestors (Oxford University Press, 1995).
Vous pouvez le suivre sur Twitter: @Taiaiake.
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