La mystification par le malthusianisme et le darwinisme-social: Pour une compréhension progressiste de la nature humaine… 2ème partie

« Le Prince de l’évolution » (Alan Lee Dugatkin) 2ème partie

1ère partie

3ème partie

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« Mais que l’on refuse cette néo-théologie de l’histoire et son continuisme fanatique et dès lors les sociétés primitives cessent d’occuper le degré zéro de l’histoire, grosses qu’elles seraient en même temps de toute l’histoire à venir, inscrite d’avance en leur être. Libérée de ce peu innocent exotisme, l’anthropologie peut alors prendre au sérieux la vraie question du politique: pourquoi les sociétés primitives sont-elles des sociétés sans État ? Comme sociétés complètes, achevées, adultes et non plus comme embryons infra-politiques, les sociétés primitives n’ont pas l’État parce qu’elles le refusent, parce qu’elles refusent la division du corps social en dominants et dominés…

… Détenir le pouvoir, c’est l’exercer, c’est dominer ceux sur qui il s’exerce, voilà très précisément ce dont ne voulurent pas (plus), les sociétés primitives, voilà pourquoi les chefs y sont sans pouvoir et pourquoi le pouvoir ne se détache pas du corps de la société… L’exemple des sociétés primitives nous enseigne que la division n’est pas inhérente à l’être du social et qu’en d’autres termes, l’État n’est pas éternel… »

(Pierre Clastres)

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Chapitre 4

Les fourmis n’ont pas lu Kant

[…] Dès son arrivée à Hull en Angleterre, Kropotkine commença immédiatement à chercher du travail. Après une brève incartade à Edimbourg en Ecosse, il retourna à Londres, où sous le nom de “Mr Levashov”, il obtint le travail d’analyste littéraire pour la revue “Nature” (NdT: aujourd’hui la plus grosse publication des sciences naturelles anglo-saxonne). Bien que le travail dura, son pseudonyme ne tint pas longtemps. Dans un moment comique de la carrière de Kropotkine, J. Scott Keltie, un des éditeurs de la revue “Nature”, demanda à Mr Levashov de commenter sur les livres de géographie d’un certain Pierre Kropotkine. Pierre, dans son honnêteté qu’il eut toute sa vie, confessa qu’il était en fait le nommé Kropotkine et qu’il se devait de se récuser lui-même d’être l’analyste de ses propres livres. Keltie, qui avait entendu parler de l’évasion de Kropotkine, dit alors à Kropotkine de commenter sur ses propres livres en utilisant son alias et de “simplement dire aux lecteurs de quoi il s’agit”.

Tout en travaillant pour “Nature”, il continua ses écrits géographiques. Ce qu’il manquait à l’ex-prince, c’était une chance pour l’action directe politique, alors que le mouvement anarchiste n’avait pas encore émergé en Angleterre. Dès qu’il trouva des tâches géographiques qu’il put effectuer en Suisse, Kropotkine déménagea là-bas, où il se refamiliarisa avec la fédération du Jura et s’installa dans le village de la Chaux-de-Fonds. Il sympathisa de suite avec quelques anarchistes prominents de l’époque dont Elisée Reclus, qui comme lui était géographe. C’est au sien de la fédération du Jura que Kropotkine écrivit un des ses essais les plus célèbre: “Aux jeunes gens”, dans lequel comme toujours, il marie la politique et la science […]

[…] (NdT: après avoir été expulsé de Suisse à la demande expresse du nouveau tzar Alexandre III, Kropotkine retourna en Angleterre, puis vint s’installer à Nice en France.)

La police française surveillait Pierre bien que celui-ci n’ait quasiment aucune attache avec le milieu anarchiste français à son grand dam. Le gouvernement russe maintint également une surveillance étroite de l’ex-prince, qui nota que “des espions russes commencèrent à parader de nouveau et en nombre signifiant dans notre petite ville”. Kropotkine fut encore arrêté en Décembre 1882, lors d’une raffle qui mis sous les verrous 65 anarchistes, cette fois-ci pour être membre de l’internationale ouvrière une organisation anarcho-socialiste illégale en France. Kropotkine savait que ses espoirs étaient minces car “une cour de police prononce toujours les sentences qui sont demandées par le gouvernement”.

Alors qu’il attendait son procès, On offrit à Kropotkine un ticket pour la liberté qu’il refusa. Un mystérieux ami britannique eut vent des problèmes de Kropotkine et envoya un messager en France “celui-ci était en possession d’une somme d’argent considérable pour monnayer ma libération”. Tout ce qui lui était demandé en échange était de “quitter la France immédiatement” pour ma propre sécurité. Bien que très touché par ce geste magnanime, Kropotkine déclina l’offre, sentant qu’il se devait de rester avec ceux qui avaient été arrêtés avec lui dans la raffle.

Bien que le procureur n’ait eu virtuellement aucune preuve pour soutenir le cas, Kropotkine fut jugé coupable en Janvier 1883 et condamné à cinq ans d’emprisonnement à la prison de Clairvaux. Cela ne toucha pas particulièrement Pierre, celui-ci ayant déjà été soumis aux dures conditions d’emprisonnement à Pierre & Paul en Russie et il était déterminé de tirer le maxinum de cette situation. On lui accorda un minimum dont du papier et des crayons ; il utilisa son temps et ses ressources pour écrire quelques articles pour l’ Encyclopedia Britannica.

Kropotkine avait toujours beaucoup d’amis dehors. L’ange gardien britannique du début ne fut pas le seul étranger qui jouera un rôle dans l’aventure carcérale de Kropotkine en France. Victor Hugo présenta une pétition au gouvernement français pour la libération de Kropotkine. Les signataires de la pétition incluaient un groupe de parlementaires britanniques, des douzaines de professeurs, les responsables du British Museum, les éditeurs de l’Encyclopedia Britannica et une suite de rédacteurs et rédacteurs en chef de journaux. Néanmoins, pas tout le monde manifestait le désir de joindre leur nom à la cause. Thomas Henry Huxley, de loin le scientifique le plus connu en Grande-Bretagne à l’époque, refusa catégoriquement de signer le document. Les idées politiques de Kropotkine prenaient Huxley à rebrousse-poil et bien que Kropotkine ne le sût point encore, Huxley allait bientôt devenir sa bête noire (NdT: en français dans le texte original).

Devant les demandes continues de la communauté internationale, le gouvernement français relâcha Kropotkine en 1886, celui-ci retourna en Angleterre où un nouveau mouvement socialiste et anarchiste prenait racine […]

[…] En Février 1888, Kropotkine ouvrit l’édition courante du magazine populaire victorien “Le XIXème siècle” et ce qu’il y lut le sidéra. Thomas Huxley, le même qui avait refusé de signer la pétition demandant sa libération, avait écrit un long et laborieux article intitulé: “La lutte pour l’existence: un programme” dans lequel il proclamait que la nature était un endroit ou les chiens mangeaient les chiens dans un bain de sang perpétuel et non pas une Mèque d’entr’aide mutuelle. La réponse de Kropotkine à ce qu’il appela “l’horrible article d’Huxley”, le convainquît de formaliser ses idées sur l’entr’aide mutuelle, ce qui éventuellement mènera à l’écriture de son ouvrage le plus connu: “L’entr’aide mutuelle, un facteur de l’évolution”. Les parades et réponses de Kropotkine à l’atroce article d’Huxley feront également de Pierre une célébrité internationale.

Thomas Henry Huxley était le plus jeune de six enfants, né le 4 Mai 1825 […]

[…] Les intérêts très éclectiques d’Huxley connurent une nouvelle sphère d’influence lorsqu’il créa le X-club en 1864, un groupe qui sera une force considérable derrière la science victorienne pendant les trente années qui suivirent.

En 1888, Huxley publia l’essai qui rendit furieux Kropotkine. “La lutte pour l’existence: un programme” fut écrit en même temps que l’oraison funèbre que Thomas composa pour son ami et collègue Charles Darwin. En publiant son essai dans le “XIXème siècle”, Huxley gagnait une audience considérable et une audience éduquée: bien qu’elle eut une circulation plus que respectable la revue “XIXème siècle” n’était pas un tabloïd britannique et comptait parmi ses contributeurs des gens comme Alfred Lord Tennyson, Beatrix Potter, le Baron de Rotschild et le premier ministre britannique Gladstone.

Dans son article, Huxley ne perdit pas de temps pour étaler sa thèse à propos de monde naturel: “Du point de vue du moraliste, le monde animal est à peu près au même niveau qu’un combat de gladiateurs. Les créatures sont bien traitées et affütées au combat, où le plus fort, le plus rapide, le plus malin survit pour combattre un autre jour. Le spectateur n’a pas besoin de tourner le pouce vers le bas, car il n’y a pas de quartier…” La même chose vaut pour l’homme primitif dans son état “sauvage”: “Les plus faibles et les plus stupides étaient éliminés, alors que les plus forts, robustes et astucieux, ceux qui étaient les plus aptes à gérer les circonstances, mais pas les meilleurs en d’autres circonstances, survivaient. La vie était une lutte continuelle et au-delà des relations temporaires et limitées de la famille, la guerre hobbesienne de chacun contre tous était la condition normale de l’existence.”

Ceci devint connu sous le vocable de “l’essai gladiateur” et la transition d’Huxley pour décrire les forces façonnant le règne animal, pour mettre en évidence la condition politique de l’Homme était très habile. Huxley passa facilement des “créatures raisonnablement traitées et affûtées au combat” à la description de la nature vers “l’effort de l’homme éthique à évoluer vers une fin morale… n’a presque pas changé, les impulsions organiques profondément ancrées, qui poussent l’homme naturel à suivre le cours d’une existence non-morale” pour décrire la condition humaine. “La nature cosmique (évolution) n’est pas une école de vertu, mais le quartier général de l’ennemi de la nature éthique”, dira plus tard Huxley […]

[…] Pour Huxley, la lutte pour l’existence était énorme et “aucune façon d’interférer avec la distribution de la richesse ne delivrerait la société de la tendance à être détruite par le reproduction en son sein.” Huxley pensait qu’ultimement, rien ne pourrait arrêter cette force, mais il n’était pas sans espoir, du moins il avait l’espoir que nous pourrions réfreiner notre tendance auto-destructrice pour une période signifiante […]

[…] Thomas Huxley voulait “faire comprendre une fois pour toute, que le progrès éthique de la société dépend, non pas de l’imitiation du processus cosmique (évolution), encore moins de s’enfuir devant lui, mais de le combattre.” L’Homme se doit de se révolter contre une nature amorale, et non pas y retourner.

Pour Kropotkine, rien ne pouvait être plus éloigné de la vérité, nous ne devons pas nous enfuir de quoi que ce soit concernant notre évolution, et de fait, même nos racines les plus contemporaines, car tout cela s’affirme à la lumière de l’entr’aide mutuelle. Ses cinq années passées en Sibérie convainquirent Kropotkine qu’Huxley, aussi brillant soit-il, était puissemment détourné de la réalité au sujet de l’évolution et de la société, qu’elle soit animale ou humaine dans la nature. Pierre était irrité que le scientifique le plus acclamé de Grande-Bretagne utilise cette boîte à savon (feuille de chou) pour publier un essai tel que son “essai du gladiateur”. Fort heureusement, Kropotkine était ami avec le rédacteur en chef de la revue “XIXème siècle”, James Knowles et requît un droit de réponse. Knowles lui accorda ce droit avec sa “plus grande sympathie”, pensant qu’il n’aurait à publier qu’une brève critique de la description huxleyéenne de la nature. Au lieu de cela, Pierre lui fit parvenir un essai total intitulé: “L’entr’aide mutuelle parmi les animaux”. De fait, ce long article devint le premier d’une série sur “L’entr’aide mutuelle…” qui sera publiée dans “XIXème siècle”, mais pour Kropotkine, c’était le plus important.

Si la Sibérie enseigna une chose à Kropotkine, ce fut celle-ci : “Si nous nous résolvons à un test indirect et demandons à la Nature: ‘qui sont les plus aptes’, ceux qui sont continuellement en guerre avec les autres ou ceux qui se soutiennent l’un l’autre, nous voyons immédiatement que ceux des animaux qui ont acquis l’entr’aide mutuelle, sont incontestablement les plus aptes.” […]

[…] Kropotkine dit à ses lecteurs : “Il était nécessaire d’indiquer l’importance manifeste que les habitudes sociales (entr’aide mutuelle) jouent dans la nature et dans l’évolution progressive des espèces animales et des êtres humains.” Ceci était nécessaire parce que comme le disait l’article de Pierre “L’entr’aide mutuelle chez les animaux” : “Le nombre important des adeptes de Darwin ont réduit la notion de lutte pour la survie à ses limites les plus étriquées. Ils en sont arrivés à concevoir le règne animal comme un monde de lutte perpétuelle parmi des créatures à demi-affamées, ayant soif du sang des autres. Ils ont fait résonner la littérature moderne des cris de guerre et des malheurs aux vaincus, comme si cela était les derniers mots de la biologie moderne.” Pierre argumenta que ceci était “un non sens total, oui il est vrai qu’il y a compétition que cette notion est réelle, mais celle-ci est une force relativement faible et ce que la nature montre vraiment à chaque tournant est que “la sociabilité est autant une loi de la nature que la lutte pour la survie”. Pour Kropotkine, “sociabilité et intelligence vont toujours la main dans la main”.

Les exemples de Kropotkine décrivant l’entr’aide mutuelle chez les animaux incluent des descriptions détaillées tout comme de vagues généralités.

Note des traducteurs: S’ensuit ici une liste d’exemples répertoriés par Kropotkine pour illustrer la notion d’entr’aide mutuelle comme facteur de l’évolution.

[…] Dans les quelques derniers mots de Kropotkine de son exposé sur l’entr’aide mutuelle chez les animaux, nous voyons Pierre le poète résumant les conclusions de Pierre l’historien de la nature sur l’entr’aide mutuelle : “N’entrez pas en compétition ! La compétition est toujours néfaste aux espèces et vous avez plein de ressources pour l’éviter ! Ceci est la tendance de la nature, pas toujours réalisée pleinement, mais toujours présente. Ceci est le mot clé qui nous vient des buissons, des forêts, des rivières et des océans. De fait, combinez, pratiquez l’entr’aide mutuelle ! Ceci est le meilleur moyen de donner à tout à chacun la meilleure des sécurités, la meilleure garantie d’existence et de progrès, corporellement, intellectuellement et moralement. C’est ce que la Nature nous enseigne, et c’est ce que tous les animaux qui ont atteints la plus haute position dans leur classe respective ont fait.”

Bien que Kropotkine fut de loin le plus vocal des portes-parole pour l’entr’aide mutuelle chez les animaux, il ne fut pas le seul ; il ne fut pas non plus l’instigateur de cette idée. Le fondateur de l’école de l’entr’aide mutuelle dans le règne animal et de la pensée évolutionnaire russe était le biologiste Karl Fedorovitch Kessler […]

[..] En décembre 1879, Kessler fit un discours sur “La loi de l’entr’aide mutuelle” à la société des naturalistes de St Petersbourg. Pour Kessler la notion de lutte darwinienne de “l’individu contre l’individu” était secondaire à l’entr’aide mutuelle que les organismes affichaient. Lorsque Kessler mourut en 1881, Kropotkine prit sa place comme leader du camp de l’entr’aide mutuelle.

Kropotkine et l’école russe qu’il suivait admiraient Darwin. Ils pensaient que ce n’était pas Darwin mais ses disciples qui pervertirent ses idées pour en faire cette sorte de doctrine du bain de sang naturel. Emmené par Kropotkine, ce groupe argumentait que les “faux darwinistes” comme Huxley, étaient omni-présents et que ces “vulgariseurs des enseignements de Darwin avaient réussi à convaincre les hommes que le dernier mot de la science était cette pathétique lutte individuelle pour la survie.”

Pour Darwin, la lutte pour l’existence était parfois une lutte au sens propre du terme […]

[…] “La rareté de la vie, la sous-population et non pas la surpopulation”, nota Kropotkine, causait “de sérieux doutes sur la réalité de cette terrible compétition pour la nourriture et la vie au sein de chaque espèce, ce qui est un acte de foi chez la plupart des darwininstes et par conséquent, à la partie dominante que cette sorte de compétition était supposée jouer dans l’évolution de nouvelles espèces.” Les “vulgarisateurs” de Darwin, argumentait Kropotkine, ne se préoccupait essentiellement que de la surpopulation et ainsi de la compétition. Mais l’expérience de Pierre en Sibérie suggérait que la sous-population représentait mieux l’état de nature, qui faisait de l’entr’aide mutuelle le résultat par défaut du processus évolutionnaire. La véritable question n’était pas de savoir si Darwin avait “raison” – “La vie est une lutte” – écrivit Kropotkine, “et dans cette lutte, le plus apte survit. Mais les réponses à ces questions ‘par quel bras s’effectue la lutte ?’ et ‘Qui sont les plus aptes dans la lutte ?’ différeront beaucoup en accord avec l’importance que l’on donne aux deux différents aspects de la lutte, celle directe pour la nourriture et la sécurité parmi des individus séparés et la lutte que Darwin décrivait comme étant “métaphorique”, la lutte, souvent collective, contre des circonstances difficiles et défavorables.” […]

[…] La communauté intellectuelle russe, dans la plupart des cas, rejetait la notion malthusienne de surpopulation, non seulement parce que le monde dans lequel il vivait ne reflétait aucunement le travail de Malthus, mais aussi parce que son travail puait à plein nez l’individualisme britannique. Comme l’un des scientifiques russes les plus fameux écrivit un jour : “La caractéristique dominante et essentielle du caratère national anglais est l’amour de l’indépendance, le développement de la personalité et l’individualisme, qui se manifeste dans une lutte contre tous les obstacles présentés par la nature extérieure ou d’autres personnes. La lutte, la compétition libre, sont la vie de l’Anglais, il l’accepte dans toutes ses conséquences, les déclare sont droit et n’en tolère aucune limite.”

Les Russes faisaient face à un dilemme. D’un côté, ils avaient en haute estime l’idée de l’évolution de Darwin, mais en même temps, pour la plupart des Russes, le lien de Darwin avec le concept malthusien de surpopulation était inacceptable, créant ainsi une problématique: comment accepter l’un tout en rejetant l’autre ? […]

Chapitre 5

D’étranges compagnons de chambre

Pour Kropotkine, l’entr’aide mutuelle était naturelle, tant chez les oiseaux que chez les paysans ; mais il devait convaincre les autres de cela […]

[…] Pour cela, Il se tourna vers les idées de l’économiste Adam Smith, qui était déjà regardé comme un des fondateurs de la science économique. Son livre écrit en 1776, “Une étude sur la nature et les causes de la richesses des nations”, dans lequel il développa sa théorie sur le capitalisme, était une lecture obligatoire pour toute l’intelligentsia de l’époque de Kropotkine. Bien sûr, pour les anarcho-socialistes comme lui-même, les théories du livre épousaient exactement le mauvais système économique et étaient réfutées et haïes comme une arme dangereuse utilisée pour étouffer les masses. Mais Pierre avait une certaine tendresse pour un plus jeune Adam Smith, celui qui en 1759 écrivit “La théorie des sentiments moraux”, dont Kropotkine disait “qu’il était un bien meilleur livre que ceux publiés plus tard par Smith sur l’économie politique… Là, Smith cherchait une explication de la moralité dans un fait physique de la nature humaine.” Ce fut dans cette moralité trouvée dans un fait physique de la nature humaine, que Pierre trouva une théorie causale de l’entr’aide mutuelle à la fois dans le monde animal et dans le monde humain.

Dans sa “Théorie des sentiments moraux”, Adam Smith argumentait que c’est parce que l’humain désire minimiser sa propre souffrance et parce que nous sommes naturellement des êtres emplis de compassion, que nous agissons parfois pour alléger la souffrance des autres et ce afin de minimiser notre propre souffrance induite par compassion […]

[…] Alors que Kropotkine n’était pas naturellemnt enclin à s’allier avec le fondateur du capitalisme, il vît néanmoins le bon côté de le faire et de faire bouger les choses au delà des seules théories évolutionnistes. Kropotkine trouva les idées de Smith sur la compassion et l’entr’aide nutuelle à la fois très fortes et en même temps très simples… Mais pour Pierre, le seul inconvénient dans “La théorie des sentiments moraux” était que Smith ne poussait pas la théorie suffisamment loin.

En effet, tous les exemples d’Adam Smith illustrant la compassion et l’entr’aide mutuelle étaient des exemples de la vie humaine. Pourquoi donc, se demanda Kropotkine, une explication si forte et convaincante de l’entr’aide mutuelle devrait forcément se limiter à l’espèce humaine ? Pierre écrivit à ce sujet: “La seule erreur d’Adam Smith, fut de ne pas avoir compris que ce sentiment de sympathie dans son état habituel, existe également parmi les animaux tout autant que chez les humains. Le même mécanisme de la compassion instinctive expliquait pourquoi les animaux et les humains se venaient en aide.

La compassion était le moteur de la solidarité animale et de la solidarité s’ensuivît le succès de l’évolution, parce que cela mena à la certitude que l’aide viendrait lorsqu’elle serait nécessaire: “sans confiance mutuelle, aucune lutte n’est possible ; il n’y a pas de courage, pas d’initiative !.. La défaite est certaine”, écrivit Kropotkine. De la compassion à la solidarité à l’entr’aide mutuelle. Ceci représentait une puissante formule pour Kropotkine […]

[…] En y regardant de plus près, “L’entr’aide mutuelle, un facteur de l’évolution” a six chapitres complets sur la coopération parmi les humains: L’entr’aide mutuelle chez les sauvages, l’entr’aide mutuelle ches les barbares, l’entr’aide mutuelle dans la cité médiévale ( I & II) et l’entr’aide mutuelle parmi nous (I & II).

Kropotkine dû composer avec le fait que le lectorat avait embrassé les thèses de Thomas Hobbes, qui dans son “Léviathan”, avait décrit la vie de l’Homme comme étant “solitaire, pauvre, méchante, courte et brutale”. De fait, Thomas Huxley avait érigé “la guerre hobbesienne de chacun contre tous” comme étant “l’état normal de l’existence” pour toutes les créatures, l’humain compris. Kropotkine lui, pensait qu’une telle description de la nature humaine était “non seulement indéfendable, improbable et non-philosophique… mais également sans fondement en rapport à une analyse profonde de l’histoire humaine.”

Kropotkine commença sa revue de l’entr’aide mutuelle humaine en argumentant que Hobbes, Malthus, Huxley et bien d’autres philosophes politiques, scientifiques et historiens, s’étaient égarés en assumant que les premières sociétés humaines avaient tourné autour de l’unité familiale. “La science a établi sans l’ombre d’un doute, que l’humanité n’a pas commencé sa vie sous la forme de petites familles isolées, aussi loin que nous pouvons remonter la paléo-ethnologie de l’humanité, nous trouvons les Hommes vivant en sociétés, en tribus similaires à celles des plus grands mammifères”, écrivit Kropotkine.

Dans une organisation tribale, l’entr’aide mutuelle peut-être dispensée sans aucun rapport avec les liens de sang, la rendant puissante, omniprésente et en faisant une force de l’évolution […]

[…] Les cités médiévales libres par exemple étaient comme des entités vivantes, des organismes qui respiraient d’après Kropotkine ; elles maintenaient leur homéostasie au travers de l’entr’aide mutuelle de leurs composants. Ces cités présentaient à Pierre la même dualité morale qui avait minée ses pensées à propos des étapes précédentes de l’histoire humaine. L’entr’aide mutuelle florissait parmi des groupes, mais était parfois protégée violemment contre des étrangers à l’endroit: “En réalité, la cité médiévale était un oasis fortifié au milieu d’un pays plongé dans la soumission féodale et elle a dû faire sa place par la force de ses armes”, admet Kropotkine […]

[…] Kropotkine voyait les cités libres médiévales (NdT: Kropotkine parlait des cités régies par les chartes du XIIème au XVème siècles, ces grandes cités indépendantes de la fange féodale et qui s’étaient fédérées entr’elles pour une plus grande efficacité de développement, citons pour exemple les cités libres les plus connues à cet effet telles Laon, Florence, Fribourg, Hambourg, Bruges, Novgorod, Rostock, les systèmes féodaux et monarchiques n’eurent de cesse de les détruire, ce qui fut fait au XVIème siècle avec l’avènement de la monarchie absolue et des états-nations…) comme une grande expérience, dont les résultats illuminèrent les Hommes pour les siècles qui suivirent ; elles représentaient “une union étroite pour l’entr’aide mutuelle et le soutien, pour la production et la consommation et pour la vie sociale dans son ensemble, sans imposer à ses participants les fers et diktats de l’État, mais en leur donnant la totale liberté d’expression créative et de génie de chaque groupe d’individus pris séparément que ce soit dans le domaine des arts, de la construction, de la confection, du commerce, des sciences ou de l’organisation politique.” […]

[…] Kropotkine trouva des vestiges de l’entr’aide mutuelle, une preuve qu’elle n’avait pas été détruite avec la disparition des cités libres médiévales. Il nota “qu’elle est toujours présente même maintenant et elle cherche de nouvelles manières de s’exprimer qui ne serait pas au travers de l’État, ni des cités médiévales, ni des communautés villageoises, ni du clan primitif, mais qui procéderait de tout cela à la fois, mais qui lui serait en même temps supérieur dans un sens plus large des conceptions humaines.” Pour Kropotkine, cette “nouvelle expression” était l’anarcho-socialisme.

Une fois qu’il eut amené ses lecteurs au mouvement anarcho-socialiste, Kropotkine avait complété son tour-de-force de rendre compte de l’histoire de l’entr’aide mutuelle à la fois dans le règne animal et dans le règne humain […]

A suivre…

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